Les conditions plus restrictives du code électoral adoptées par la majorité gouvernementale continuent de susciter des polémiques aux motivations diverses sinon contraires. Elles posent le problème, bien réel, de la consistance de la plupart des petits partis clientélistes, mais elles heurtent la sensibilité des partis militants de la gauche plus ou moins radicale. Comment résoudre ce dilemme ? Alors que la polémique se poursuit sur les restrictions préconisées par la majorité gouvernementale dans le code électoral, cette semaine a vu l'éclosion d'un nouveau parti formé par l'ancien ministre Abdellah Azmani. Rompant avec l'Union constitutionnelle (UC) il a avec un groupe d'hommes d'affaires et de cadres fondé l'Union marocaine pour la démocratie (UMD). Sous ce sigle, il est fait appel aux «jeunes chefs d'entreprises pour les attirer vers la politique». L'accent serait mis en particulier sur les opérateurs du commerce originaires du Souss. Encore une fois la création d'un nouveau parti est justifiée, selon les termes de M. Azmani, par le fait que «les jeunes veulent faire de la politique, mais ne trouvent pas la structure appropriée». Cet argument ne semble pas hors d'usage avec le temps car déjà il avait servi pour former l'UC et auparavant le RNI ainsi que la plupart des petites formations, souvent réduites à un sigle, qui n'ont cessé de pousser comme champignons aux abords du champ politique. Ainsi après la création récente, côté gauche, du «parti travailliste» des amis de Abdelkrim Benatik (transfuge de l'USFP), c'est cette fois, côté droite, que les amis de M. Azmani (qualifiés aussi «d'amis de Driss Basri») lancent leur mouvement. Celui-ci ne semble pas se distinguer de façon tant soit peu perceptible de l'UC dont il est issu et où il est perçu comme «un groupuscule visant à servir les intérêts de quelques personnes». L'approche des élections continue ainsi de susciter les appétits à défaut de nourrir le débat politique. Avec près d'une trentaine de partis et de groupuscules, la scène semble vouée à être encombrée de sigles, favorisant la confusion et l'altération du sens de la chose politique. Aussi les raisons avancées notamment par la direction de l'USFP pour justifier des seuils et une procédure plus sélectifs en matière électorale font état de cette inflation des sigles sans consistance et de la confusion qu'ils entretiennent aux yeux de l'électorat déjà assez sceptique. Contestations Il est vrai que les petits partis militants de gauche réfutent une telle approche qui consiste à les «exclure» aussi de la participation et de la représentation électorales. Ils estiment que seuls les électeurs doivent pouvoir trancher du degré de représentativité des candidats en lice. Ils réfutent la condition faite aux partis qui participent pour la première fois aux élections ainsi qu'à ceux n'ayant pas atteint les 3 % des suffrages lors des dernières élections et consistant à justifier de la caution de 500 signatures dont 100 d'élus pour pouvoir prendre part à la consultation. Selon eux, cela n'empêchera pas le trafic permettant de monnayer ces cautions dans la plupart des cas, alors que, pour les partis de gauche, cela implique des conditions inacceptables. Le PADS dirigé par Ahmed Benjelloun qui vient à peine de renoncer à sa position constante de boycott des élections a, sur ces entrefaits, précisé qu'il renoncera à toute participation si les nouvelles conditions du code électoral étaient adoptées. Quant aux partis qui se situent dans l'opposition et ceux qui sont restés en deçà des 3 % de voix en 2002, ils se sont ligués pour dénoncer «la dictature de la majorité actuelle» et la violation des règles de la démocratie. Certains ont même réclamé un «arbitrage» du roi alors que le PJD a exprimé sa solidarité avec eux, même s'il ne s'oppose pas à l'idée d'un seuil de 7 % (sinon même de 10 %) des voix pour que les listes soient admises à la répartition des sièges. Fidèle en cela à son double jeu permanent, le PJD veut se présenter comme le défenseur des règles démocratiques tout en attisant les protestations hostiles contre la majorité et notamment contre l'USFP. Le parti islamiste qui est donné quasi-gagnant aux prochaines élections crie au complot car, selon ses dirigeants, on voudrait le priver de cette victoire présumée en gardant l'ancien découpage électoral et en empêchant les petits partis de participer afin de ne pas disperser les voix qui devraient bénéficier aux partis de la majorité. Lui faisant écho, des porte-parole des petits partis conservateurs et clientélistes unis dans le mécontentement, ont même menacé de faire campagne pour voter en faveur du PJD. Pôles incertains Que résultera-t-il de cette agitation ? S'agit-il enfin de l'amorce d'un débat sur une «rationalisation» de la vie politique ? La notion de pôles suffisamment représentatifs, est-elle réellement admise et praticable ? Comme dans les démocraties chevronnées, ces pôles distincts auraient-ils alors chacun un noyau et éventuellement un nombre réduiit de formations qui se situent dans son environnement (comme les «Divers droite» ou «Divers gauche» en France). Il faut bien admettre que même dans les grands partis ou mouvements le problème de l'identité, de la cohérence et de la démocratie internes suscitent encore bien des problèmes et des querelles intestines. Il est certain que de la résolution, même progressive, de ces problèmes dépendra la structuration des pôles et donc leur capacité à intégrer ou à forcer les formations voisines à mieux se définir par rapport à eux sinon à disparaître. En pratique, même si les seuils préconisés dans le projet de la majorité sont retenus, on assistera encore à la présence de listes des petits partis, que les cautions obtenues aient été ou non monnayées. Sans doute l'obstacle ainsi créé jouera dans le sens d'une diminution de ces listes et même de l'élimination d'une grande partie d'entre elles lors de la répartition des sièges. Le recours à l'achat des cautions et des voix restera un mal rédhibitoire contre lequel il faudra alerter plus fort l'opinion et prendre des mesures plus sévères, y compris au sein des partis de la majorité. La question reste posée de savoir si des partis comme le RNI et l'UMP sauront évoluer et devenir plus consistants et plus crédibles pour prétendre au rôle de pôles. L'Istiqlal est lui aussi interpellé alors que les rivalités qui s'y agitent ne semblent pas être mues par des orientations politiques ou doctrinales perceptibles et contrastées. C'est à gauche que ce débat revêt une acuité encore plus grande, compte-tenu de ses référents historiques et culturels et de sa vocation à jouer un rôle avancé en matière de rationalisation et de démocratisation de la vie politique. Les restrictions du code électoral ont ravivé les querelles et les divisions anciennes de la gauche. Malgré les méfiances et les inimitiés tenaces accumulées, peut-on espérer que la polémique sur les procédures et les calculs tactiques et électoraux suscite un vrai débat sur l'impact réel qu'une gauche plus unie pourrait avoir sur la démocratisation en cours ?