Commandée par l'APEBI en partenariat avec la SFI, l'enquête sur le financement des entreprises des NTI parle de divorce entre bailleurs de fonds et manipulateurs de l'information. En voilà les conclusions. 83% des entreprises NTIC sondées ont une perception négative des bailleurs de fonds et estiment qu'ils ne font pas assez pour accompagner le développement du secteur des TIC au Maroc. Voilà qui donne le ton, d'emblée. L'enquête réalisée par Original Invest s'est basée sur des entretiens directs avec des bailleurs de fonds et des entreprises du secteur des NTIC. De grandes entreprises et de moins grandes ont été associées à ce travail qui, in fine, renforce l'idée bien répandue que les banques et les entreprises technologiques se tournent le dos. L'animosité est plus forte sur le segment des start-up avec une part de 89% de perception négative. Les sondées estiment, en effet, que les banques sont en majorité méfiantes vis-à-vis des projets de start-up et de PME. Cette méfiance se traduit par un traitement privilégiant les garanties réelles sur les atouts intrinsèques de projets de financement. Ce qui explique que le problème de la garantie vient en tête des blocages rencontrés par les sociétés opérant dans les NTIC. Ainsi, 83% de la population cible placent la garantie en première place dans le tableau des problèmes rencontrés auprès des bailleurs de fonds. La méconnaissance du secteur vient en deuxième position, suivie de la faible prise de risque. A cet effet, l'enquête révèle que 33% des sondées estiment que l'offre des banques n'est pas adaptée au secteur. Ces chiffres chocs sont nuancés par les réponses des grandes entreprises qui, sans aucune surprise, ne trouvent pas (ou trouvent peu) de difficultés à se financer auprès des bailleurs de fonds. En termes de besoins, l'enquête révèle que le secteur des NTIC a besoin de solutions pour les cautions bancaires. Aussi, 67% des sociétés approchées par les enquêteurs mettent les cautions bancaires à la tête des priorités. Les crédits de trésorerie viennent en deuxième position pour placer le crédit de financement de l'investissement à moyen terme en dernière position. En termes de financement, l'enquête montre que 43% des entreprises questionnées ont des difficultés à financer leurs projets d'investissement. En revanche, 57% trouvent des obstacles à financer leurs exploitations. L'absence d'actif à engager sous forme de garantie y est pour beaucoup. Mieux encore, ceux qui s'accrochent au mythe du capital risque déchanteront. En effet, l'enquête révèle que 85% des entreprises sondées estiment que l'expérience de l'amorçage au Maroc a tourné court. Raison de l'échec : la barre a été mise un peu trop haut par rapport aux besoins du secteur et de la capacité de ses entreprises. La branche du capital investissement n'est pas épargnée non plus. Selon les résultats de l'enquête, 80% des entreprises soulignent que ces fonds souffrent de leur adossement en majorité aux banques avec une prise de risque très limitée. En plus, les fonds d'investissement visés interviennent, quand ils le font, avec des montants d'engagement très élevés par rapport à la moyenne des besoins en financement des entreprises du secteur qui est, notons le, peu capitalistique. Globalement, la moyenne du marché attribue au capital risque une moyenne d'engagement de plus de 20 millions de DH par projet. Or, le secteur des nouvelles technologies a surtout besoin de fonds dépassant à peine les 2 ou 3 millions de DH. Plus étrange encore est le manque d'information dans un secteur qui, justement, manipule l'information sous toutes ses facettes. Ainsi, nous apprenons aux termes de cette enquête que 88% des entreprises sondées déclarent avoir peu ou aucune information sur les mécanismes de garantie des crédits bancaires. Le même constat se dégage du degré de connaissance des mécanismes de mise à niveau et d'assistance technique de l'Agence Nationale de la PME: 70% des entreprises questionnées n'en savent rien. Rachid Amrani, patron d'Original Invest, la société de conseil qui a mené cette enquête, précise que «les entreprises du secteur pensent que les mécanismes développés par l'ANPME ciblent exclusivement l'industrie. Or, celles dispensant des services à l'industrie peuvent bénéficier des mêmes avantages». Aussi, des branches comme la maintenance informatique, le développement de logiciels dédiés à la gestion des PME, les intégrateurs SAP ayant réalisé des missions au profit des entreprises industrielles… sont autant d'activités éligibles aux services de l'ANPME. Pour remédier à cette situation, les entreprises sondées proposent plusieurs mesures. Elles réclament de l'assistance pour la recherche & développement, l'instauration de fonds de garantie spécifiques en incitant les entreprises à les utiliser et l'octroi d'avantages fiscaux encourageant les entreprises qui réalisent des taux de croissance de 2 chiffres. Aux banques, les acteurs des NTIC conseillent de renforcer la communication et de prendre plus de risques en matière de financement. Mais le plus important consiste à s'approcher davantage du secteur pour le connaître et de développer une expertise en matière de NTI, à l'instar des autres secteurs de l'économie. Les bailleurs de fonds ont leur langage L'enquête ne s'est pas limitée à sonder les entreprises, mais aussi les banques, par souci d'équilibre certainement. De ce côté-là, les banquiers n'y vont pas de main morte. 67% des bailleurs de fonds estiment que le handicap majeur des dossiers de financement du secteur est l'absence d'un couple produit-marché clair et d'un positionnement marketing fort. En effet, si on ne double pas un ingénieur par un commercial, le deal ne passera pas. C'est une règle immuable dans les NTI, comme dans les autres secteurs. La banque dit oui à l'innovation, mais encore faut-il qu'elle soit commercialisable et que le marché existe. Souvent, les demandes de financement portent sur des projets qui ont un potentiel remarquable, mais la façon de les présenter les tue dans l'œuf : le business plan se focalise sur l'aspect technique du procédé. Le banquier s'en tape (à la limite). Le plus important est de le convaincre par l'approche commerciale, le plan marketing… «Ce n'est pas toujours vrai», explique un fin connaisseur du marché. Rachid Amrani confirme qu'il y a des ratages. Il cite pour exemple le dossier de M2T (Maroc Transaction), qui a présenté à une banque de la place une solution de paiement qui promettait de bonnes plus-values. La banque a refusé de suivre. Cela n'a pas empêché la société de tenter le coup et de décrocher, après coup, le marché de la Lydec, le concessionnaire de distribution d'eau et d'électricité à Casablanca. C'est grâce à M2T que les Casablancais paient leurs factures à la téléboutique du coin. Le succès du procédé et le marché imposant de la Lydec ont séduit plus d'une banque, qui toutes cherchent actuellement à financer le développement de cette société. En outre, l'enquête révèle que 50% des bailleurs de fonds interrogés estiment que les prévisions contenues dans les business plan sont trop optimistes, alors que d'autres (33%), plus sceptiques face aux spécificités du secteur, évitent de financer les start-up car le risque de casse est trop élevé. De même, 50% des financiers insistent sur la taille des entreprises, mettant dans la foulée en exergue la domination de l'approche classique dans les banques marocaines. «On ne prête qu'aux riches», dit-on et c'est bien vrai. «Les bailleurs de fonds doivent méditer l'exemple Google» Challenge Hebdo : les résultats de l'enquête confirment un constat connu et généralisé qui n'est pas spécifique au secteur des NTI. Etait-il nécessaire de la réaliser dans ce cas ? Rachid Amrani : Oui à plus d'un titre. L'enquête confirme la méconnaissance du secteur et son impact sur la décision d'octroyer ou non un crédit de financement. Nous sommes parvenus à l'évidence que les banques, par manque de maîtrise de la donne NTI, adoptent une approche prudente qui asphyxie le secteur en lui fermant les robinets du financement. Inversement, nous apprenons que le secteur des NTI n'a pas encore atteint la maturité en terme de business (hormis les grandes entreprises et les majors de la branche), de sorte à dégager clairement des approches commerciales claires et une visibilité d'affaires appréciable. C.H. : n'oublions pas que les success-stories du secteur, comme HPS et Ynvolis, ont été financées par des fonds d'investissement… R.A. : Oui, mais regardez à quel moment ces fonds ont renfloué les fonds propres des entreprises citées, et vous remarquerez que dans les deux cas, il s'agit beaucoup plus de développement que de création. Or, le plus dur, c'est la création. Les capital-risqueurs doivent méditer le cas Google, qui a commencé dans un garage avec l'appui de certains fonds d'investissement. Ces derniers n'ont pas attendu qu'il soit coté en bourse pour le financer. C.H. : justement, c'est le rôle des fonds d'amorçage. Pourquoi cela n'a-t-il pas marché au Maroc ? R.A. : Nous n'avons qu'un seul fonds d'amorçage dont le tour de table est constitué de l'ONA, Maroc Telecom, la CDG et la Caisse de Dépôt et de Consignation de France. Doté de 50 millions de DH, ce fonds existe depuis 5 ans et il n'a financé que 7 projets. C'est très peu. Lancé en guise d'expérimentation, le fonds a été géré comme un capital risque avec obligation de rentabiliser le deal. Ce qui a poussé vers une grande sélectivité au lieu d'un jeu de péréquation qu'aurait permis un nombre important de projets dans le pipe. Ce fonds gagnerait à être revu de fond en comble pour se positionner pour de vrai en soutien des start-up. C.H. : vous voulez dire s'inspirer de l'expérience de l'ANVAR ? R.A. : Oui, pourquoi pas, c'est à l'Agence nationale de Valorisation de la Recherche que la France a connu ses premiers succès dans les NTIC. Nous avons beaucoup à apprendre de cette agence qui livre un modèle appréciable pour relancer le secteur.