Une carrière politique commencée dans les rangs de la gauche progressiste incarnée par l'UNFP des années 50/60, du temps des grandes alliances entre le parti de Benbarka et l'UMT de Mahjoub Ben Seddik, Maâti Bouabid achève son itinéraire à la tête de la droite libérale, dont se proclamait l'Union Constitutionnelle qu'il a fondé en 1983. « Le parti de la génération de l'après-indépendance » disait-il. Maire de Casablanca, Ministre de l'Emploi et des affaires sociales puis de la justice, chef du Barreau des avocats, président du Raja et Premier ministre, le parcours de Maâti Bouabid mérite d'être retracé. Feu Maître Maâti Bouabid était à la fois un homme de Droit et une personnalité politique de tout premier plan. Il était successivement chef du barreau de Casablanca, ministre de la Justice à la fin des années 70, après avoir assumé celui des Affaires sociales au début des années 60. Il a aussi été premier ministre et président de parti politique et a assumé des postes non moins sensibles tels que la présidence du parquet de Casablanca. Avant cela, il était président du Conseil municipal de Casablanca et député élu au premier Parlement marocain mis en place en 1963. C'est un authentique produit du mouvement nationaliste dont la fidélité, la modestie, le franc-parler et le sérieux à toute épreuve, ont tout particulièrement distingué et propulsé parmi les chefs les plus charismatiques de la classe politique marocaine. Il m'est très difficile d'admettre, aujourd'hui, que Maâti Bouabid ait appartenu à une quelconque mouvance politique. Il répugnait à s'identifier à un cercle si étroit de parti politique. Comme tous ses contemporains que l'histoire récente du Maroc a façonnés, Maâti Bouabid était plus grand que le parti. Authentique fils du peuple, fort intégré aux couches sociales moyennes et populaires les plus humbles et les plus simples, il s'intéressait à toutes les grandes questions nationales et portait un intérêt certain aux questions de la jeunesse, du sport, de la culture, des arts et aux liens tissés avec les catégories sociales les plus humbles et les plus démunies. Il est resté fidèle à ses amis, à toutes les étapes de sa longue carrière ; et c'est lorsqu'il était à différents postes de responsabilité politique, en tant que ministre ou député, Premier ministre ou chef de parti, qu'il est resté fidèle à sa façon de vivre, prenant place avec les gens simples dans les cafés les plus populaires et s'appliquant à marquer sa présence sur les stades pour suivre les matches de football, particulièrement ceux de son club préféré, le Raja de Casablanca qu'il avait présidé directement tout au long des années 70. J'ai connu Me Maâti Bouabid au milieu des années soixante, alors qu'il était président du Conseil municipal de Casablanca et député du premier Parlement marocain de l'après-indépendance. Une instance qui réunissait, à cette époque, la crème des hommes politiques marocains de la première heure, toute une légion des meilleurs fils de ce pays : des hommes politiques, des intellectuels, des pionniers du nationalisme marocain de la trempe de Alla El Fassi, Mehdi Ben Barka, Abdelkhalek Torres, Abderrahil Bouabid, Mohamed Hassan El Ouazzani, le Docteur Abdelkrim El Khatib et d'autres leaders de l'UNFP, du Parti de l'Istiqlal ainsi que des personnalités sans appartenance politique. Maâti Bouabid en était incontestablement l'une des stars. Il incarnait, à la fois, l'expert de la chose juridique, un exemple de l'engagement politique en sa qualité de député de l'opposition appartenant à l'UNFP et son leader, feu Abdallah Ibrahim. Qu'il ait appartenu à l'Union Nationale des Forces Populaires, rien de plus normal en ce sens qu'il faisait partie des jeunes hommes politiques qui se sont engagés dans la vie politique dès les années quarante. Il aspirait, comme tous les jeunes militants de sa génération, à un Maroc fondé sur la justice sociale, la vie digne et marquée par la consécration de l'Etat de droit fondé sur l'égalité, la liberté d'expression, la démocratie et légalité entre les citoyens et entre les régions. On lui doit tout particulièrement le lancement de plusieurs initiatives allant dans ce sens comme les écoles du mouvement national et l'ouverture, entre autres, de l'école privée Abdelkrim Lahlou qui sera aussi le fief dont sortiront de nombreux intellectuels, professeurs, politiciens et cadres supérieurs. Me Maâti Bouabid est resté fort attaché à la classe ouvrière, fidèle à son appartenance syndicale et soucieux de l'unité de la classe ouvrière. C'est ainsi que même après avoir fondé son propre parti, l'Union Constitutionnelle (UC), à l'aube des années 80, il n'a jamais cherché pour autant à fonder une nouvelle centrale syndicale. Convaincu qu'il était que cela ne ferait que disperser davantage une classe ouvrière marocaine de plus en plus affaiblie, Maâti Bouabid est resté fidèle à ses origines rurales authentiques, à ses amis et n'hésitera pas à se placer en tête des avocats qui ont défendu nombre de détenus politiques et d'opinion, impliqués dans tous les procès politiques que le Maroc a vécu dans les années 60 et 70. Lorsque le courant socialisant mené par Abderrahim Bouabid, Omar Benjelloun et autres Mohamed El Yazghi décide de fonder une nouvelle structure politique consacrant ainsi la scission de l'UNFP de Abdallah Ibrahim par l'émergence de l'USFP, Maâti Bouabid restera fidèle à son leader historique Abdallah Ibrahim. Il choisira, à cette époque cruciale, de réintégrer son cabinet d'avocat loin des rouages partisans et politiques. Lui, qui assuma le portefeuille de l'Emploi dans le gouvernement d'Abdallah Ibrahim à la fin des années cinquante, puis celui de la Justice dans celui d'Ahmed Osmane à la fin de la décennie 70, poste qu'il conservera lorsqu'il sera nommé, par feu Hassan II, au poste de Premier ministre. Lorsqu'il fonda l'Union Constitutionnelle au printemps de l'année 1982, il optera pour des slogans qui sortaient déjà des sentiers battus. Il plaidera aussi bien pour l'instauration de la régionalisation et se prononcera sur la nécessité de donner l'occasion aux générations de l'après-indépendance de s'exprimer et de s'associer à la gestion démocratique et pluraliste de leur pays. Il détestait tout à la fois la démagogie, l'hypocrisie et la langue de bois. Durant plus de cinq années, j'ai eu l'occasion d'accompagner Maître Maâti Bouabid à travers plusieurs régions du Maroc. Ce qui me frappera le plus, c'est, sans doute, sa disponibilité et son désir d'être toujours à l'écoute des gens simples. Il acceptait volontiers de prendre son café avec les couches populaires les plus démunies, d'écouter les gens et de discuter avec eux de toutes les questions, n'hésitait pas à donner ses instructions aux responsables du parti d'accorder la priorité aux citoyens simples. Plus significatif encore, son appel à la confrontation avec tous ceux qui cherchaient à nuire à l'intégrité territoriale et aux symboles sacrés de la nation. Les adversaires irréductibles du Maroc qu'il appelait à affronter avec force, détermination et sans hésitation. Lorsqu'il était en dehors du gouvernement, Maâti Bouabid sera en tête des volontaires de la glorieuse Marche Verte. Ceux qui l'ont connu en ces circonstances historiques ont été impressionnés par son désir d'être tout près des volontaires, de partager avec eux les mêmes conditions de vie et d'austérité. Les qualités d'authentique fils du peuple même si l'histoire retiendra de lui l'image d'un homme qui a commencé sa vie politique dans le camp socialiste de gauche et qui l'a terminée à la tête d'un courant libéral de droite. Traduit de l'arabe par Omar El Anouari Prochain article : Abdellah Senhadji