Les scandales se succèdent, derniers en date : l'affaire Orascom et les implications de l'homme d'affaires émirati, Ali Mohamed al-Shorafa ; le projet de réformes économiques, initié par le président Bouteflika et piqué par le premier ministre Benflis, nouveau patron du FLN, piétine ; la centrale syndicale menace de descendre dans la rue à la rentrée ; le blanchiment d'argent à travers les groupes qui poussent comme des champignons, éclabousse le pouvoir. Les langues se délient. Partout en Algérie, on ne parle que de la résurrection du “ Trésor de guerre du FLN ” qui a coûté la vie à plusieurs leaders algériens. En dépit des efforts médiatiques déployés à la veille et après les dernières élections législatives pour améliorer l'image du pays, la situation reste floue en Algérie. “ L'illisibilité politique ainsi que les tiraillements au sommet nous rendent de plus en plus réticents ”, précise un banquier français à Alger. Le diagnostic de Cheikh Khaled ben Sakr al-Qassimi, vice-président du Groupe émirati Gibca, associé à la holding algérienne Union Bank Group, est beaucoup plus amer. “ Qualifier notre compatriote, Al-Shorafa, qui a investi en Algérie au moment où , tout le monde évitait de s'aventurer dans ce pays, d'étranger, de faux-frère qui répand l'intégrisme, est une attitude honteuse ”, souligne l'homme d'affaire qui ajoute : “ Ce n'est pas encore trop tard pour se désengager , car nous n'avons pas l'intention de payer le prix des règlements de comptes des clans au pouvoir ”. Si tu parles , tu meurs Face à ce constat décourageant, l'élite au pouvoir attribue ce flou et ces dérapages à la période de transition qui prédomine depuis quelques années. “ Cette transition qui a trop duré, n'est que le porte-chapeaux sur lequel tous les maux de l'Algérie sont accrochés ”, nous disait un jour, l'ancien premier ministre réformateur, Mouloud Hamrouche. Le problème est beaucoup plus grave, s'accordent à dire les analystes politiques algériens, affirmant qu'il existe actuellement dans le pays des groupes d'intérêts plus forts que l'Etat. Ceux-ci ont pour seule et unique devise “ Si tu parles, tu meurs ”. C'est aussi de l'avis de Karim Mahmoudi, président de la Confédération des cadres de la finance et de la comptabilité. Victime, il y a environ un mois d'un attentat avorté, ce courageux continue de recevoir des lettres de menace et d'intimidation sans que les autorités répondent jusqu'ici à sa demande de protection. Dans une interview accordée à notre confrère algérien Le Matin, Mahmoudi a indiqué “ qu ‘il ne croit pas à la version des tueurs au sens idéologique du terme. Il y a des gens qui doivent avoir bien des intérêts à défendre ”. Les fuites considérables des capitaux, d'une part, et l'afflux des investissements louches, en provenance plus particulièrement de Suisse, de l'autre, ont ravivé l'histoire sanglante du “ Trésor de guerre ” du FLN. Trésor réparti entre les comptes cochés sur listes rouges et les sociétés écrans allant de Houston jusqu'à Curaçao. Certains établissements européens chargés d'enquêter sur le blanchiment d'argent, laissent comprendre que les grands groupes qui ont émergé ces dernières quatre années en Algérie, auraient servi plus précisément à blanchir graduellement ce trésor de guerre. Des groupes tels que CEVITAL, de l'homme d'affaires Issâad Rebrab (élu manager de l'année 2002 et homme proche de Bouteflika) ; Khalifa Group, du golden boy Abdel Moumen Khalifa (dont le père fut un proche d'Ahmed Ben Bella) ; Union Bank Group de Brahim Hadjas ou Mehri Group, appartenant à l'homme d'affaires énigmatique franco-algérien Djillali Mehri, sont dans la ligne de mire de tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin aux réseaux de blanchiment d'argent dans les pays du tiers-monde. Néanmoins, il est très difficile jusqu'à présent de trouver les moindres preuves permettant l'inculpation de ces groupes. Cela s'applique également aux sociétés écrans appartenant aux généraux, touchant à tout, des hydrocarbures, en passant par les contrats publics finissant avec les marchés du sucre, de la farine, des médicaments, etc…. Dans cet ordre de constatations, un organisme britannique spécialisé, estime que l'argent blanchi cette dernière décennie sur le marché algérien varie entre 15 et 20 milliards de dollars. Et que les milliardaires actuellement en vue aussi bien à Alger que dans les autres grandes cités, ne font pas partie du capitalisme traditionnel algérien qui ne dépasse pas les douze familles. Cela dit, la majorité des grosses fortunes en émergence sont issues des sphères del'Etat où elles ont bénéficié d'un soutien inconditionnel pour se faire de l'argent. Les casse-tête de Benflis L'ex-directeur de campagne d'Abdelaziz Bouteflika risque, après les dernières élections législatives, de devenir son plus farouche adversaire. Le premier ministre qui dirige désormais le plus fort parti politique du pays se voit d'ores et déjà dans la course à la présidentielle. Avec l'appui de certains généraux influents de l'armée, notamment les ennemis jurés de Bouteflika, il compte réussir, d'une part, quelque uns de ses paris économiques et sociaux et, de l'autre, faire oublier les échecs de son précédent cabinet, conduit en réalité à travers le palais présidentiel d'Almouradia. Ali Benflis, qui a su, contrairement à son précdécesseur technocrate, Ahmed Benbitour, sauver sa tête à plusieurs reprises, veut à tout prix briller avant l'arrivée de l'échéance présidentielle de 2004. Le seul risque de remise en cause qu'il encourt, reste la contestation de son action de la part du président de la République. Ce dernier peut à tout moment le limoger. Mais cette probabilité devient aujourd'hui moins évidente, notamment après que Benflis soit devenu l'homme fort du parti le plus fort d'Algérie, avec bien entendu, le soutien et la bénédiction de la grande partie du pouvoir réel, l'armée. Parallèlement, le chef du gouvernement est censé marquer plusieurs points significatifs, aussi bien dans les domaines interne qu'externe. Il doit avant tout gagner son pari consistant à concrétiser son programme de privatisation annoncé récemment. Benflis est obligé de vendre 20 établissements au secteur privé avant la fin de l'exercice en cours et surmonter les obstacles qui l'entravent avec le défi lancé par l'UGTA ( Union Générale des travailleurs algériens) qui l'a menacé de descendre dans la rue à la rentrée pour défendre les acquis sociaux. L'entourage de Bouteflika affirme que Benflis panique déjà et craint une telle confrontation qui pourrait se transformer cette fois en bain de sang. Par ailleurs, ce dernier est contraint de s'engager dans une course contre la montre pour drainer les investisseurs étrangers qui traînent les pieds faute de transparence et de la faiblesse du marché financier. Surtout lorsqu'on sait que les sociétés cotées en Bourse d'Alger se comptent sur les doigts d'une seule main. Le scandale lié aux investissements de l'homme d'affaires émirati Ali Mohamed al-Shorafa qui éclabousse non seulement Bouteflika de par son amitié avec ce dernier, mais aussi Benflis qui a facilité à son entreprise United Eastern Group (UEG) l'octroi d'importants marchés tels que : Orascom,le développement de l'aéroport Houari Boumediène, le port de Djenjen, la zone franche de Bellara et la construction de 100.000 logements, pourrait compromettre la carrière de l'ambitieux premier ministre. Dans cette foulée, on évoque déjà le nom de son éventuel concurrent à la présidence, l'ancien premier ministre, Sid Ahmed Ghozali, qui vient de témoigner récemment à Paris en faveur du général Khaled Nezzar dans l'affaire Habib Souaïdia.