La politique est pour les partis ce que les patins à roulette sont pour les baladeurs : vous allez en partie là où vous voulez aller et en partie là où ces machins vous emportent. Il est effectivement très rare, sinon quasiment impossible que l'enjeu initial reste intact. Le chemin change le marcheur. Ainsi en est il pour le PJD, en ces temps de pré-campagne électorale. Car le parti de Saâdeddine Othmani, est lui-même atteint du syndrome dont les autres partis ont déjà souffert, ou souffrent encore. A savoir : les fugues et les dissensions pour raison électorale pure ! Le symbole de cette «normalisation» est sans doute aucun l'ex-député PJD, Hassan Anajjar, élu au nom du parti islamiste à Nador. Déçu des choix de son parti quant à son candidat pour briguer le siège de la circonscription de Nador, les islamistes ont adoubé le secrétaire régional Mohammed Taoufiq, il a mené une réelle mutinerie : il a effectivement convaincu pas moins de dix membres du secrétariat de Nador à suivre son mouvement, et partant démissionner de leurs postes partisans. Cap sur le Parti de Mohammed Khalidi, Renaissance et vertu. Une belle revanche, s'il se trouve pour l'ex-membre de la direction du PJD qui a été prié de quitter le parti, sans ménage. Anajjar n'est surement pas le seul qui soit en rogne contre la direction. A Oujda, Casa, Mohammedia et ailleurs les frondeurs ne se comptent pas. Et sont souvent des membres influents dans les rouages du Parti dans leurs fiefs. Typique, la région de Tétouan est un bel exemple pour les observateurs rompus à défendre les thèses de John Waterbury et son «segmentarisme» politique, symptomatique de la vie nationale marocaine. Amin Boukhoubza, tête de liste du PJD, et député sortant en a vu de toutes les couleurs et est vertement contesté par les siens. Il est là, donc pour prouver que Waterbury voyait juste : la scission et les contestations intestines sont un vrai sport marocain. L'élite, selon l'anthropologue politique américain finit par s'entre dévorer pour réussir à se faire une place. Pour la direction, les mêmes réflexes que ses semblables dans les autres formations politiques: la discipline et les équilibres passent avant tout! Et les mécontents ? «ils n'ont qu'à se tenir tranquilles en attendant des heures meilleures» laisse-t-on tomber dans la direction. Parfois on sent un pragmatisme cruel. On se souvient de ce que disait l'ancien président français François Mitterrand : «L'action politique, à certaines heures, est comme le scalpel du chirurgien, elle ne laisse pas de place à l'incertitude» disait-il. Encore plus, pour un parti promis à une réelle victoire. Et le puritanisme politique et morale, incessamment brandi par les amis de Abdelilah Benkirane ? Justement, la participation dans la gestion et le partage, presque tombé du ciel en moins d'une décennie, des «biens» de la politique ont créé leur élite. Leur logique mène quelque part, un peu loin de la ligne du départ, loin de la mystique du départ aussi.Le moralement, ne crée pas, forcément des heureux élus politiques. Pour le politologue Mohammed Tozy «Le parti est forcé de se transformer idéologiquement et organisationnellement. On renforce, les structures du parti et on multiplie les niveaux hiérarchiques. On aménage une position privilégiée pour les élus. On met en place des structures sectorielles (cadres, élus, ingénieurs...). On instaure la cooptation». Du coup, on est loin de l'image d'un parti idéaliste où c'est «l'idéologue charismatique qui domine dans une relation directe avec la base» et où La réussite est fondée sur l'exemplarité, la piété et la proximité. Et l'auteur de «la monarchie et l'islam politique» d'ajouter «On peut même dire pour le PJD, que l'entrée en politique débouche sur un pragmatisme à peu près total. Et même sur la tentation d'un jeu plus politicien que politique».