Au moment où l'administration Bush fait un forcing exceptionnel pour faire réussir sa Conférence internationale pour la paix au Moyen-Orient, la Syrie, de son côté, encourage les organisations palestiniennes contestataires à tenir leur propre conférence. Celle-ci rejettera toutes éventuelles concessions qui pourraient être faites à l'Etat hébreu. Lors de sa rencontre, dimanche dernier à Damas, avec Farouk al-Charâa, vice-président syrien, l'émissaire français, Jean- Claude Cousserand (ancien ambassadeur de France en Syrie) a demandé à son interlocuteur si son pays pourra «convaincre» ses alliés palestiniens afin de renoncer à leur «projet de conférence» afin de donner la chance à celle d'Anapolis qui, en principe, devait relancer les négociations de paix piétinant depuis les accords d'Oslo. Al-Charâa, qui était assisté de son adjoint, le général à la retraite, Mohamed Nassif – ancien patron des services syriens de renseignements militaires et ami de Cousserand – a répondu que «cette initiative est purement palestinienne»; et, d'ajouter : «nous n'avons aucun rôle ni au niveau de la décision concernant son organisation, moins encore sur le plan du choix de Damas pour l'abriter». Une explication qui n'a apparemment pas convaincu l'émissaire français qui, dès son passage le lendemain dans la capitale libanaise dans le cadre de sa tournée dans la région, aurait laissé entendre que la «Syrie est déterminée plus que jamais à faire comprendre aussi bien aux Américains, aux Européens qu'à certains Etats arabes qu'elle a toujours été et le restera le passage obligé pour la paix au Proche-Orient». Dans ce contexte, Cousserand a répété devant les responsables libanais qu'il a rencontré à Beyrouth que «Damas ne constitue pas une partie du problème, mais plutôt de sa solution». Quoi qu'il en soit, et en dépit des déclarations des dirigeants syriens concernant le désengagement de leur pays à l'égard de la tenue d'une «conférence parallèle» qui définira les contours des revendications et les limites des concessions qui pourraient être faites par le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, cette manifestation de contestation politique par excellence a pour principal objectif de déstabiliser encore plus les Etats arabes hésitant, jusqu'à présent, d'y participer. Ce constat a été fortement remarqué à travers l'interview accordée, lundi dernier, par le roi d'Arabie Saoudite, Abdallah ben Abdel Aziz, à la chaîne de télévision britannique, BBC. A cet égard, le souverain Saoudien, qui a affirmé que son pays n'a pas encore pris sa décision pour participer à la Conférence d'Anapolis, a, d'autre part, précisé que la présence de la Syrie est nécessaire. Surtout s'il y a une véritable intention chez les organisateurs à trouver des solutions pour les problèmes de la région du Moyen-Orient. Selon le ministre égyptien, Ahmed Abou al-Gueith, il faut prendre très au sérieux les conséquences qui pourraient émaner de la conférence des contestataires. Mobilisation tout azimut D'autant plus, qu'il serait concevable de prendre également en considération le fait que la Syrie et l'Iran ont déjà mis le paquet, politiquement et matériellement, afin que cette manifestation atteint son but. Pour preuve, les facteurs de contrepoids existent déjà; ne serait-ce que sur le plan de la présence palestinienne où la conférence d'Anapolis a été initiée pour discuter ses problèmes avec Israël. Mis à part le Hamas et le Dijhad islamique, les autres organisations palestiniennes -la majorité sont des membres de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine-ont fait savoir officiellement qu'elles participeront à la conférence de Damas. Ce qui a incité Mahmoud Abbas à dépêcher une forte délégation pour rencontrer les dirigeants syriens et leur demander d'user de leur influence auprès d'elles afin de revenir sur leur décision. La conférence de Bush, qui bat déjà de l'aile, sera compromise au cas où celle de Damas réussira à se tenir. Et, de plus, rassembler, outre l'Iran et la Syrie, la majorité des partis politiques arabes, musulmans et aussi étrangers, auxquels s'ajoutent les associations de la société civil. La rencontre qui a regroupé, en début de cette semaine à Damas, les chefs de la diplomatie iranienne, Manouchar Metteki et le syrien, Walid al–Mouallem, aurait mis les dernières retouches concernant la «Conférence des défis». Cela dit, il n'en est apparemment pas question qu'elle soit annulée pour une raison ou pour une autre. Pour preuve, les attaques émanant des médias de certains Etats arabes associés aux Etats-Unis ainsi que ceux parlant au nom de l'autorité palestinienne. De son côté, le membre du Comité exécutif de l'OLP, le numéro 2 du Fath, Farouk al-Kaddoumi, affirme qu'il assistera au nom de l'organisation à la Conférence de Damas. Ce qui rend la situation de plus en plus complexe pour Mahmoud Abbas. Kaddoumi mise avec ses alliés au sein du Fath sur le refus israélien de faire les moindres concessions qui aideront son adversaire politique, Mahmoud Abbas. Malgré les déclarations d'ouverture du premier ministre, Ehud Barak, on est toujours loin des concrets; à savoir, les négociations portant sur le statut final : l'avenir de la ville sainte d'Al-Qods et le droit au retour des réfugiés. Des conditions sur lesquelles les chefs d'Etat arabes, notamment amis des Etats-Unis ne peuvent céder. Les déclarations du roi Abdallah ben Abdel Aziz à BBC TV ont été claires dans ce sens. Dans cette foulée, Syriens et Iraniens travaillent en profondeur, mobilisant leurs réseaux partout dans le monde arabe et islamique. Au Caire, on affirme que Téhéran financera la Conférence de Damas de A à Z. Elle prendra en charge les invitations de toutes les délégations étrangères ainsi que les aspects de l'organisation. «C'est un coup de maître», précisait à La Gazette du Maroc, Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue Arabe. Alors que tout le monde, Autorité palestinienne et Etats arabes étaient préoccupés par les modalités et l'ordre du jour de la Conférence d'Anapolis, Damas et Téhéran mettraient en place leur plan qui «perturbera un projet déjà perturbé». Derniere tentative L'actuelle tournée occidentale du roi Abdallah ben Abdel Aziz qui a débuté par la Grande- Bretagne vise, entre autres, à inciter les gouvernements des Etats visités à faire pression sur Israël afin de prendre des positions qui relanceront son initiative de paix arabe . Le souverain Saoudien, qui est conscient mieux que quiconque que l'échec de la Conférence d'Anapolis pourrait renforcer le camp des purs et durs dans la région et, par là affaiblir les Etats modérés, dont son pays, l'Egypte et la Jordanie, constituent l'axe principal. En refusant de faire la moindre concession nécessaire à l'ouverture des négociations de paix, Tel-Aviv aurait alors donné toutes les cartes, aussi bien chez les Palestiniens et les Arabes qu'à ceux qui préfèrent garder le statu-quo actuel. Ce qui ne peut, selon les responsables saoudiens, que servir les intérêts stratégiques de l'Etat hébreu. L'échec de la Conférence d'Anapolis placera les Etats arabes modérés dans une situation critique. Ils ne pourront plus jamais jouer le rôle de zone tampon ni de soupape de sécurité pour la région, interdisant d'éventuelles guerres. La mission des modérés arabes consiste dans l'engagement vis-à-vis d'une solution de paix juste et durable, en plus d'une cohabitation avec Israël. Ce, à condition que ce dernier soit sérieux, en mettant fin à l'occupation et à l'acceptation d'un Etat palestinien. Ce qui n'est pas le cas, à quelques semaines de la Conférence internationale de paix initiée par George Bush.