Entre le siège de l'ONU à New York où il assurait le poste de représentant permanent du royaume, le département des Affaires étrangères et le ministère de l'Information, Ahmed Taibi Benhima aura laissé l'image d'un authentique commis de l'Etat, au service des grandes questions nationales dont notamment l'affaire du Sahara. Portrait. J'ai connu feu Ahmed Taibi Benhima à travers trois fonctions qu'il a assumé à des étapes différentes de son itinéraire politique particulièrement brillant. D'abord en tant que représentant permanent du Maroc auprès de l'organisation des Nations Unies, ensuite en sa qualité de ministre des Affaires étrangères et enfin en tant que ministre de l'Information au début des années 70. Au poste d'ambassadeur et représentant permanent du Maroc auprès de l'ONU, il était un fervent défenseur des principes de la paix et de la coexistence pacifique, de la neutralité positive et du non alignement dans un contexte international marquée par la guerre froide et le conflit est-ouest. Le Maroc était alors l'un des principaux chefs de file du mouvement des non-alignés, doublé d'un pays fondateur historique de l'organisation de l'unité africaine (ex OUA) fondée en 1963. C'est aussi de son temps que le Maroc avait accueilli la première conférence des Etats musulmans (C. E. I) et toute une série de sommets des chefs d'Etat du monde arabe. Son charisme faisait déjà de lui l'une des personnalités les plus attirantes et les plus sympathiques de la diplomatie arabo -afro-musulmane. Son sens de la diplomatie, son ouverture vont lui permettre d'avoir une position fort distinguée aussi bien au niveau arabe que sur le plan international. Et c'est ce qui fera de lui par la suite l'un des ministres des Affaires étrangères les plus en vue de l'histoire marocaine. Aux côtés du Roi éclairé que fut le défunt Hassan II, Ahmed Taibi Benhima est incontestablement l'un des chefs de diplomatie les plus influents de l'histoire du Maroc moderne. Sa perspicacité, son sens de l'humour, sa grande culture et son esprit de négociateur vont lui permettre d'assumer pleinement les missions qui lui ont été confiées. Il croyait beaucoup en son pays et en sa capacité de contribuer à un meilleur rééquilibrage des relations internationales. Un pur produit de l'Ecole Istiqlalienne Il a commencé sa vie politique en tant que militant du parti de l'Istiqlal dont il était membre de la commission exécutive ( bureau politique). Le parti national dont les principaux leaders s'appelaient Allal El Fassi, Mehdi Benbarka, Abderrahim Bouabid, Ahmed Balafrej, Abdelkhalek Torrès et autre Abdallah Ibrahim. L'école du nationalisme authentique et de la fidélité aux principes. Ceux qui l'ont connu au poste de ministre des Affaires étrangères gardent de lui le souvenir d'un diplomate avisé qui a su transformer ce département d'une forteresse renfermée sur elle-même, d'une diplomatie de «salonard» réservée aux familles bourgeoises et aristocratiques à une diplomatie opérationnelle et pragmatique. Un ministère omniprésent et ouvert à toutes les sensibilités. Durant ces années, Il a recruté des dizaines de cadres nationaux qu'il su lancer dans le bain et former une nouvelle génération de cadres et de hauts fonctionnaires au profit d'une diplomatie agissante sans prendre en considération leur origine sociale ou régionale. Ce sont de nouveaux jeunes cadres qui vont faire le tour du monde en représentant dignement le royaume aussi bien au niveau de l'administration centrale que dans nos différentes ambassades et consulats à l'étranger. Un militant convaincu du Sahara Lorsque le processus du parachèvement de l'intégrité territoriale était enclenchée au début des années 70, c'est encore au dynamique Ahmed Taibi Benhima, que l'on confiera le département de l'Information. Il était l'homme du dialogue avec nombre d'interlocuteurs étrangers à qui il savait expliquer les tenants et aboutissants de cette question d'intérêt national. A cette époque là, la communication était pour ainsi dire perçue comme l'une des armes stratégiques les plus efficaces. Comme ce fut le cas quelques années plutôt au département des Affaires étrangères et à l'ONU, le département de l'Information sera également restructuré et réadapté sur des bases nouvelles. On retiendra tout particulièrement son passage d'une administration ordinaire à un département à part entière. Ahmed Taibi Benhima a fait en sorte à ce que la presse marocaine, toutes tendances confondues, soit associée au processus de Libération du Sahara. Il y réussira de plus belle manière en particulier lors de la glorieuse Marche verte et le lancement d'une vaste campagne visant à sensibiliser le monde sur nos droits historiques incontournables au Sahara L'homme qui présenta au monde Hadj Khatri El Joummani. Je me rappelle encore que le 3 novembre 1975, dans la ville d'Agadir, Ahmed Taibi Benhima m'a convoqué d'urgence de Rabat pour une mission nationale liée à l'affaire du Sahara. Dès mon arrivée, il m'a pris par la main et m'a conduit vers sa chambre d'hôtel pour m'annoncer que Hadj Khatri Ould Sidi Said El Joummani, le président de la jamaâ Sahraouie et membre de la chambre des Cortés espagnol venait d'arriver à Agadir et qu'il y sera reçu dans quelques heures en audience par feu le Roi Hassan II. Il m'a alors demandé de lui préparer un billet sur le vrai nom de Hadj Khatri et la place qu'il occupe auprès des populations du Sahara. Il m'a également demandé d'inviter les journalistes à la conférence de presse où il devait annoncer officiellement l'arrivée de cette grande personnalité sahraouie. C'était un événement majeur qui avait fait basculer le processus de libération et de recouvrement des provinces sahariennes au profit du Maroc. Tout au long de ces journées historiques, il avait multiplié les déclarations de presse et les entretiens accordés aux plus grands journaux marocains et étrangers et aux stations de radios et de télévisions les plus crédibles à travers le monde. Je me rappelle également de l'effort exceptionnel qu'il avait déployé avec son principal collaborateur, le défunt Mohamed Mahjoubi qui était alors secrétaire général du ministére de l'Information. Celui-ci était déjà à ses côtés du temps où il était en poste à New York en sa qualité de représentant permanent du Maroc auprès des Nations Unies. Plusieurs journalistes, intellectuels et experts nationaux avaient été sollicités et associés à cette œuvre de libération. Il multipliait également les contacts avec les leaders et les membres des partis politiques. Près de 500 journalistes marocains et étrangers ont ainsi participé à sa conférence de presse. Ils ont aussi participé et assuré la couverture de la glorieuse Marche verte. Feu Ahmed Taibi Benhima leur avait permis d'accéder à tous les documents et à toutes les pièces à conviction de nature à renforcer les revendications marocaines au Sahara. Le 30 novembre 1980, ce militant convaincu, jeune frère de l'ancien ministre de l'Intérieur, de l'Education nationale, de l'Agriculture et Premier ministre, Mohamed Benhima va nous quitter de façon précoce, après un parcours exemplaire de près de soixante ans. Il a laissé le souvenir d'un authentique commis de l'Etat et d'un serviteur du Royaume. L'exemple parfait de la compétence, de d'amour de son pays, de sa religion et de la fidélité à son Roi. Traduit de l'arabe par Omar El Anouari