Le vendredi 16 mai 2003, 13 bombes humaines se sont faites exploser à Casablanca, provoquant la mort de 45 personnes et blessant des dizaines. Trois ans après les événements, la pieuvre intégriste a-t-elle été complètement neutralisée? Manifestement, la réponse est incontestablement non. Le ratissage dans les milieux intégristes continue, le mal est trop profond pour être extirpé en si peu de temps. Mardi 16 mai 2006. C'est la date qui marque le troisième anniversaire des attentats sanglants qui ont secoué la ville de Casablanca le vendredi 16 mai 2003. Des images atroces remontent, sans qu'on ne le veuille, à la mémoire pour nous rappeler cette tragédie sans doute la plus traumatisante dans l'histoire du Maroc qui se croyait, jusqu'à cette date, à l'abri du terrorisme islamiste. Pour ce troisième anniversaire, rien d'exceptionnel n'a été prévu si ce n'est des manifestations organisées par le Secrétariat dans différentes villes du pays sous le thème : «Non au terrorisme..., oui à la vie», d'Etat à la Jeunesse, en commémoration de ce drame traumatisant qui a plongé le Maroc, en quelques minutes, dans l'horreur. Au total, cinq attentats simultanés d'une rare violence meurtrière ont semé la mort, en milieu de soirée, dans cinq endroits différents de Casablanca, à savoir la Casa De Espagña, l'Alliance juive, le restaurant italien le Positano, l'hôtel Farah et le cimetière juif. Nombre de victimes : 45 morts et une centaine de blessés dans les cinq cibles visées. Ce qui ne devait jamais arriver arriva donc. Des corps déchiquetés, des têtes et des lambeaux de chair catapultés à des dizaines de mètres. Des images d'apocalypse. Les Marocains prennent la mesure du drame qui vient de frapper le pays. Un drame signé Oussama Ben Laden. Sur ces cinq cibles, c'est à la Casa De Espagña que la facture est la plus lourde avec trente-neuf morts sur un total immédiat de quarante-cinq victimes. Les attentats sont perpétrés par une cellule terroriste de quatorze kamikazes du bidonville Thomas, répartis en cinq groupes. Treize sont morts sur le coup, le quatorzième, Mohamed El Omari, a été arrêté à côté de l'hôtel Farah. Le kamikaze qui a raté son coup n'a pas fait beaucoup d'efforts pour donner ses amis. S'ensuit une enquête interminable, la plus complexe et la plus longue de l'histoire de la police marocaine. Arrestations et révélations L'onde de choc est terrible et les sécuritaires ratissent large pour démanteler les réseaux de la violence intégriste qui ont déployé leurs tentacules meurtrières aux quatre coins du pays. Dès le lendemain, la chasse aux barbus est ouverte. Et elle se poursuit jusqu'à maintenant. Chaque jour qui passe apporte son lot d'arrestations et de révélations. Les interpellations et les gardes à vue des intégristes se multipliaient. Casablanca, Fès, Tanger, Agadir, Essaouira, Marrakech… devraient, selon les rapports de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) connaître, à leur tour, des attentats à l'explosif. Au rythme des investigations des services de sécurité, les Marocains découvrent un pays miné par des réseaux intégristes préparés à toutes les violences. Visiblement, les réseaux terroristes démantelés devaient mettre le pays à feu et à sang. Une perspective qui donne froid dans le dos. Dans son discours, quelques jours après les attentats, le Souverain annonce «la fin du laxisme» à propos de la mouvance intégriste. La machine sécuritaire et l'instance judiciaire tournent à plein régime. La vigilance ne se relâchera plus. L'exploitation de la religion à des fins politiques ne sera plus tolérée. L'utilisation des mosquées comme tribunes de propagation de la haine et de la violence, non plus. Le Maroc de l'après 16 mai est né. Au total, pas moins de 2300 suspects de terrorisme seront arrêtés, jugés et incarcérés dans les différents établissements pénitenciers du pays. Les têtes pensantes, les prédicateurs zélés, les kamikazes de réserve, les membres des cellules dormantes, tous ces énergumènes qui appellent directement ou indirectement au meurtre sont pistés, interpellés, jugés et neutralisés. Les services de sécurité ont eu la main lourde et ils ont ratissé même un peu trop large. Des peines de mort et la perpétuité sont prononcées à l'encontre des intégristes de la «Salafiya Al Jihadiya» qui se sont avérés être derrière l'exécution de ces actes barbares. La police, tous corps confondus, la gendarmerie, les services de renseignements ( DAG, DGEG, DGST ) ont travaillé d'arrache-pied pour extirper le mal du terrorisme. Rien ne sera plus comme avant le 16 mai 2003. Depuis la journée qui ébranla le Maroc, il y aura désormais l'avant et l'après 16 mai. Vigilance et mobilisation sont les deux mots d'ordre. Un engagement sans faille de l'Etat sur le long terme, mais aussi une réelle volonté des sécuritaires pour éradiquer le danger du terrorisme. À ce stade de l'enquête du 16 mai, à en croire le rapport de la DST présenté lors du sommet de Riyad pour la lutte antiterroriste et dont LGM détient une copie, la menace pèse encore sur le Maroc considéré par Ben Laden comme un pays impie et mécréant et donc comme une cible désignée. Une cible qui a échappé tout de même à plusieurs tentatives d'attentats meurtriers relatées par un rapport de la DGST ( Direction générale de la surveillance du territoire ) présenté à l'occasion du sommet de Riyad pour la lutte antiterroriste en 2005. Que nous apprennent donc les conclusions tirées par les services de renseignements marocains après les attentats du 16 mai ? La DGST est catégorique : Le danger d'Al Qaïda court constamment et ses réseaux peuvent à tout moment passer à l'acte. Au-delà de la douzaine de kamikazes et de leurs cinq forfaits commis à Casablanca, les services de sécurité marocains ont déjoué plusieurs attentats projetés par les intégristes de la nébuleuse d'Al Qaïda au Maroc. Ramifications internationales Les terroristes mis hors état de nuire auraient préparé l'explosion des représentations diplomatiques à Rabat, des hôtels, des casinos, des centres commerciaux, des boîtes de nuit, des restaurants, des synagogues, des églises… Et ce n'est pas tout. Des personnalités politiques (chefs de partis, ministres et autres responsables politiques ), des hauts fonctionnaires de l'Etat, des généraux, des juges et autres symboles de l'Etat, figuraient également dans les plans macabres de la "Salafia Al Jihadia". Dans ce sens, le rapport de la DGST recense quelques 300 forfaits et agressions perpétrés par les intégristes durant ces deux dernières années dans les principales villes du royaume : 13 assauts enregistrés dans les banques et les entreprises, 10 attaques de postes de police et de gendarmerie… . Le rapport de la DGST décortique la nébuleuse intégriste dans son espace de vie, son milieu d'extraction, ses filières de recrutement et ses techniques de conditionnement. Il revient sur plusieurs évènements tristes qui ont précédé le 16 mai et les ramifications internationales de cet immense tourbillon terroriste qui vise le pays. Il relate clairement la manière avec laquelle le phénomène de l'intégrisme a pris forme au Maroc grâce, notamment, au courant dit de la "Salafia Al Jihadia" ainsi que le "Groupement islamique des combattants marocains". Nombreu d'entre eux, indique le rapport de la délégation marocaine, ont pris part, dans les années 80, à la "guerre sainte" contre les forces soviétiques déployées en Afghanistan pour protéger l'ancien régime communiste de Kaboul, inféodé à Moscou. La première alerte a été, sans aucun doute, celle des attentats d'Atlas Asni à Marrakech en août 1994. L'investigation sur cette affaire a permis de découvrir que le recruteur de la bande d'Asni, un certain Abdelilah Zyad, appartient, depuis, au réseau Al Qaïda de Ben Laden et qu'il aurait même reçu un entraînement en Afghanistan. La deuxième alerte viendra quelques années plus tard avec l'éclatement de l'affaire "opération Gibraltar" et l'arrestation de trois terroristes saoudiens, Hilal Jaber Aouad Alassiri, Zouheir Hilal Mohamed Al Tbaiti et Abdellah M'sefer Ali Al Ghamdi, à Casablanca. L'affaire remonte au 11 mai 2002 (toujours un mois de mai), date à laquelle la DST avait arrêté, à l'aéroport de Mohammed V, un groupe de 6 passagers porteurs de passeports saoudiens qui devaient prendre le vol Casablanca-New York. Nettoyage sécuritaire Selon les conclusions de l'enquête judiciaire, «la cellule d'Al Qaïda infiltrée au Maroc s'apprêtait à commettre des actes terroristes à l'intérieur du pays et à partir de Sebta et Mellilia contre des navires occidentaux transitant par le détroit de Gibraltar». Le scénario se résumait ainsi : lancer des zodiacs pilotés par des kamikazes et bourrés d'explosifs contre des navires de l'Otan ou des bâtiments militaires américains de passage dans le détroit. Les terroristes saoudiens auraient même eu l'intention de détourner l'avion qui relie Casablanca à New York et le faire exploser sur un objectif en territoire espagnol. L'opération Gibraltar n'aura pas lieu, mais il semble bien que le chef d'Al-Qaida n'a pas dit son dernier mot. Nous sommes toujours en 2002 et les plaintes contre X pour agressions physiques et meurtres se multiplient partout dans le pays sans, pour autant découvrir le ou les auteurs de ces abominables crimes. C'est l'affaire Youssef Fikri, l'émir du groupe islamiste Al Hijra Wa Takfir, et auteur de plusieurs crimes, qui éclate au grand jour en juillet 2002. Comme ses confrères du mouvement “Sirat Al Mostaqim” de Miloudi Zakaria (un autre intégriste condamné à 30 ans de prison) et ayant commis plusieurs forfaits de ce genre au quartier Sidi Moumen, l'émir du groupe «Al Hijra Wa Takfir» se propose de pallier les carences des services de l'ordre public. À l'opposé des islamistes softs, ceux de l'émir Youssef prêchent le «djihad», recrutent des nouveaux combattants, des dizaines de jeunes pour les endoctriner, les former au combat, à la clandestinité et n'hésitaient pas à faire la loi dans les quartiers périphériques. À partir de cette date, le mot d'ordre est donné. L'heure est grave, la menace d'attentats est plus qu'une évidence. La chasse aux terroristes est déclenchée et la DGST s'est activée pour déjouer les projets d'Al Qaïda au Maroc. Les services de renseignements, dirigés à l'époque par le général Hamidou Lâanigri, donnent l'alerte pour d'éventuels projets terroristes qui visaient à coup sûr le Maroc. Où ? Quand? La réponse, nous l'avons apprise un vendredi 16 mai 2003 en milieu de soirée. Les 14 aspirants au martyre sont tous des Marocains âgés entre 20 et 30 ans. Avaient-ils répondu à un ordre venant des dirigeants d'Al Qaïda ? Leurs chefs marocains ont-ils profité des attentats de Riyad, survenus quelques jours seulement avant ceux de Casablanca, pour frapper à leur tour ? Le modus operandi est, en tout cas, identique : des hommes se font exploser au même moment pour créer la panique. En avons-nous fini avec le terrorisme islamiste ? On est tenté de dire “oui”, puisqu'il n'y a pas eu de récidive terroriste, trois ans après les attentats du 16 mai 2003, à Casablanca. Le nettoyage sécuritaire qui s'en est suivi, appuyé par une législation anti-terroriste d'exception, a fait l'effet d'une pacification conséquente du paysage islamiste marocain.