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Cinémas, mémoire détruite
Publié dans La Gazette du Maroc le 18 - 06 - 2007

De nombreuses salles de cinéma ont mis la clé sous le paillasson à Casablanca. Les raisons derrière une telle débâcle sont multiples, mais au-delà des problèmes liés à l'argent et aux bénéfices, il y a la négligence, l'ignorance et la marginalisation de ces hauts lieux de la mémoire et de la culture, non seulement de la ville de Casablanca, mais du Maroc dans son ensemble. Etat des lieux.
On ne va pas revenir sur le triste exemple du cinéma Vox, rasé, pour zéro raison. Détruit par pure bêtise, ce qui a fait déjà la risée des responsables de l'époque qui ont pu autoriser un tel désastre. Car, dans les milieux spécialisés, entre architectes et urbanistes, en Europe et en Amérique, la perte du cinéma Vox, est une immense aberration. Mais, les exemples sont aujourd'hui légion, et de nombreuses salles de la ville de Casablanca sont menacées de fermeture, et par là même, de destruction, pour donner naissance à des immeubles et autres centres commerciaux.
L'hécatombe
du centre-ville
Les salles les plus connues du centre de Casablanca ne font plus recette, et, il est même, dans un sens, logique, que les propriétaires et les exploitants pensent à fermer, vendre le terrain et se recycler dans d'autres métiers. Un tour dans la ville pour se rendre compte que ce patrimoine à la fois architectural et culturel tombe en ruine, et rien, n'est entrepris pour arrêter l'hémorragie. Le cinéma Lux a fermé ses portes depuis longtemps. L'unique cinéma du boulevard Lalla Yakout n'existe plus. Une page est tournée et rien ne semble pouvoir la rouvrir. Et avant même de fermer, ce cinéma tant aimé par les habitants de Derb Omar, Rahal El Meskini, Ben Jdia et d'autres zones de la ville, n'était plus qu'un lieu de rencontre pour couples en mal de sexe. Aujourd'hui, la devanture est crasseuse où s'amoncellent les canettes de bières et les mégots laissés par les clients des bars avoisinants. Pourtant, ce cinéma tenait le haut du pavé dans le centre-ville. Architecture, somme toute simple, mais de bonne facture, un écran aux dimensions étudiées pour une meilleure vision, la salle faisait partie des plus belles de la ville, au même titre que celles du Lynx ou du Rialto.
Sur le boulevard Mohammed V, un autre fleuron de la culture bidaouie a aussi fait les frais de la mondialisation. Entre DVD piratés, vendus à cinq dirhams (le comble, est que cela se vend devant les salles de cinéma comme un pied de nez), et clients qui se comptaient sur les doigts d'une main, le cinéma Empire n'est même plus un souvenir. Il n'a plus d'impérial que ce passé somptueux où il siégeait, pignon sur rue, en plein boulevard, comme une invitation aux loisirs, à la culture et au plaisir. Son voisin de palier l'ABC, perdra bientôt ses lettres de noblesse et ne sera qu'un triste souvenir. Plus loin, au bout de la rue du Prince Moulay Abdellah, le cinéma Triomphe, lui, a tout perdu. On a essayé de le restaurer, le ratage était tel, que les travaux battent leur plein en ce moment, en vue, selon nos sources, d'un nouveau centre d'appel. Le beau cinéma Triomphe, au toit ouvrant, presque un cas unique dans l'histoire des salles de cinéma de par le monde, a fini dans un bâtiment hybride, qui ne ressemble plus à rien, et qui a déjà entamé son recyclage moderniste.
Restent le Ritz, juste en face du Rialto, le Lynx qui tire sur la corde et se bat pour garder un soupçon d'existence, le Rif et sa sauce indienne, le Lutétia, le Liberté, qui tous, à des degrés divers sont sous le coup de sérieuses menaces. Car le nerf de la guerre manque cruellement, et on ne peut, en aucun cas, en vouloir aux propriétaires et exploitants qui font aussi du business et se doivent de gagner de l'argent dans un secteur où le manque de moyens est un arrêt de mort.
Les recettes sont faibles, de moins en moins de clients, concurrence des pirates, Derb Ghallef ou ailleurs, puisque les DVD se baladent de main en main dans les cafés, sur les trottoirs, et ailleurs, c'est ce que la plupart des responsables avancent comme causes de ces états des lieux, plus que désastreux. Mais il n'y a pas que cela.
La réhabilitation
de la culture
Tout passe par la voie de la culture pour réhabiliter le septième art au Maroc. L'exemple du cinéma Mauritania (voir LGM numéro 528), acquis par la ville et qui est en phase de redressement est un bel exemple qui peut illustrer cette conscience qu'il faut prendre et qui veut que la culture soit un réel moteur de développement humain. Les salles de cinéma jouent un rôle prépondérant dans la vie des populations. Ce sont de véritables lieux de rencontres. Et sans citer d'exemple, et malgré la chèreté des tarifs, certaines salles, ont toujours des clients. Mais, la marginalisation de tout ce qui est culturel au Maroc, a entraîné dans son sillage la débâcle de plusieurs salles de cinéma, qui se comptaient par centaines et qui ne sont aujourd'hui, que quelques dizaines, toujours en service, et pour des cas, à perte. Comment résoudre une telle équation ? C'est très simple : d'abord une prise de conscience de la part des autorités pour redonner aux cinémas leurs places de choix au cœur de la vie de la cité, comme c'est le cas dans de nombreux pays et pas uniquement en Europe. A ce titre, les exemples égyptien et libanais sont très éloquents, sans parler de ce qui se fait en Tunisie et en Algérie, où plusieurs salles ont été sauvées, justement, parce que les décideurs ont pris leurs responsabilités. Il s'agit d'un héritage, de la mémoire d'une ville, de hauts lieux de partage et de convivialités. Ensuite, investir de l'argent dans la restauration de toutes ces belles salles qui sont des pièces uniques d'architecture. Faire appel à des professionnels, redorer le blason de ces lieux qui peuvent servir à véhiculer de nouvelles formes de comportements civiques. Et, il y a aussi le problème des tarifs qu'il faudra revoir à la baisse pour que les Marocains puissent retrouver le goût d'un déplacement en famille, une réelle sortie en groupe, qui ne sera pas synonyme de ruine. Combien d'entre nous peuvent se payer un ticket de cinéma à 45 dhs ? Très peu. Et le reste ? Ils peuvent se passer de cinéma. Non, les Casablancais aiment le cinéma, ils ont eu l'habitude de fréquenter leurs belles salles, mais quand les tarifs font un bond, les bourses se rétrécissent. On préfère alors un DVD piraté chez soi qu'une sortie en famille qui peut coûter au bas mot 400 dhs. Et si on réduisait les tarifs dans les salles du centre-ville, on verrait le public revenir pour remplir ces salles sombres et vides où les courants d'air font office d'attrape-mouche. Un ticket à tarif raisonnable permet aux jeunes de redécouvrir les joies des salles de cinéma de la ville, qui elles, pourront faire tourner les affaires, et éviter la fermeture et la démolition. C'est dans ce sens, qu'il est urgent de se pencher sur ce point important qui est partie intégrante d'une réflexion plus générale sur le patrimoine culturel et architectural de Casablanca. Une réelle étude, un véritable débat pourront encore sauver des salles à Casablanca. Avec un peu de bonne volonté aussi.
Plus une salle de cinéma dans
la médina !
La médina a vu toutes ses salles de cinéma tomber pierre après pierre. L'exemple du cinéma Médina, qui portait bien ce nom emblématique et nostalgique, a rendu l'âme ces dernières années et a servi pendant quelque temps, de terrain pour mini-foot. Triste sort pour un cinéma de quartier. Certes l'édifice était vieux, mais une bonne restauration aurait suffi pour le sauver . Non, il a fallu attendre de le voir tomber en morceaux pour que les bulldozers finissent le travail de sape. Aujourd'hui, l'ancienne médina de Casablanca, qui avait des endroits pittoresques, les a tous perdus, sans que rien ne soit fait pour éviter cette razzia. Pourtant, les habitants de la médina avaient fait de cet endroit un véritable lieu de culte. Point de chute entre amis, lieu des rendez-vous, esapce de rencontres, c'était la place forte de la vie de quartier. Peu importe le film, Karaté, Indien, série Z, l'important était que ce lieu vivait et permettait aux gens d'avoir un moment de loisir. Aujourd'hui, il y a des étiudes en cours pour réhabiliter l'ancienne médina et son patrimoine architectural, et le cinéma doit y avoir sa place. Au-dela du charme que cela peut avoir, il faut aussi offrir aux habitants de la médina, qui est le berceau de toute cette mégapole, la chance de pouvoir jouir des plaisirs des salles obscures, près de chez eux, selon leurs bourses, selon leurs habitudes. Et du temps du cinéma Médina, la vie nocturne dans l'enceinte de la vieille ville, avait une saveur toute particulière.
La vie des cinémas de quartier
Il y a pourtant quelques salles de quartier qui vivent encore. Par miracle, mais ce miracle est humain. Les gens vont au cinéma à Derb Sultan, à Hay Hassani, à Hay Mohammadi, d'abord parce que cela fait partie du mode de vie, ensuite parceq ue les tarifs sont raisonnable. Ce qui confirme ce que l'on disait plus haut. Des salles comme Kawakib, Shehrazade, Chérif, Saâda tiennent le choc devant les DVD piratés. Quel le secret de la longévité de ce type de cinéma de quartier? Le coût, les tarifs réduits. Une salle de cinéma à 8 dhs, c'est à la portée d'un habitant d'El Fida, mais 45 dhs, certainement jamais. D'où la necessité aussi d'encourager les propriétaires des salles dans les quartiers populaires. Car, ces personnes participent d'une manière directe à la vie dans la vile. Ils pérennisent un style de vie, des habitudes et veulent tenir le choc. Ils méritent que l'on s'intéresse à leurs salles, qu'on finance même les travaux de restauration pour aider la culture à prendre sa place dans le tissu social des Marocains. Et quand on fait un tour dans ces salles, certains soirs, elles sont combles. Un film banal, mais qui fédère, et dans le bon sens. Ce sont là des acquis sociaux importants qui demandent à ce qu'on y réfléchisse à deux fois avant d'autoriser de détruire une salle de cinéma.


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