À en juger par la manière dont les attentats de Madrid furent exécutés sans coup férir, les poseurs de bombes n'étaient pas sous surveillance. Pendant que les terroristes planifiaient leurs attaques, le gouvernement espagnol sortant était obnubilé par le Maroc. Si la coordination antiterroriste avait été exemplaire du côté de Madrid, Zougam et ses complices auraient été neutralisés et les attaques meurtrières des trains probablement évitées. Mais Madrid a préféré réserver un autre sort aux mises en garde marocaines. “Je vous rends responsable de la mort de mon fils“, crie un homme à l'adresse du Premier ministre sortant José Maria Aznar. C'était lors des funérailles d'État organisées, mercredi 24 mars, à la mémoire des victimes des attentats terroristes du 11 mars à Madrid. Présentes à cette cérémonie émouvante, les familles des morts et des blessés partagent certainement ce cri de cœur qui en dit long sur le désastre auquel a conduit la politique extérieure du gouvernement sortant dirigé par le Parti populaire (PP). Après la colère et le deuil, vient le temps des questions. Comment se fait-il qu'une bande de terroristes ait pu passer à l'action à la barbe et au nez des services de sécurité espagnols ? Il est désormais établi que le principal suspect dans ce massacre, le Marocain Jamal Zougam, a été auditionné puis relâché par le juge anti-terroriste Baltazar Garzon dans le cadre de l'affaire de la cellule espagnole d'Al Qaïda démantelée en novembre 2001. Et pourtant, M. Garzon savait que M. Zougam avait été hébergé un moment par un de ses compatriotes soupçonné d'être lié à une mouvance extrémiste. Il s'agit de Abdelaziz Benaïche détenu en Espagne en juin 2003 suite au mandat d'arrêt international lancé par les autorités marocaines après les attentats du 16 mai 2003 pour son implication présumée dans ces derniers. Son frère, Salaheddine, fait partie des inculpés de la Salafia Jihadia jugés au Maroc pour leur responsabilité dans ces attentats. Jamal Zougam, qui se trouvait alors au Maroc, a pu regagner l'Espagne quelques jours avant les événements du 16 mai. Les services de sécurité marocains, qui le soupçonnent fortement d'être un des instigateurs des attentats de Casablanca, alerteront leurs homologues espagnols sur le cas Zougam ainsi que sur celui d'un autre individu qu'ils tiennent pour l'ingénieur des attaques de Casablanca : Abdelkrim Thami Mejjati. Les enquêteurs marocains, qui croient savoir que celui-ci est parvenu à quitter le territoire national pour se cacher en Espagne, attireront également l'attention des Espagnols sur le danger que représente ce jeune terroriste. C'est lui qui serait aussi derrière la tragédie madrilène. De là affirmer qu'il existe des passerelles entre les instigateurs des attentats de Casablanca et ceux de Madrid, il n'a y a qu'un pas que les enquêteurs ont aujourd'hui franchi. Or, force est de constater que le dispositif antiterrorsite espagnol n'a pas fonctionné en dépit des mises en garde marocaines. Les Espagnols ne rechercheront pas Majati, ils n'extraderont pas non plus Zougam. Ce n'est qu'au lendemain des attaques de Madrid qu'ils s'aviseront d'accéder à la demande d'extradition d'un autre suspect dans les actes terroristes de Casablanca du nom de Hicham Tamsamani dont le frère, Rachid, est un trafiquant de drogue notoire qui pour échapper à la justice marocaine avait trouvé refuge pendant plusieurs années en Espagne avant d'être remis récemment aux autorités de son pays. Si la coordination antiterroriste avait été exemplaire du côté de Madrid, Zougam et ses complices auraient été neutralisés et les attaques meurtrières des trains probablement évitées. À en juger par leur liberté d'action dès lors qu'ils ont pu fabriquer des bombes qu'ils ont déposées ensuite sans coup férir dans des trains bondés de voyageurs, les terroristes n'étaient même pas mis sous surveillance. Ils étaient libres comme des poissons dans l'eau. À se demander ce que faisaient les hommes chargés de la sécurité de la population espagnole. Une chose est sûre : l'Espagne de José Maria Aznar, pendant que les poseurs de bombes mitonnaient leurs attaques, était obsédée par le Maroc qu'elle prenait pour un adversaire. Elle a dépensé une énergie incroyable, notamment pendant les quatre dernières années, à vouloir humilier son voisin dans une série de comportements pour le moins inamicaux. L'épisode le plus spectaculaire aura été l'envoi d'une armada de guerre, à grands renforts d'avions militaires et de frégates, pour occuper l'îlot marocain de Leïla. Ce faisant, l'Espagne cherchait à montrer qu'elle a les moyens dont ne dispose pas le Maroc pour assurer la sécurité du Détroit dans un appel du pied aux Etats-Unis. Les Etats-Unis ! À trop s'aligner sur la politique de Georges W. Bush allant jusqu'à soutenir sa sale guerre en Irak, le président sortant du gouvernement espagnol, tout à son arrogance, a braqué ses partenaires européens, irrité son voisin du Sud et négligé les vraies menaces qui guettaient son pays. José Maria Aznar regardait du côté de l'Atlantique, dédaignait la Méditerranée. Tel était José Maria Aznar, un homme aveuglé par son destin personnel et l'avenir de son parti: son bilan de Premier ministre pendant 8 ans s'est achevé sur un traumatisme national. Triste fin.