L'on devinait déjà les principaux contours de la conférence euro-africaine des 10 et 11 juillet de Rabat qui ont été confirmés, d'ailleurs, par la déclaration finale. Mais la déception est grande dans le regard des Africains, peuples et gouvernements confondus, qui en attendaient plus que des promesses. C'est que le Vieux Continent tient prioritairement à faire de son espace «assiégé» une «forteresse» imprenable en sécurisant ses frontières pour les rendre étanches. Quant à l'aide au développement, il faudra attendre un hypothétique consensus de l'Union communautaire dont les lois sur l'émigration sont loin de faire l'unanimité. En résumé, le partenariat intercontinental tant attendu de ce premier forum sur la gestion des flux migratoires clandestins a fait chou blanc en mettant face-à-face une Europe «frileuse» recroquevillée sur elle-même et une Afrique «impuissante» dont l'incapacité à autoréguler ses potentiels de développement endogène ne fait que s'aggraver. Sur ce chapitre, la vielle Europe vit ses propres contradictions qui la déchirent sur le chapitre des flux migratoires. Si les Pays-Bas ont choisi la voie de la «forteresse» en durcissant les lois sur l'émigration, l'Espagne veut impliquer la «responsabilité partagée» surtout pour ne plus être submergée de migrants, tout comme la France qui se veut sélective en se faisant le porte-parole de «l'immigration choisie», l'Italie demeurant la seule à plaider pour une «Coopération européenne» consensuelle… Nous sommes loin des grands discours enflammés sur le partenariat, la prospérité partagée, la dynamique d'intégration des marchés des deux continents et la solidarité pour aider les pays africains durement touchés par la pauvreté d'où surgissent les mouvements les plus importants des personnes migrantes. Cette conférence euro-africaine sur l'émigration clandestine, qui a enregistré un chiffre record de participants, près de 60 pays et une vingtaine d'organisations et institutions internationales, prenant part à la première rencontre ministérielle du genre au niveau des Affaires étrangers et de l'Intérieur, initiée par Rabat, Madrid et Paris, aura, au baisser du rideau, plus suscité des déceptions que véritablement nourri des espoirs. Car, tous les jours, ce sont des milliers de clandestins subsahariens qui tentent de rejoindre l'Europe via l'Espagne en transitant par les présides occupés au Nord du Royaume ou du Sahara, de la Mauritanie et du Sénégal en direction des Iles canaries. Une Europe «hermétique» pour une immigration sélective L'absence de l'Algérie au forum de la capitale du Maroc, pays par où transitent nombre de subsahariens avec ses 12 000 km de frontières communes avec la Mauritanie, le Niger, le mali et la Libye, est «accusée de laxisme par les Marocains». Prétextant que pareille réunion aurait dû se tenir dans le cadre de l'Union africaine (ex-OUA) sachant que le Maroc s'en est retiré depuis 1984 et que la «rasd» y est illégalement admise à siéger. A cette défection cherchant à torpiller les résultats de la conférence ministérielle, s'ajoute, selon des sources concordantes, le sentiment que ce forum n'a pas débouché sur «des décisions spectaculaires» et qu'aucun financement conséquent ou supplémentaire n'est à espérer du Vieux Continent. C'est que tout simplement, «Les Européens veulent contrôler les flux migratoires» par la voix de France et de l'Espagne, respectivement représentées par Nicolas Sarkozy et Philippe Doute-Blazy et Miguel Angel Moratinos, qui ont lancé un appel à la concertation euro-africaine en faveur d'une «immigration contrôlée et mutuellement profitable». Ces derniers ont donné la priorité à la lutte contre les «filières mafieuses qui contrôlent l'immigration illégale entre l'Afrique de l'Ouest et centrale et l'Europe». Le message adressé par Nicolas Sarkozy, ministre français de l'Intérieur, partisan de la politique de «l'immigration choisie» mêlant le respect de la dignité humaine et la fermeté, a précisé que «L'immigration zéro est un mythe dangereux. Il est temps de parler clair : l'Europe n'a pas vocation à être repliée sur elle-même, à s'ériger en forteresse. Mais je n'accepte pas non plus le discours extrémiste des partisans de l'immigration sans limite». Sauf que cette migration sélective a décapité les ressources humaines des pays émetteurs qui voient cette forme de gestion des flux privilégiant uniquement l'exode massif des cerveaux qui sont plus 4 millions de diplômés des études supérieures à s'être expatriés en Europe. Une Europe dont l'aide promise tarde à montrer le bout de son nez même si l'effet d'annonce de porter la subvention au Maroc de 440 millions DH à 1 milliard DH peut sembler encourageante. Et pourtant, ce n'est pas faute d'efficacité que le Maroc peut être pris à partie puisqu'il est considéré, témoigne le rapport du département d'Etat américain au titre de l'année 2006, «le Maroc se situe parmi les pays qui luttent avec le plus d'efficacité contre l'immigration clandestine». Même si les partenaires communautaires se sont gardés de trop le montrer, la dimension sécuritaire a pris le pas sur les attentes d'un continent qui était en droit d'espérer mieux. Les mesures préconisées par le bloc européen convergent vers un renforcement des dispositifs de surveillance pour freiner les mouvements d'immigrés avant leur arrivée dans les territoires d'accueil. C'est-à-dire que les flux doivent être démantelés à leur naissance dans les pays d'origine ou pendant leur passage dans les territoires de transit. D'où les deux sons de cloche tout à fait aux antipodes l'un de l'autre, une Afrique qui attendait une stratégie de co-développement fondée sur des projets de développement durable bénéficiant aux régions les plus durement touchées par le phénomène migratoire, et une Europe cherchant coûte que coûte à contrôler les déplacements de personnes en direction du Vieux continent pour la sécurité de seuls membres. La rencontre de Rabat a, malgré tout, débouché sur l'adoption d'une Déclaration finale et un Plan d'action Nord-Sud combinant un renforcement des mesures de contrôle des routes de l'immigration clandestine, des initiatives de co-développement et d'organisation de l'émigration légale. Faciliter l'accès aux marchés du travail européens en assouplissant les procédures de visas, favoriser les «migrations circulaires», entre pays d'origine et d'accueil, fixes les populations en promouvant le développement et la lutte contre la pauvreté dans les pays émetteurs, diminuer les coûts de transferts des migrants vers leur pays d'origine qui représentent le double de l'aide au développement en les défiscalisant, promotion du micro-crédit, renforcement des secteurs sociaux de base, telles sont les mesures pressenties à l'issue de la conférence. L'Europe devrait presque doubler son aide au développement qui sera portée à 77 milliards d'euros à l'horizon 2010. La bonne foi du Maroc mérite mieux La rencontre a tenté de définir les moyens appropriés à même de contenir et gérer les flux migratoires en s'assignant pour ambition d'initier «une nouvelle forme de coopération entre l'Afrique et l'Europe en mettant en place un partenariat solidaire entre les deux parties sur le principe de la responsabilité partagée». Dans les témoignages et déclarations de ministres et personnalités participants à la réunion des ministres des affaires étrangères et de l'Intérieur des deux continents, les concepts forts qui ont largement émergé sont le «co-Développement», la «co-Responsabilité» et le «Coopération rénovée» si bien que d'aucuns continue de s'interroger : «Mais que va faire l'Europe ?» D'ailleurs, la réunion à huis-clos des experts du dimanche 09 juillet avait consensuellement établi trois concepts majeurs pour le suite des travaux de la conférence sur la migration : sécuritaire, développement et solidarité. Il est évident que l'Afrique espère plus que ces mesures déjà énoncées pour faire face à un des plus graves fléaux humanitaires de ce nouveau siècle. «Les propositions européennes risquent de décevoir les attentes africaines. Celles-ci se résument dans le respect par les pays développés de leur engagement d'allouer 0,7% de leur PNB à l'aide au développement. L'Afrique demande plus d'engagement européen», déplorent les observateurs. Surtout que cette dernière n'a toujours pas, à ce jour, ratifié la Convention des Nations Unies sur la protection des travailleurs migrants et des membres de leurs familles. Au chapitre de l'engagement du Maroc dans la lutte contre l'émigration clandestine, considérée par les Européens comme une «atteinte à leur ordre public» et mettant en danger leur pacte social, les flux migratoires ont enregistré une baisse de 65% au terme des six premiers mois de l'année en cours. Les services du dispositif sécuritaire marocain fort de 11 000 hommes ont démantelé, au cours de cette même période, 160 réseaux de trafiquants et mis en échec plus de 7 000 tentatives d'immigration illégale et des milliers de subsahariens ont été rapatriés dans leurs pays d'origine. Ces derniers ont témoigné, lors de la conférence de Rabat, de leur reconnaissance envers le Royaume pour le respect de la dignité et les conditions humaines du rapatriement des migrants. Mais ces mesures se limitent au cadre strictement sécuritaire car, «tant qu'il n'y a pas de solution globale à la question du développement en Afrique, les traversées de la mort reviendront à la charge. Donc, rien de cela n'est rassurant, notamment quant à la continuité de cette tendance de baisse des flux». Une certitude : le Maroc a rempli son contrat en donnant l'exemple d'une coopération multilatérale efficace et sa bonne foi mérite nettement mieux que les promesses et les fluctuations d'une commission européenne loin de s'empresser pour s'impliquer avec le poids des Vingt-Cinq. Développement du sous-développement La responsabilité historique de l'Europe coloniale Ce n'est pas en se posant en «victime de l'envahissement» des flux migratoires que l'Europe réussira à sécuriser complètement ses frontières puisque telle semblait être la préoccupation dominante de nos partenaires du Nord aux travaux du forum de Rabat. En d'autres termes, l'Union communautaire paraît soucieuse du seul impératif à renforcer les dispositifs sécuritaires des Etats du Sud invités à se muer en «gendarmes» du Vieux Continent et considérés comme des sources potentiels de danger à l'ordre public et au pacte social des nations développées. Et pourtant, si la déception des partenaires africains est grande avec des résultats bien en-decà des attentes et des promesses, elle n'en est pas moins légitime. En effet, la «co-responsabilité» ou la «responsabilité partagée» claironnée à cors et à cris par l'Espagne et la France ne peuvent éclipser la «responsabilité historique» des anciennes puissances coloniales qui avaient pillé les ressources du continent, freiner son développement et exiler ses compétences les plus brillantes. Plus concrètement, la vraie responsabilité des flux migratoires, dont se plaint outrageusement une Europe «méprisante» envers la pauvreté de pays maintenus dans un état inique de sous-développement depuis leur indépendance, revient, en première analyse, aux puissances coloniales qui sont coupables du retard accusé dans le développement économique et social de ces pays émetteurs et de transit dont la plupart des territoires, des décennies après leur émancipation politique, sont totalement dénués d'infrastructures sociales de base et végètent dans un dénuement en proie à des problèmes comme la famine, les maladies contagieuses, le Sida, l'analphabétisme, la sécheresse récurrente, les guerres civiles, les dictatures sanglantes…bref, tout ce qui est de nature à accroître, dans le continent, le «développement du sous-développement», pour citer la formule célèbre de Gunder Frank. Et si l'Europe a eu la chance inespérée de bénéficier du sauvetage d'un Plan Marshall qui avait accéléré la reconstruction des infrastructures détruites par la seconde guerre mondiale, l'Afrique n'a pas eu cette opportunité d'un plan de reconstruction d'urgence de ses infrastructures détruites par les guerres coloniales. Oui, l'Europe est responsable de l'état de pauvreté dans lequel se débat la majeure partie des populations africaines se risquant, au mépris de la mort, dans des traversées dangereuses vers le mirage d'un eldorado qui est loin d'en être un. Mohamed BEnaïssa Une vision pragmatique pour une responsabilité partagée Le ministre marocain des Affaires étrangères a donné le ton, à l'ouverture des travaux de la conférence euro-africaine sur la migration en plaidant fortement pour des «mesures pragmatiques concrètes basées sur des programmes favorisant l'épanouissement individuel et collectif à même de donner l'espoir d'une vie meilleure et de contribuer au développement local des peuples africains». Cet appel au co-développement passe impérativement par la création des conditions favorables «d'accès à une vie digne dans un climat de prospérité partagée et de sécurité globale». Mohamed Benaïssa s'est fait l'intraitable défenseur de la promotion de la jeunesse, représentant plus de 60% de la population continentale âgée de moins de 25 ans, dont les aspirations ne sont toujours pas prises en compte par les pays d'accueil s'entêtant à réclamer plus de mesures coercitives et de contrôle renforcée aux frontières. «Il convient, dès lors, de mettre notre jeunesse, moteur du développement et source des potentialités de l'Afrique d'aujourd'hui et de demain, au centre de notre stratégie et de notre action. Nous devons investir davantage dans le capital humain dans notre gestion du phénomène migratoire», a insisté le chef de la diplomatie du Royaume. Celui-ci n'est pas allé par quatre chemins pour toucher vite à l'essentiel en revendiquant beaucoup de pragmatisme à l'issue des travaux de cette rencontre : «il nous appartient à présent d'aller au-delà des discours et de jeter les bases d'une coopération renouvelée entre l'Afrique et l'Europe. Il est désormais impératif d'agir directement sur les causes profondes qui engendrent et maintiennent migratoire qui a atteint, hélas, une ampleur de plus en plus préoccupante dans un contexte de plus en plus marqué par les crises humanitaires provoquées par l'afflux massif de migrants irréguliers». Et sans chercher à jouer au «boomerang» dans la distribution des responsabilités, il reste clair et avéré que «le problème des migrations irrégulières, qui traduit une ligne de faille entre l'Europe et l'Afrique, ne peut se limiter à des considérations sécuritaires», a mis en garde le président des travaux de la conférence euro-africaine. En appelant ses pairs africains à plus de promptitude et de résolution aux efforts pour «paramétrer» un développement économique et social endogène, le président du festival culturel d'Asilah, en revendiquant des «initiatives concrètes et novatrices» en matière de politiques rénovées d'éducation, de recherche scientifique et de développement, s'élève catégoriquement contre «tous les marchands de rêves sans scrupules qui, au mépris des droits et de la dignité du migrant, font du désespoir et de la précarité de nos jeunes, un fond de commerce fort rentable ». Recommandations finales Combiner Développement et gestion sécuritaire des flux migratoires 'est là, le principal acquis de la déclaration finale de la conférence ministérielle euro-africaine des 10 et 11 juillet de Rabat qui a réussi à remporter le consensus entre tous les ministres des Affaires étrangères et de l'Intérieur de près de 60 pays participants qui ont lié la lutte contre l'émigration clandestine à l'impératif du co-développement et de la responsabilité partagée. Au chapitre du développement, il est bien établi que « la gestion des flux migratoires entre l'Afrique et l'Europe doit, en premier lieu, s'inscrire dans un partenariat de lutte contre la pauvreté et de promotion du développement durable ». A cette fin, le renforcement des capacités administratives, judiciaires et de bonne gouvernance dans les pays africains est nécessaire pour favoriser un climat propice au développement économique et à l'attrait des IDE et des investissements locaux. Les paramètres de développement durable passe, d'abord, par l'application des accords de Cotonou, la mise en œuvre de la stratégie européenne pour l'Afrique, la poursuite des objectifs du Millénaire. Mobilité des compétences et des ressources humaines, accès au marché du travail européen, initiatives promouvant les investissements productifs, développement des connaissances et du savoir-faire africains dans tous les domaines, développer la coopération tripartite, stratégies de lutte contre la xénophobie, le racisme et les stéréotypes, préfigurent les mesures essentielles à mettre en œuvre par les partenaires euro-africains. Au registre de la gestion des flux migratoires, les participants sont convenus de la nécessité de renforcer les capacités financières, logistiques, techniques, matérielles et humaines pour maîtriser les mouvements de déplacements de personnes, et de promouvoir la coopération opérationnelle entre forces de sûreté, échange de renseignements, entraide judiciaire et officiers de liaison entre tous les pays concernés. Contrôle du territoire et des frontières, coopération pour le rapatriement des personnes en situation illégale, mise en place de structures d'accueil favorisant le travail non-déclaré, campagnes de sensibilisation sur les dangers de la migration clandestine, autant de mesures faisant l'unanimité et devant se traduire par des programmes d'action dans les mois qui viennent.