Trois années se sont écoulées déjà depuis ma première leçon de guitare dans cette ville qui n'a rien de romantique. Je me suis investi corps et âme dans cette entreprise et je passais des journées entières à gratter ma guitare au fond de ma petite pièce. Je nourrissais des rêves à la dimension du ciel, m'imaginant à l'ombre d'un arbre au coucher du soleil, chantant en solitaire et célébrant l'avènement du printemps et le retour des hirondelles, emplissant le ciel d'une musique douce et savoureuse à même de fendre le cœur des pierres. J'étais très heureux de trouver enfin une occupation aussi agréable et je m'exaltais à l'idée d'enchanter les amis et d'épater mes copines. Je croyais la tâche facile et qu'il suffirait d'un entraînement de quelques jours pour y arriver. Je me trompais. Au bout de quelques semaines, j'ai dû revoir à la baisse des aspirations trop ambitieuses. Il n'était plus question de rivaliser avec des virtuoses ou de penser à composer des symphonies comme c'était le cas dans un passé récent, mon objectif se limitait humblement à vouloir juste apprendre à pincer ces cordes misérables et pouvoir recréer ne serait-ce qu'approximativement des airs susceptibles d'être écoutés à défaut d'être appréciés. Je me suis remis donc au travail avec la même ferveur et le même enthousiasme assisté et encouragé par un ami qui me donnait gratuitement des cours de soir. Malheureusement mes efforts se sont avérés encore une fois vains voir même ridicules et, comble de l'ironie, je ne réussissais à produire que du bruit et à avoir le bout des doigts meurtris. Désespéré, j'ai arrêté et définitivement toute tentative dans ce sens car je me suis rendu compte sur le tard que je n'étais pas fait pour la musique. Certes, j'adore cet instrument énigmatique dont les mystères me fascinaient depuis mon enfance mais il semble bien que je suis prié d'en rester à ce niveau d'amour et d'admiration sans plus, comme si ma présence dans cet univers céleste et sublime allait le profaner. Et c'est vrai que je commettais des actes sacrilèges dans cet espace merveilleux où tout est douceur et délicatesse. Orphée m'a banni de son jardin secret et il est resté indifférent et insensible à toutes mes supplications. Ma guitare, que j'entourais pourtant avec tous les soins du monde, s'est retrouvée au grenier au milieu d'un amas d'objets inutiles. Elle se morfond dans un coin obscur et plein de poussière. Un épilogue tout aussi triste qu'étrange pour celle qui devait en principe être une campagne, une confidente et une partenaire de toujours.