Le grand peintre français a marqué l'histoire de la ville de Tanger par quelques unes de ses plus belles toiles. Arrivé dans la ville du détroit entre 1912 et 1915, le peintre aura découvert une ville mythique où un autre illustre peintre Eugène Delacroix avait laissé de nombreuses empreintes. Sur plusieurs numéros, LGM propose une série de documents qui retarcent la grandeur d'une ville cosmopolite. Peintres comme Delacroix, Matisse ou Bacon, des musiciens comme les Led Zepplin, les Rolling Stones, Randy Weston, des poètes et écrivains comme Teneessee Williams, Allen Ginsberg, Paul Bowles, Jane Bowles, Jack Kerouac, William Bourroughs et d'autres grandes figures des Arts modernes. Des lettres de Claude Renard et Yves Vasseur adressées au peintre Henri Matisse nous éclairent sur la vie du peintre à Tanger, son rapport aux Tangérois, son amour de cette terre qu'il disait paradisiaque. On lit pêle-mêle des fragments qui rendent compte «d'une histoire d'aujourd'hui. Elle conte en images, et du nord au sud les paysages, les lumières et les hommes du Maroc éternel, un pays infini toujours à découvrir. Mais c'est aussi une histoire d'hier. Elle narre les années du protectorat français, ses ombres, ses sacrifices et ses incertitudes, sous la plume d'un soldat du contingent qui correspond avec le peintre Henri Matisse. Les deux hommes se sont brièvement rencontrés sur le paquebot qui les a menés de Marseille à Tanger, avant de suivre leur propre destin. C'est sur la même coursive battue des vents d'hiver que débute ce récit où la fiction prétend dire humblement la vérité que l'Histoire se complaît parfois à oublier.» Magnifique préambule pour parler de Matisse quand il décide de venir au Maroc par un soir de 1912, il avait déjà derrière lui toute une carrière de chef de file d'un courant pictural très puissant, le fauvisme. Mais Matisse avait besoin d'un nouveau souffle pour redonner vie à un style de travail qui ne le satisfaisait plus. Un pays paradisiaque L'époque était importante. D'autres mouvements étaient sur le point de naître : surtout le cubisme qui devait révolutionner la vision du monde et de l'espace pictural. Matisse devait partir, quitter la France. Tanger l'avait déjà attiré, lui, qui était un fin connaisseur de De Lacroix. Matisse était un homme ouvert, malgré une certaine réputation de retrait. Il aimait rencontrer les gens, marcher dans la médina, La casbah, parler aux hommes, questionner les enfants. Pour lui, cette ville était une réussite sociale, un mélange subtil de plusieurs cultures qui rendent compte d'un certain Maroc au début du siècle dernier. Il était convaincu d'avoir posé ses valises dans un bout de paradis, comme il l'a souvent écrit à ses amis et sa famille. En moins de trois ans, il aura la possibilité de réaliser des dizaines de toiles et de nombreux dessins qui font partie de sa période picturale la plus riche. Celle-ci sera suivie d'une période où il s'est acheminé vers plus d'épuration de son support, la toile devenant plus abstraite, plus graphique. Cette tendance du graphisme lui a été inspirée par la lumière de Tanger, les courbes volatiles du soleil, la mer et les couleurs qui s'y détachent. Matisse dira dans l'une de ses lettres que Tanger avait ce don de faire naître la beauté là où on l'attendait le moins. Une ville de magie réelle. Il en rendra compte en peignant des femmes, des hommes, des vues sur la plage, des intérieurs, des ruelles, des mosquées… bref des lieux de vie où la convivialité marocaine touchait à la grâce. Matisse aura eu à Tanger la possibilité d'expérimenter plusieurs techniques et de nouvelles approches picturales. De nouvelles textures, de nouvelles couleurs, plusieurs reliefs du portrait, un soin particulier pour les arrière-plans, avec un grand souci du détail. Le tout sous de nombreuses inclinaisons lumineuses. Ce Tanger là n'est pas celui de Delacroix que l'on traitera dans le prochain numéro, mais un Tanger déjà inscrit dans l'ouverture, riche d'impacts d'un monde moderne et fluctuant. Le peintre a su saisir une palette toute en nuances d'un pays de don et de partage.