Le Maroc présente désormais un climat d'investissement sain. Cependant, il doit faire des efforts en matière de marketing en se promouvant davantage et en ciblant les majors ainsi que certaines PME. Pourquoi faut-il des investissements directs étrangers ? C'est par cette question a priori anodine que l'éminent professeur d'économie politique de Paris Dauphine, Charles Albert Michalet, commence son exposé. Il répondait à l'invitation de la Fédération de l'Energie sur une conférence-débat. Le thème «Emergence et attractivité du territoire Maroc» ainsi que la qualité des intervenants ont drainé une foule tenue en haleine pendant plus de trois heures. En effet, le ministre de l'Industrie, du commerce et de la mise à niveau était l'autre invité du Maroc. Et quand Albert Michalet donnait les voies à suivre par un pays donné pour attirer des investisseurs lambda, le ministre lui devait parler du Territoire Maroc et focalisant sur ses forces et ses faiblesses. Le dialogue avec les nombreux intervenants dans la salle n'en fera que renforcer la richesse des débats et contribuera surtout à montrer ce que l'on savait déjà : tout n'est pas rose au «plus beau pays du monde». Mais le professeur Michalet n'attendra pas le débat pour répondre à la première question qu'il s'est posée. «Aujourd'hui, l'intangible est devenu autrement plus important que le capital», affirme-t-il. Cet impalpable se retrouve dans le transfert de technologie, l'amélioration de la balance de paiement, la création d'emploi, la formation spécialisée. Mieux encore, les IDE créent un dynamisme mettant fin aux situations de rente dans lesquelles nombre d'investisseurs locaux peuvent s'installer. Des pré-requis pour attirer les investisseurs Pour avoir des IDE, l'attractivité est un préalable qui se présente sous deux approches différentes. La première, celle des pré-requis, est purement statistique et se lit à travers des indicateurs. Alors que la seconde, dite proactive, se fonde sur l'action des dirigeants et des hommes d'affaires locaux. Il s'agit purement et simplement de promotion. Concernant les pré-requis, il y a lieu de signaler que la stabilité du régime politique en est le premier pilier. Il faut une attitude favorable de la politique gouvernementale à l'investissement privé, mais aussi une dérégulation et une privatisation de l'activité économique. A ce propos, le professeur Michalet a insisté sur deux facteurs que sont l'inflation et la balance des paiements. Ces deux variables conditionnent la rentabilité future des investissements puisque c'est d'elles que dépendent le taux de change et la possibilité de transférer une partie des profits. Il existe, cependant, d'autres pré-requis tels que le système des télécommunications, mais également les moyens de communications terrestres, aériennes et maritimes qui sont des facteurs de réduction ou de multiplication de coûts. L'allégement des formalités pour la création de société, la flexibilité du marché du travail et la qualité des ressources humaines figurent également parmi les conditions d'attractivité. Toujours dans le cadre des pré-requis, il ne faut pas oublier des aspects tels que la disponibilité des ressources énergétiques, des terrains industriels, mais aussi un bon état du tissu industriel, car il faut que les firmes locales s'assument et puissent favoriser le développement des firmes étrangères. Pour le professeur Michalet, ces réformes ne demandent pas de moyens financiers importants, c'est toujours une question de volonté. Quand aux incitations que les gouvernants marocains affectionnent tant, il les estime secondaires. «Elles ne permettent que de comparer deux pays quand ils se ressemblent en toute chose». De plus, généralement, si un pays est capable d'offrir un avantage, son concurrent en fera de même. Savoir vendre le territoire Il reste le second volet qui est autrement plus important encore et sur lequel les gouvernements successifs n'arrivent pas à avancer d'un pouce. Il s'agit en, l'occurrence, de la promotion. En effet, il s'agit d'une attitude marketing ou proactive. Dans cette éventuelle démarche, il faut avoir à l'esprit deux mots clés que sont la visibilité et la crédibilité. L'objectif est de donner aux investisseurs étrangers le plus de visibilité possible, mais aussi d'adopter un langage crédible pour les convaincre. Le seul langage qui vaille est celui consistant à dire aux investisseurs de «venir pour gagner de l'argent», mais non pour des raisons «humanitaires». L'argumentaire à développer est naturellement plus complexe que ce résumé succinct. Il faudrait, au préalable, effectuer un benchmark qui sera basé, d'une part, sur la politique des firmes et, d'autre part, sur la stratégie des territoires afin de connaître les motivations de chacun. Les entreprises ont plusieurs raisons d'investir dans des pays différents de leurs territoires d'origine. Parmi les explications souvent évoquées, figurent en bonne place l'accès aux marchés local et régional. Pour qu'ils soient attractifs, cependant, ces marchés doivent avoir une bonne taille mais également s'inscrire dans une logique de croissance. Il va sans dire qu'un marché régional est toujours plus important qu'un marché local. Les pays du Maghreb gagneraient à établir un marché commun dans les plus brefs délais pour espérer avoir une place similaire à celle des Asiatiques. Selon le professeur Charles Albert Michalet, 85% des entreprises interrogées évoquent ce facteur comme la principale motivation, mais il n'est naturellement pas le seul. En effet, l'accès aux ressources naturelles ou encore la réduction des coûts figurent en bonne place sur la liste. Pour la réduction des coûts, il y a, certes, la délocalisation qui consiste à transférer une activité de production vers un autre pays, mais il y a aussi de plus en plus le recours à l'externalisation. Par le biais de cette dernière, une seule fonction de l'entreprise comme la relation clientèle ou la comptabilité, est confiée à un partenaire étranger. Il faut signaler, toutefois, que les entreprises sont très regardantes en ce qui concerne les compétences de la main-d'œuvre mais également la possibilité du tissu économique d'assurer un «grading», c'est-à-dire de produire des biens toujours plus sophistiqués. De même, le coût des composantes et des inputs. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les firmes ne veulent plus investir des capitaux pour contrôler intégralement des filiales. Elles sont de plus en plus intéressées par des partenariats à travers lesquels elles apportent leur savoir-faire. Les capitaux ainsi que les réseaux de distribution émanent, par conséquent, exclusivement des partenaires locaux. C'est à partir de ces désirs des entreprises que les territoires doivent de plus en plus agir. Mais il s'agit avant tout d'une politique de marketing. Les diplomates doivent être des commerciaux capables de vendre leur pays et leur territoire au sens marketing du terme. Cela commence par la construction d'une bonne image du pays ? Pour ce faire, il est crucial de donner de la visibilité, notamment en ce qui concerne les réformes. «Mieux vaut une fiscalité lourde mais constante qu'un système d'imposition apparemment léger mais en changement permanent», explique le professeur Michalet. Les entreprises ont besoin d'établir des plans d'affaires dans lesquels figurent le moins de facteurs inconnus possibles. Dans le même ordre d'idées, il faut que l'information fournie aux investisseurs soit la plus parfaite possible. Cela exclut toute contradiction entre les différents messages que reçoivent les investisseurs et émanant des organismes étatiques, cabinets de consultance, banques et autres entreprises. Par conséquent, il est obligatoire d'avoir les mêmes sources d'information qui soient elles-mêmes crédibles. Ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas. A côté de la construction de l'image du pays, il faut, bien entendu, de l'assistance. Car c'est l'unique manière fiable pour passer de l'investissement potentiel à l'investissement réel. C'est là qu'interviennent les Agences de promotion des investissements qui sont aujourd'hui à la mode. L'assistance de l'investisseur est, toutefois, plus importante pour les petits investisseurs que pour les grands. En effet, ces derniers ont toujours les moyens de payer des cabinets de conseil à des prix quelquefois exorbitants. De plus, ils veulent toujours se garantir une certaine confidentialité et donc veulent en dire le moins possible sur leurs projets afin de ne pas attirer d'éventuels concurrents. Alors que les petits investisseurs, quant à eux, ont surtout besoin de soutien émanant d'organismes publics pour créer leurs entreprises. Afin de ne pas éparpiller les efforts, il est important de recourir au ciblage de l'activité de promotion. Cela repose sur deux piliers. Le premier doit répondre à la question de savoir comment identifier les avantages de localisation du territoire. Il faut ainsi connaître les points forts des exportations, c'est-à-dire les avantages compétitifs, mais également l'adaptation à des projets particuliers. Cela permet de dresser un portefeuille de projets et d'avoir surtout des pôles de compétitivité. Enfin, il faut procéder à la prospection directe des firmes. Il n'est pas nécessaire d'avoir des bureaux permanents à l'étranger dont l'entretien serait trop coûteux. L'idéal serait de lister les entreprises qui sont des investisseurs potentiels. De bons pré-requis pour le Maroc Le moins que l'on puisse dire c'est que le Maroc présente désormais de bons pré-requis. En effet, le régime politique est très stable, de même que les politiques menées par le gouvernement, notamment en matière d'incitation et de fiscalité. De même, la création des Centres régionaux d'investissement a permis d'alléger considérablement les formalités de création d'entreprise. Aujourd'hui, moins de 3 jours sont nécessaires pour accomplir les formalités alors que certains pays, y compris la France, traînent encore des délais supérieurs à une dizaine de jours. Cependant, l'état du tissu industriel laisse à désirer. Le Maroc n'a pas parachevé la mise à niveau de son économie et il est peu probable qu'il y parvienne dans les années à venir. Certaines entreprises sont aujourd'hui condamnées à disparaître si ce ne sont pas purement et simplement des secteurs entiers. De même, la cherté des ressources énergétiques est aussi un autre point faible qui freine encore et encore l'attractivité du Maroc. Une très mauvaise promotion as besoin d'être expert en investissement direct étranger pour se rendre à l'évidence que le Maroc mène mal sa politique de promotion. En effet, depuis plusieurs années déjà, le Conseil national du commerce extérieur (CNCE) a recommandé la création d'une agence unique de promotion de l'investissement. Il fallait regrouper le CNCE, le Conseil marocain de promotion des exportations (CMPE), la direction de l'aménagement et de l'investissement au niveau du ministère du Tourisme afin de créer un seul organe capable d'optimiser le budget de promotion du Maroc. Jusqu'à présent, le projet traîne et il semble même abandonné. Par ailleurs, le ciblage que recommande le professeur Charles Albert Michalet est très mal effectué, notamment quand il s'agit d'aller vers des entreprises. Le seul véritable ciblage qui a été réussi est celui effectué par le cabinet royal, concernant les investissements émiratis. SM le Roi a montré la voie à suivre au gouvernement de Driss Jettou pour emmener des investisseurs. L'exemple n'est pas encore suivi, mais les ministres ayant des politiques à suivre, tels que Salah Eddine Mezouar avec le programme Emergence et Adil Douiri pour le plan Azur, doivent désormais se distinguer autrement que par le discours. Au vu des derniers développements, Mezouar est en train de réussir le pari de mettre en œuvre ledit programme Emergence. Les entreprises qui doivent investir dans les zones Offshore ou encore dans les Med Zones, ces maquilladoras marocaines, sont déjà identifiées. La jeunesse de ce programme incite, cependant, à beaucoup de prudence par rapport à l'appréciation. Pour Douiri, le retard constaté est criant du fait de plusieurs ratés dans son plan d'action. C'est l'exemple typique d'un manque de ciblage.