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Abdelaziz Benyaïch : Le pourquoi d'une extradition
Publié dans La Gazette du Maroc le 29 - 05 - 2006

Abdelaziz Benyaïch extradé au Maroc? Après un procès à Madrid, des accusations pour ses supposées implications dans les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington, il est jugé à 8 ans de prison ferme. Moins de cinq semaines après le verdict, le Marocain, natif de Tanger, est libéré en avril 2006 «pour manque de preuves». Un mois plus tard, l'ordre de son extradition au Maroc est signé. Dans cet imbroglio, comment comprendre de tels revirements de la justice espagnole? Comment tenter une lecture dans le sort d'Abdelaziz Benyaïch à qui la justice marocaine reproche les mêmes faits qu'à son frère, Salaheddine, condamné pour terrorisme à 18 ans de prison ? Aura-t-il le même verdict? Sera-t-il acquitté comme c'était le cas en Espagne, malgré les «preuves» et un long rapport signé Baltazar Garzon, le juge antiterroriste espagnol en charge du dossier du 11 septembre ? Eclairage.
Cela pourrait revêtir l'aspect d'un cadeau de commémoration du troisième anniversaire du 16 mai 2003.
La justice espagnole décide de l'extradition d'Abdelaziz Benyaïch au Maroc à un moment plus que symbolique. Pourquoi ? La réponse est simple. Acquitté en Espagne pour «manque de preuves», il fallait le
juger au Maroc où il est poursuivi pour
«son implication dans les attentats de Casablanca». Contactés par LGM, plusieurs hauts responsables du Congrès espagnol et de l'Audience nationale ont affirmé que «Benyaïch devait être extradé au Maroc après sa libération». Qu'est-ce qu'un tel fait peut révéler sur la suite de l'affaire Abdelaziz Benyaïch.
À n'en pas douter, il faut s'attendre à un jugement «au moins proche de celui de son frère», nous confie un avocat espagnol. 18 ans de prison ferme comme son frère Salaheddine ? Pourquoi pas puisque les deux noms répondent aux mêmes chefs d'inculpation : formation de bande criminelle, participations à des attentats, faux documents… et la liste est longue, sans oublier que les deux frères ont été chargés au Maroc par Pierre Robert, le Français connu depuis sous le sobriquet de l'émir aux yeux bleus.
Il paraîtrait même que ce soit uniquement la citation du Français qui fait plonger les deux frères.
Imbroglio
entre deux
Que se cache-t-il derrière une telle extradition? Pour répondre à une telle question, il faut en poser une deuxième. Pourquoi Abdelaziz Benyaïch a été acquitté en Espagne ? Il y a eu en novembre 2001 l'opération Dàtil et le démantèlement de la dite cellule espagnole d'Abou Dahdah, de son véritable nom Imad Eddine Barakat Yarkas. Les deux frères Benyaïch figurent sur la liste des 35 accusés du juge Baltazar Garzon. Ils sont tout simplement mis dans
le même sac qu'Oussama Ben Laden et d'autres grands noms de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui le «terrorisme islamiste», des frères Azzamar à Bassam Dalati Sattout, Mamoun Darkazanli en passant par Oussama Darra, Jasem Mahboule, Amer El Azizi, Ahmed Bahaiah… Il fallait donc attendre cinq ans pour voir le procès de la dite cellule instruit. Lors du passage devant les juges, les peines varient entre 29 et 7 ans de prison. Abdelaziz Benyaïch fait partie des condamnés. On s'étonne de le voir n'écoper que de huit ans de prison, alors que son frère poursuivi au Maroc en a eu pour dix ans de plus. Jusque-là, ce que l'on pourrait nommer les variations de la justice entre pays ne sont pas si flagrantes que cela. Mais moins d'un mois plus tard, coup de théâtre. Abdelaziz Benyaïch est libre. Acquittement. Pas de preuves. Les juges espagnols se sont trompés. Cet homme n'a rien à voir avec le 11 septembre et encore moins avec ladite cellule espagnole d'Abou Dahdah. Si le Marocain est blanchi de chefs d'accusation en liaison avec Al Qaïda et ses succursales, quel lien a-t-il avec les attentats de Casablanca où les principaux protagonistes répondent devant la justice de Madrid et sont condamnés à de lourdes peines ?
Les preuves marocaines
Il faut préciser que devant une demande en extradition, le gouvernement espagnol ne pouvait plus refuser de livrer Abdelaziz Benyaïch. Plus de procès en Espagne, un acquittement en bonne et due forme, il faut répondre par l'affirmative aux autorités marocaines surtout que les rapports bilatéraux sont au beau fixe. La collaboration qui a permis aux uns et aux autres d écrouer quelques poissons doit faire face à un cas pour le moins inédit. Innocent en Espagne, coupable au Maroc ? Scénario très probable à moins que le cas Benyaïch ne soit semblable à celui d'un autre gros poisson libéré en Espagne et … acquitté au Maroc : Hicham Tamsamani Jad qui faisait «partie de la même cellule d'Abou Dahdah» et qui était demandé par Rabat pour son «implication dans le 16 mai». Comment se comportera la justice marocaine avec Abdelaziz Benyaïch ? Nous sommes devant deux possibilité : une lourde peine comme son frère ou alors une peine minimale qui n'excèdera pas les cinq ans. Selon un avocat qui suit de très près les affaires du terrorisme au Maroc, il est clair que «Benyaïch ne sera pas innocenté au Maroc. Son nom a été cité par des gens comme le Français (Pierre Robert), je ne vois pas comment on pourrait le lâcher. D'ailleurs, c'est uniquement cela que la justice détenait contre son frère».
En attendant le procès Benyaïch à Rabat, il faudra peut-être s'attendre à de nouvelles révélations sur le 16 mai et le 11 mars sans oublier que le récent extradé au Maroc en connaît un long chapitre sur les ramifications du jihad en Europe.
Affaire à suivre.
Farid al Hilali innocente Benyaïch
Le Marocain Farid al Hilali, alias Shakur, est passé devant la justice londonienne, le 26 août, pour ses liens présumés avec des membres du réseau d'Al Qaïda. Agé de 35 ans, Farid al Hilali a déclaré connaître plusieurs hommes de la mouvance islamiste européenne tel le Syrien Abou Dahdah, incarcéré aujourd'hui en Espagne pour sa participation éventuelle aux attentats du 11 septembre. Il a aussi déclaré avoir fréquenté plusieurs autres personnes arrêtées également, notamment durant la période où il vivait à Madrid. Shakur a évoqué devant le tribunal le cas de l'un des prisonniers, Abdelaziz Benyaïch, incarcéré avec Abou Dahdah, en l'innocentant de toute participation dans les préparatifs des attentats du 11 septembre 2001 sur le territoire américain. Ce qui plaide pour Benyaïch, c'est le poids d'un tel témoin. Al Hilali n'étant pas le dernier venu dans la mouvance suspectée d'accointances avec l'internationale jihadiste, son témoignage fait réfléchir plus d'un. Selon des sources proches de l'Audience nationale, ce sont les révélations de Shakur qui ont poussé le juge Garzon à revoir ses accusations à l'égard de Benyaïch.
L'acte d'accusation
du Marocain
Le plus gros de ce que détenait la justice espagnole sur le Marocain se résume en ces nombreux voyages et les nombreuses relations qu'il avait avec beaucoup de noms aujourd'hui inscrits sur la liste des « terroristes islamistes ». Le point le plus important est celui de la Turquie. La Turquie a été une base importante pour les convois des moujahidines en partance vers le pays des Talibans. Abdelaziz Benyaïch a séjourné pendant quelque temps à Istanbul. C'est là qu'il établira des relations solides avec d'autres personnes. En écoutant les enregistrements des conversations téléphoniques de l'époque, nous avons un aperçu de la vie et des activités du Marocain. Dans une première conversation téléphonique, c'est Abdellah (Abdellah Benyaïch, l'autre frère connu aussi sous le nom espagnol de José Christian Rodriguez Cuenca) qui parle avec Mohamed Needl Acaid à partir du poste 411 du magasin où travaillaient Oussama Darra et Acaid. Lors de cette discussion, les deux amis diront que Abdelaziz, le frère d'Abdellah était à ce moment-là en Angleterre. Suivront d'autres conversations se référant toujours au même personnage, Abdelaziz Benyaïch, qui n'avait pas encore retrouvé l'Espagne. Sur les pages d'enregistrements effectués par la police espagnole, il y a cette conversation téléphonique datant du 11/12 mai 1996. Abdelaziz appelle alors Abou Ibrahim, celui-ci lui dit qu'ils sont tous très préoccupés et lui demande s'il a reçu l'argent qu'on lui a envoyé. Abdelaziz répond qu'il avait ouvert d'autres magasins pour le commerce et qu'il allait rappeler dans une semaine pour lui communiquer les adresses des succursales pour qu'Abou Ibrahim puisse lui écrire à ces adresses. Abou Ibrahim lui rétorque qu'il était sur le coup d'un voyage à Istanbul pour le voir et discuter avec lui sur ce sujet et que le lundi au soir, il sera sur le sol turc. Abdelaziz lui dit qu'il n'était pas à Istanbul mais qu'il se trouvait sur un sol étranger. C'est à ce moment qu'Abou Ibrahim lui fait savoir qu'il irait quand même voir l'un "des frères" nommé Driss qu'Abdelaziz a dû connaître auparavant. Abdelaziz lui répond qu'Abou Idriss était toujours à Istanbul et qu'Abou Ibrahim devait appeler le Cheikh Abou Moussa. Abou Ibrahim répond qu'il enverrait tout par fax et qu'il préfère ne pas lui parler au téléphone. Il ajoute que s'il comptait envoyer des choses en détails, il devait surtout ne rien envoyer du tout pour ne pas éveiller les soupçons. C'est là qu'Abou Ibrahim lui demande s'il avait des relations avec Abou Salim. Abdelaziz répond que non, avant d'ajouter que le chef, ici était Abou Idriss ou Abou Moussa, le Marocain. Abou Ibrahim pose alors une dernière question avant de raccrocher : il voulait savoir comment entrer en contact avec Abou Moussa et si le restaurant était la bonne solution ? On n'aura jamais de réponse à cette question puisque la ligne a été coupée et il n'y avait pas de rappel d'un côté comme de l'autre. Les 1 et 2 juin 1996, Abou Ibrahim, qui est identifié comme Abdellah Khayata Kattan, passe un coup de fil à Cheikh Moussa en Turquie au numéro 009022125179683.
Cheikh Moussa était absent à ce moment-là et c'est un certain Haroun qui répond. Abou Ibrahim demande des nouvelles d'Abou Al Moughira ; il a aussi demandé si les "frères" étaient d'accord avec le travail qu'il fait. L'autre lui répond par l'affirmative, mais Abou Ibrahim voulait savoir quels étaient les problèmes qui pouvaient entraver le travail dans le nouveau local désigné pour leur commerce. Il ajoute qu'il voulait des informations détaillées, surtout que les nouvelles à la télévision n'étaient pas bonnes du tout. Abou Ibrahim, quand il contacte Abou Moughira au téléphone, lui explique que tout le monde était très nerveux et inquiet et que les "commerçants" voulaient aller travailler là-bas. Abou Ibrahim lui parle alors du sujet dont il avait discuté avec Abdelaziz Benyaïch. L'autre répond qu'il ne savait rien à ce propos. C'est là que la décision de tout prendre en charge par Abou Ibrahim, Driss et Haroun a été prise. C'est à ce moment-là aussi que Haroun ajoute qu'ils seront tous en voyage et que seul Alaa saura où ils seront. Haroun explique par la suite pourquoi il devait voyager pour répondre aux attentes de certains "frères" qui ont besoin de lui. Il parlera ensuite de la tenue qu'ils attendaient et d'un autre costume pour le "frère Abdellah" et qu'ils étaient aussi dans l'attente d'autres "choses" qui devaient arriver de Grande Bretagne.
Le 18 juin de la même année, Abdelaziz Benyaïch appelle Abou Ibrahim pour l'informer qu'il venait d'arriver à Istanbul et qu'il voulait lui parler au sujet des affaires dont il avait parlé avec Haroun. Abdelaziz précise que les choses allaient comme le voulait Abou Ibrahim. Il ajoute qu'il ne fallait pas s'inquiéter et que plus tard il lui parlerait de ces choses en détail.
Haroun fera ensuite allusion à Abdellah, le frère d'Abdelaziz, avant de se voir répondre qu'il ne l'a pas vu depuis quelque temps. Ils feront ensuite allusion à Driss qui, lui, ne savait rien de l'affaire en question, mais qui était informé sur deux autres dossiers importants pour "les frères". Abdelaziz lui dit qu'il appellerait le lendemain à la même heure. C'est là que Abou Ibrahim parle du travail à faire et des choses à mettre au point en vue de la mission à accomplir. A ce moment précis, la communication est coupée…
C'est l'essentiel de l'acte d'accusation du Marocain présenté devant les juges espagnols. Il sera condamné sur cette base et acquitté sur la même base.
Sebta, Londres, l'Afghanistan, la Bosnie, la Tchétchénie...
On peut entrer de plusieurs façons dans la légende. Pour les frères Benyaïch, le destin a fait que les mythes se sont construits presque tous seuls. Garçons d'une rare beauté, éducation normale et sans accrocs, famille respectable sous tous rapports, entourage des plus sains, jusqu'au moment où on voit les frères passer de l'autre côté de Bab Sebta pour changer de vie… et d'identité. L'un s'appellera José Cristian Cuenca, l'autre Charles Burgess ou Ian Gerald Frost. Passage à Londres, drogue, trafic, voyages multiples, puis l'Afghanistan avant de faire de nombreux détours par l'ex-Yougoslavie. La Bosnie, la Croatie et enfin la Tchétchénie. Rien ne prévoyait un tel parcours. Pourtant, les frères Benyaïch, Abdellah, Salaheddine et Abdelaziz, sont considérés par leurs pairs comme de gros calibres du « jihad ».
Les Benyaïch ont passé leur jeunesse pas loin de la mosquée «kantra» à Tanger, dans un quartier entre Beni Mkada, Dchar Bendibane et Branes. Le quartier Tchar Bendibane se révèle limitrophe à un autre quartier appelé Mouadafin, devenu célèbre pour avoir abrité une famille de moujahidines comprenant quatre frères. Les Benyaïch ont connu de très près le prédicateur Mohamed Fizazi. Aujourd'hui, la famille Benyaïch est partie vivre à 1 kilomètre de la mosquée du prédicateur, à Branes. Toute l'adolescence des frères Benyaïch se déroula à quelques mètres de la mosquée «Kantra». Dans le quartier, le sujet soulève bien des sensibilités. Les Benyaich, on les connaissait bien. Après une adolescence normale, ils seront tour à tour récupérés par le réseau international islamiste. Abdellah est mort en Afghanistan, durant les bombardements américains à Tora Bora en 2001. Salaheddine a participé au jihad en Tchétchénie et en Bosnie où il a perdu un œil, il est actuellement condamné à 18 ans de prison. Quatre frères, quatre victimes de l'embrigadement islamiste dans le giron de Mohamed Fizazi. Qui était derrière leur enrôlement? Selon un voisin du quartier Mouadafin, qui a fréquenté depuis plus de vingt ans tous les personnages de cette histoire, “Mohamed Fizazi était un grand ami du père Benyaïch, il venait très régulièrement chez ce croyant qui l'accueillait à bras ouverts”. Et il ajoute: “C'est comme ça que tout a commencé pour les frères”.
Fatale escale à Algésiras
Abdelaziz Benyaïch a été arrêté le jeudi 14 juin 2003 à Algésiras, un mois après les attentats de Casablanca. La police espagnole a été informée par un coup de fil anonyme de la présence du Marocain, recherché par Interpol, pour sa supposée appartenance au groupe responsable des attentats du 16 mai. La police a encerclé le local cité lors de la dénonciation, un hôtel non loin du port, et a procédé à son arrestation. Le prévenu n'a pas expliqué les raisons de sa présence à Algésiras et il a nié devant la police espagnole être impliqué dans les attentats de Casablanca. De source judiciaire, on nous explique qu'Abdelaziz Benyaïch a formulé le vœu de ne pas être extradé vers le Maroc, afin de pouvoir être jugé en Espagne. Le 18 juin, après avoir interrogé Abdelaziz Benyaïch, la juge de l'Audience nationale, Teresa Palacio, a décrété la prison inconditionnelle à l'encontre du Marocain. À son arrestation, Abdelaziz Benyaïch était en possession d'un faux passeport français. L'Audience nationale a finalement décidé que l'extradition d'Abdelaziz Benyaïch n'avait pas lieu d'être et que ce dernier serait jugé en Espagne. Ce qui était initialement le vœu du détenu. Pourtant, la juge avait dans un premier temps initié une procédure lui permettant d'extrader le prévenu, avant de subir des pressions du juge Baltasar Garzon et de faire marche arrière, disant niet à la demande marocaine.
La documentation remise au juge indique qu'Abdelaziz Benyaïch était poursuivi pour délit d'association de malfaiteurs et complicité dans des actes criminels, ce qui peut lui valoir en Espagne des peines allant de 5 à 10 ans de prison ferme (la suite en 2006 confirme les prévisions des juges puisque le Marocain a écopé de 8 ans de prison ferme avant de se voir libéré à la surprise générale !).
L'affaire prend un nouveau tournant le 18 septembre quand le juge Baltasar Garzon remet son rapport de plus de 700 pages sur la structure d'Al Qaïda en Espagne faisant des révélations fracassantes qui inaugurent une nouvelle stratégie politique assumée depuis le 11 septembre par l'Espagne, jusqu'à déclarer que le pays recelait une nébuleuse islamiste à laquelle appartenait Abdelaziz Benyaïch, avec une quarantaine d'autres individus de nationalités diverses. Le 24 septembre 2003, Baltasar Garzon a confirmé, à travers une déclaration officielle, que la détention préventive était maintenue pour Abdelaziz Benyaïch qui devra répondre de nouveaux chefs d'inculpation.
Abdelaziz Benyaïch a été arrêté suite aux déclarations de Pierre Robert, condamné depuis à la prison à vie au Maroc. Marocain de nationalité française, Abdelaziz était connu des services de la DST française qui l'avait arrêté en février dernier à son retour de Tchétchénie. Le P.V signale que «l'homme voyageait beaucoup» et qu'il avait été retenu durant 48 heures avant d'être remis en liberté.


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