Charles Pasqua ne s'est finalement pas rendu, le lundi 21 mai2006, chez le juge Philippe Courroye. Motif: obligations professionnelles. L'ancien ministre de l'Intérieur devait, en effet, présider ce jour-là le conseil général des Hauts-de-Seine. Ce nouveau report - Pasqua avait été convoqué une première fois, le 14 mai - a été négocié entre le juge Courroye et l'avocat de Charles Pasqua, Me Lef Forster. En principe, l'ex-ministre de l'Intérieur devait se rendre chez le magistrat pour y être interrogé comme témoin assisté sur les conditions du financement tant du RPF que de la campagne pour les européennes de juin 1999. Aujourd'hui, deux juges s'interrogent sur la légalité de ce financement: à Paris, Philippe Courroye et, à Monaco, son collègue Jean-Christophe Hullin, qui instruit une affaire de blanchiment où apparaissent deux proches du président du RPF, Robert Feliciaggi, maire de Pila-Canale (Corse-du-Sud), et l'homme d'affaires Michel Tomi, tous deux animateurs de sociétés de courses au Gabon et au Cameroun. Sauf que Roberet Feliciafgi vient de se faire tuer de trois balles dans la tête. Quel lien entre ce meurtre, celui du chauffeur marocain et des magouilles financières ? Grâce à un circuit bancaire embrouillé partant du Crédit foncier de Monaco, Feliciaggi et Tomi auraient (selon le Monde, le Figaro et l'Express) financé le RPF et des associations satellites à hauteur d'une dizaine de millions de francs. Selon l'enquête judiciaire dans la principauté, l'opération se serait déroulée de la façon suivante: premier temps, en avril 1994, Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, délivre une autorisation d'ouverture du casino d'Annemasse (Haute-Savoie) à Robert Feliciaggi; deuxième temps, en 1995, ce dernier le cède au groupe Aaron, pour 100 millions de francs, pactole qui atterrit au Crédit foncier de Monaco. Enfin, quatre ans plus tard, une partie s'en va vers le RPF. De fréquents retraits d'argent liquide Pour comprendre cette histoire aux ramifications multiples, retour en arrière. Le 30 juin 2000, le parquet de Monaco, intrigué par des mouvements de fonds de grande ampleur - 300 millions de francs environ - effectués sur divers comptes offshore, propriété de Feliciaggi et de Tomi au Crédit foncier, ouvre une information judiciaire pour blanchiment. Le Service d'information et de contrôle des circuits financiers (Siccfin), l'équivalent du Tracfin français, a en effet constaté que, de 1995 à 1999, ces comptes sont souvent débités par des retraits d'argent liquide, tant à Monaco qu'à Paris, au siège de la maison mère du Crédit foncier, le Crédit agricole-Indosuez. Après un an d'investigation, le juge Hullin est parvenu à en identifier les bénéficiaires. C'est ainsi que 5 à 6 millions de francs, retirés en espèces, ont été remis à quelques ministres de pays d'Afrique occidentale, gros producteurs de pétrole; qu'un club de football, le Gazelec d'Ajaccio, un temps présidé par Robert Feliciaggi, a eu droit à 6,5 millions; et qu'une association satellite du RPF, domiciliée à Sartène, a reçu également quelques subsides. De même, un personnage influent, considéré comme le parrain de la Corse-du-Sud, s'est vu octroyer, toujours en espèces, plusieurs millions de francs. Enfin, le magistrat a appris qu'une certaine Marthe Mondoloni, fille de Michel Tomi, résidant au Gabon, a reçu, le 21 octobre 1998, sur son compte au Crédit foncier de Monaco, 17,5 millions de francs et que, sur cette somme, elle en a prêté 7,5 à la liste Pasqua-Villiers pour les européennes de juin 1999. Elle figurera en 55e position sur ladite liste. Jusque-là, rien à dire. Sauf que les notes de synthèse de la Sûreté monégasque laissent entendre que cette manne appartient à Robert Feliciaggi et provient de la vente du casino d'Annemasse. Pour en arriver à ce constat, les enquêteurs s'appuient non seulement sur le témoignage de certains employés de Feliciaggi, mais aussi sur la chronologie de différentes opérations. Ainsi, le 9 octobre 1998, l'un des comptes de Robert Feliciaggi au Crédit foncier de Monaco est crédité de 47,7 millions de francs provenant du groupe Aaron, nouveau propriétaire du casino. Quatre jours plus tard, Marthe Mondoloni ouvre un compte à la banque monégasque. Dans la foulée, le 21 octobre, elle reçoit 17,5 millions virés par Feliciaggi. Ils sont immédiatement convertis en sicav. En mars et juin 1999, les sicav sont revendues. Une partie d'entre elles - à hauteur de 7,5 millions, on l'a vu - sont prêtées à la liste Pasqua-Villiers. Elles ont été remboursées depuis. L'assassinat de Feliciaggi relance les débats sur les comptes noirs des partis et surtout des financements occultes liés à des pratiques maffieuses en Corse et sur la Côte d'Azur. Le Marocain serait-il une énième victime de la dérive financière de la politique ? L'enquête sera ouverte en décembre prochain.