Quoi de neuf dans le procès de Madrid pour les attentats du 11 mars 2004 ? Absolument rien, n'étaient les différentes sorties du Marocain Jamal Zougam qui déroutent la justice espagnole, prise au piège du manque de preuves accablant le principal suspect. Comment mener alors des audiences dans un flou de vraies-fausses preuves et des témoiganges facilement démontables par la défense ? L'audience nationale est mise à l'index, alors que des associations espagnoles demandent la vérité sur le 11 mars. Analyse. Finalement deux juges espagnols, et pas des moindres, auraient échoué devant le cas Jamal Zougam, principal accusé dans les cadre des attentats de Madrid, le 11 mars 2004. D'abord le juge Baltasar Garzon, qui voulait épingler le Marocain en 2001 lors de la fameuse et très médiatique opération Datil, aidé en cela par une commission rogatoire où le juge français Bruguière a lui aussi essuyé un sacré revers. Jamal Zougam voit des connaissances tomber comme des mouches, d'Abou Dahdah à Saïd Cheddadi, et s'en sort, lavé, épuré, blanchi, passé au pressoir de deux justices européennes qui finissent par lâcher prise. En 2003, après le 16 mai casablancais, le même Zougam est cité et là, encore le juge Grazon n'a rien à se mettre sous la dent. Après le 11 mars 2004 et les attaques d'Atocha, Zougam est présenté à peine quelques heures après le massacre comme le suspect numéro 1. S'ensuivent des tractations, des complices arrêtés et relaxés, bref, un charivari de tous les diables, et rien ne peut encore une fois confondre le Marocain. Trois ans plus tard, le procès de Madrid s'ouvre, celui de la cellule espagnole d'Al Qaïda. Il y est entendu en sa qualité de témoin (encore un revers au juge Grazon) et il s'en va à sa cellule de la prison de Soto Del Real en attendant son propre jugement comme auteur matériel des attentats de Madrid. Là, c'est le juge, Juan Del Olmo qui instruit le dossier. On change de juge et de bureau à l'audience nationale, mais le résultat est le même: Zougam sait qu'il peut s'appuyer sur les failles de l'instruction. C'est ce que ses avocats font, et il s'en sort plutôt bien pour quelqu'un qui est accusé d'avoir massacré plus de 193 victimes et fait quelques 1400 blessés. Ce qui a depuis le début de l'instruction dérouté les juges, c'est que le Marocain n'hésite pas à demander des confrontations avec d'autres impliqués dans le même dossier du 11 mars. Il exige (et la loi lui octroie ce privilège) le passage à la barre d'un autre Marocain: Rafa Zouheir, indic de la guardia civilo et ami avec la pègre et autres petits dealers de Lavapiès, là où Jamal Zougam avait son magasin de téléphonie et autre matériel informatique. Le passage de Zouheir (natif de Derb Sultan à Casablanca) est un tollé. L'ex-indic implique des Espagnols et livre une liste qui n'en finit pas de personnes mises au courant du déroulement des préparatifs des attentats sans bouger le petit doigt. Ensuite, c'est au tour d'Emilio Suaraez Trashorras de livrer ses secrets. Zougam demande des confrontations L'ex-minier, lui aussi indic à ses heures, ami de Rafa Zouheir, avoue avoir vendu les explosifs à Jamal Ahmidan, dit El Chino, et non à Jamal Zougam. Deux témoins clés qui mettent Zougam hors du coup et citent d'autres personnages, qui, du fait, prennent les rôles principaux dans une distribution aux allures de péplum. En résumé, Zougam n'a pas commandé les explosifs des mines des Asturies; il n'a pas rencontré, pas une fois, selon même la police, Jamal Ahmidan; il n'a pas participé en donnant de l'argent aux terroristes ; il n'avait pas de lien avec la tête pensante du groupe de Leganès le Tunisien Abdelmajid Serhane Fakhet; il ne fréquentait pas les frères Oulad Akcha; et surtout, il n'a pas eu de contacts avec Osman Rabii Essayed et Mohamed Afallah. C'est là que le terme utilisé pour son accusation prend tout son sens : auteur matériel. Un responsable de l'audience nationale, contacté par LGM, nous explique que cela veut simplement dire que Zougam «à posé les bombes dans le train». La preuve ? Un témoin oculaire. Un seul témoin occulaire. Qui est-il ? Là, les choses se corsent pour les juges : le témoin en question est un Marocain poursuivi devant la justice par le même Jamal Zougam qui a, en plus, eu gain de cause dans cette affaire. Un témoin, comme le dit l'un des avocats de Zougam : «pour le moins louche sinon inacceptable puisqu'il est considéré comme un ennemi par mon client». Et c'est sur la base du témoignage de ce seul individu que le juge Del Olmo a construit son dossier, décrit par des membres du Congrès espagnol, toutes tendances politiques confondues, comme «bancal, inachevé et très faible». Et Zougam et ses avocats se baladent dans ce procès. Ils ont demandé à entendre des agents de la Guardia civil, des prisonniers incarcérés lors des opérations Nova I et Nova II, en plus des confrontations avec Abdelmajid Abouchar, l'autre auteur matériel des attentats qui a été arrêté en Serbie. Ce dernier accusé pèse lourd dans la balance de Zougam : non seulement, il infirme ce que l'accusation avance, mais il apporte la preuve que Zougam n'a jamais connu le fameux Mohamed Achraf, l'homme qui a planifié et commandité, dit-on, les attaques de Madrid. La question qui demeure posée est la suivante : si Zougam est réellement un poseur de bombes, «qui l'a recruté et pour le compte de quel guide, chef ou leader il a travaillé ?», c'est en substance ce que la défense demande à savoir, et là c'est au juges de démontrer que Zougam a été contacté, qu'il a collaboré, qu'il a pris un sac rempli d'explosifs et qu'il l'a posé dans le train qui a explosé. Pour l'instant, aucune preuve de ce type n'est disponible pour la justice et l'accusation, et rien ne peut faire condamner Zougam «surtout pas un témoin qui cherche, selon toute vraisemblance, à se venger». Zougam/Shakur : Quel lien ? Dernier fait en date, la probable confrontation entre Jamal Zougam et Farid Hilali, connu aussi sous le nom de Shakur. Ce dernier a été arrêté en Grande Bretagne et livré à l'Espagne. Il est accusé pour sa présumée implication dans les attentats du 11 septembre 2001. Que vient-il faire dans ce dossier? Voici le première grande inconnue. Selon une source proche du dossier à l'audience nationale de Madrid : «Si les juges arrivent à faire le lien entre Hilali et Zougam, ils peuvent démontrer aussi que Zougam avait quelque chose à voir avec les attentats du 11 septembre» Autrement dit, on revient au point de départ de cette fameuse commission rogatoire entre Garzon et Bruguière avec l'implication de David Courtailler (présumé membre d'Al Qaïda par la justice française et présumé ami de Zougam). D'un autre côté, si la justice arrive à alpaguzer Zougam dans un cas antérieur au 11 mars 2004, on pourrait «facilement remonter les pistes et faire de Zougam non seulement un auteur matériel, mais pourquoi pas un chef de groupe». C'est dire que le cas Zougam est épineux et qu'il pose des équations à plusieurs degrés dont les solutions sont aujourd'hui encore improbables.