Tous représentés par leurs travaux à Assilah, les jeunes peintres marocains qui s'exposent aujourd'hui, ont des affinités divergentes, mais prennent sur eux l'avenir de la peinture locale. Beaucoup de métier, et déjà une bonne maîtrise de la couleur et de la forme. De Mouad Yebari à Mohamed Anzaoui et Khalid El Bekkay, en passant par Mounat Cherrat, Narjiss El Joubari, Younes El Kharraz ou Hassan Chergui, une nouvelle peinture marocaine est déjà née. Ce qui séduit chez cette jeune expression picturale, c'est une certaine modestie, mâtinée d'une bonne dose de pied sur terre et tête sur les épaules. On est à la fois conscient que ce sont là les prémices de ce qui peut-être une longue route à traverser avec des crêtes et des creux, et surtout que la peinture est, au-delà de la longévité, une affaire d'apprentissage constant. Et là, déjà un signe, chez trois peintres, qui jouissent aujourd'hui d'une certaine notoriété : Mohamed Anzaoui, Khalid El Bekkay et Mouad Yebari. Chez ce trio, l'évolution est palpable. De ce qui a été vu, il y a plus de cinq ans et ce qui est peint aujourd'hui, nous sommes tout bonnement devant deux sphères picturales distinctes. Certes, il y a des constantes où l'on détecte le cumul d'années de travail, mais le bond est consommé avec son lot de nouvelles techniques, de nouvelles expérimentations et partant de nouveaux défis. Affirmer son identité Les jeunes peintres marocains ont eu fort à faire avec l'héritage d'une génération où l'on compte quelques figures emblématiques des arts plastiques au Maroc, de Gherbaoui à Kacimi, en passant par les Cherkaoui, Hassani, Belkahia, Saladi, Miloudi et les autres. Beaucoup n'ont pas supporté le poids du travail des aînés et sont tombés dans un mimétisme primaire. Ce n'est pas le cas de Mouad Anzaoui et El Bekkay. Là, nous sommes face à une peinture qui revendique ses identités multiples et s'approprie et son histoire et son vécu. D'abord Mohamed Anzaoui étonne par son sens de l'anecdote picturale. À mi-chemin entre les Comics dans son sens premier (à l'américaine) et le fléchissement de tout support pour abriter l'histoire de ce qui est peint, ces figurines aux proportions libres, habitent la toile dans ces confinements. Sans obstruer l'éclatement des coloris, l'intrusion de ces éléments de sens (comme signe identifiable et référent sémantique) octroie une profondeur précise à la toile et, du coup, dégage les formes qui l'enserre et les couleurs qui la délimitent. Anzaoui ose une palette large et y incruste ce rappel qui fait que son œuvre exposée aujourd'hui, se lit comme une seule toile fragmentée dont les éparpillements peuvent vivre sans leurs corollaires. Mouad Yebari est, lui, plus à l'aise avec le grand format. Son travail se décline comme une réflexion plus ou moins inconsciente sur le sens de la forme et sa relation à la couleur qui préside à son surgissement. Déjà dans les petits formats (1m sur 1m) la toile est appréhendée comme une succession de couches qui révèlent autant qu'elles cachent. Silhouettes à peine dévoilées qui habitent les profondeurs de l'espace peint. Et les couleurs viennent s'ajouter comme autant de surimpressions sur un espace déjà raclé où il ne suffit pas de lire la surface, mais de bien s'approcher de la toile pour en scruter d'autres révélations qui affleurent dans la proximité de la rétine. Hasard ou technique avérée, le travail de Mouad est changeant pour peu que la distance qui nous y mène ou nous en sépare s'accroît ou s'émiette. Et quand il est sombre, l'espace peint en remet une couche de force dont le corps avoisinant prend tout le suc et dénude ses contours déchiquetés. Khalid El Bekkay a pris le parti de l'exploration sous diverses formes. Une peinture du détail autant que de l'ensemble. Et dans ce va et vient, il y a toute une palette de couleurs qui expérimente leur champ d'expression et de suggestion. El Bekkay sait aussi agencer sa toile, lui donner un équilibre qui n'est pas la reproduction d'un schéma préétabli, mais la surface peinte obéit à une composition rigoureuse. C'est d'ailleurs là, l'un des points forts de ce travail où l'on sent que la toile est assujettie à une démarche d'échelonnement. Répartition des couleurs et des formes où la représentativité cède du terrain au sens du voisinage comme approche picturale. En somme chez El Bekkay, il faut peut-être dépasser l'ensemble peint, pour accéder aux accointances suggérées. Ce pas à franchir donne à ce peintre une dimension autre. Expérimentations Ce que le trio Anzaoui, Mouad et El Bekkay a su éviter au fil du temps, d'autres s'efforcent encore à conjuguer leurs sensibilités propres et ce champ d'expérimentation qui est un passage obligé pour une certaine catégorie de plasticiens. El Hayani, El Kharraz, Cherrat, Nadif, Zemmouri, Chergui, Benyezza, Benjelloun et Jebari incarnent une expression picturale dont les identités à trouver restent à définir. À des degrés divers, certains ont eu l'occasion de démontrer toute la sensibilité qui préside à leur travail, d'autres n'arrivent pas à s'affranchir de ce qui a été déjà vu. Et de fait, nous sommes devant plusieurs reprises sur des variations de thèmes et d'approches, tant dans les formes, les couleurs et les sujets picturaux, qui n'ont pas encore décidé de quelle identité afficher. De la représentation abstraite à l'abstraction représentative, il y a toujours ce souci de rester dans ce qui est tracé, connu, presque assuré. Il manque cette touche d'audace pour explorer d'autres territoires picturaux, et là pour beaucoup de noms cités plus haut, il y a matière à créer des univers à part et très profonds. Mais cette jeunesse qui est aujourd'hui exposée grâce à l'efficacité de Leila Faraoui, a déjà assuré l'essentiel : une galeriste chevronnée qui sait mener les talents vers leurs tripes et en tirer à la fois la force et la verve créatrice. Mouad et Anzaoui à l'Atelier à Assilah, jusqu'au 31 août 2007 El Bekkay et les autres au Centre Hassan II des rencontres internationales à Assilah, jusqu'au 31 août 2007.