Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH), s'est attirée les foudres et ce ne sont pas les militants de la cause des droits de l'Homme au Maroc qui diront le contraire. Et pour cause, une interview accordée à l'agence de presse espagnole, EFE, où elle affirme « qu'il n'existe pas de prisonniers politiques au Maroc » et que « la torture n'est plus pratiquée dans les prisons ou les postes de police », fait manifestement polémique. Pour celle qui a tant défendu les droits de l'Homme, « il n'y aurait que des prisonniers arrêtés pour leur participation à des manifestations où la violence a été établie. Ils n'ont pas été arrêtés pour leurs opinions, mais pour des faits de manifestations ou d'expressions violentes ». Cette déclaration, a s'en doute, pas été du goût des fervents défenseurs des droits de l'Homme, qui sur les réseaux sociaux, se sont déchaînés sur la présidente du CNDH. « Prochaine sortie médiatique de Amina Bouayach : Il n'existe pas des Marocains au Maroc » a twitté un militant. Pour un autre activiste, « le silence aurait été préférable à la justification des atteintes aux droits de l'homme par une présidente d'un CNDH censé les défendre. Mme Bouayach vous n'êtes plus l'ambassadeur du Maroc ». Quant- à Khadija Riyadi, lauréate du Prix de l'ONU pour les droits de l'Homme en 2013 et ex-présidente de l'AMDH, la déclaration de Amina Bouayach ne l'a pas du tout surprise. « Il y a beaucoup de gens qui ont été surpris par cette déclaration. Moi ça ne m'a pas surprise. Je m'attendais très bien à ce genre de déclaration« . « Le CNDH est fait pour ça, nier toute violation des droits humains. Pour dire que tout va bien, que les procès sont équitables et que s'il y a des personnes en prison c'est parce qu'elles ont commis des actes punissables par la loi. Ce n'est pas la première fois« , a-t-elle déclaré à Hespress Fr. L'activiste des droits de l'Homme a ajouté par ailleurs, que « l'Etat n'a jamais reconnu dans toute son histoire qu'il y avait des détenus politiques. L'Etat reconnait ce fait uniquement quand il y a une grosse pression internationale qui l'oblige à les libérer. Quand il les libère, c'est pour dire que nous sommes un Etat qui avance et que c'est une nouvelle phase, en profitant et en instrumentalisant politiquement« . Et de renchérir « l'Etat marocain, ses responsables, et ses décideurs, ne reconnaissent jamais qu'il y a des détenus politiques. C'est comme ça que ça se passe. Ça ne me surprend pas. C'est le rôle attendu du CNDH« . Selon Khadija Riyadi, le CNDH « est une institution qui est faite pour blanchir les violations, les nier, et embellir l'image du pays devant les instances internationales« . Dans l'interview accordée à l'agence de presse espagnole EFE, et en réponse à une question sur la torture dans les centres de détention et les locaux de police, Amina Bouayach a affirmé que « la torture n'est plus pratiquée dans les commissariats et centres de détention », justifiant cela par les mesures prises par la DGSN qui réagit en cas de dénonciation de traitements inhumains en sanctionnant les agents de police que ce soit par la suspension ou leur présentation au conseil de discipline. Parfois même les affaires aboutissent devant les tribunaux« . En guise de réaction, Khadija Riyadi n'a pas manqué de rappeler le dernier incident entre policier et civils, où deux personnes (une femme et un homme) ont été tuées par un agent de police par balles en plein Boulevard Lalla Yacout à Casablanca, soulignant que « la déclaration d'Amina Bouayach est très mal placée« . A cet effet, Riyadi fait remarquer dans un premier temps que les deux victimes n'étaient pas armées, mais la DGSN, qui a pris des mesures strictes à l'encontre des deux agents de police présents sur les lieux, « a justifié cela, par l'atteinte à l'ordre public. Mais ils ne s'attendaient pas à ce que l'acte soit filmé, et que l'on voie clairement que les deux victimes n'étaient pas armées« . «Heureusement que la scène a été filmée » ajoute-t-elle. « Et malheureusement on ne filme pas ce qui se passe dans les centres de détention et commissariats comme torture et maltraitance. D'ailleurs des médecins légistes reconnus ont fait des rapports où ils donnent les noms des personnes torturées au sein des centres de détention et commissariats. Mais le CNDH n'a pas assuré le suivi. Et Mme Bouayach ne peut pas nier ce qui a été fait au sein du CNDH avant qu'elle n'arrive. Donc, arrêtons ! « , s'est-elle indignée. L'ex-présidente de l'AMDH a déclaré à Hespress Fr que « si les rapports de force s'améliorent pour les Marocains, peut-être un jour il y aura une nouvelle instance équité et réconciliation qui va encore dire voilà il y a eu des tortures. Il y a des gens qui sont torturés dans les commissariats, nous avons des noms, et leurs familles dénonceront cela sans pourvoir arriver à la vérité« . Toutefois, Khadija Riyadi ne nie pas que le CNDH fait, parfois, son travail en termes de droits de l'Homme, mais à quelques exceptions près. « Le CNDH a déclaré être du côté de l'Etat. Il l'a toujours été, sauf quelques exceptions très rares où il a pu jouer son rôle. D'ailleurs on a même publié des communiqués de presse, de temps en temps pour féliciter le CNDH. On ne dit pas que le Conseil est nul à 100%. Quand il réagit bien, on le reconnait et on le dit. Mais c'est très rare« , conclut notre interlocutrice. Interrogée par Hespress Fr sur le fait qu'Amina Bouayach était une grande militante des droits de l'Homme avant que le Roi Mohamed VI ne la nomme à la tête du CNDH, mais qu'aujourd'hui plusieurs activistes l'accusent sur les réseaux sociaux d'avoir changé de camp après sa nomination, Riyadi a riposté « tous ceux qui sont passés à la tête du CNDH étaient des militants. Benzakri, Yazami, Hadj Ben Yousffi. Sabbar aussi a fait de la prison. Ce n'est pas une raison. Quand on choisit son camp, on choisit de jouer le rôle. Je n'aime pas juger les personnes, mais les institutions ». D'un autre côté Boubker Largo s'est montré plus conciliant, en s'alignant sur les propos de l'ex-patronne de l'OMDH. Ainsi, pour l'actuel président de l'Organisation, « la terminologie d'un détenu politique, on ne l'a pas dans ce cas. On n'a pas de détenus qui s'opposent au système. On n'a pas de détenu qui appelle au séparatisme ou une personne qui a une position politique contre le système marocain et tout le monde l'affirme. C'est pour cela qu'effectivement on n'a pas de détenus politiques, puisque même les détenus eux-mêmes disent qu'ils sont contre le séparatisme et ne sont pas contre le système. Donc, politiquement, il n'existe pas de détenus politiques« , a-t-il déclaré à Hespress Fr. Dans cette optique, Boubker Largo souligne qu'à une certaine époque « il y avait des chroniqueurs qui critiquaient le système, ils ont été arrêtés. Aujourd'hui, cela n'existe plus, puisqu'ils ont été libérés. Et donc, il n'y a plus de détenus politiques ». Interrogé sur le cas des détenus du Hirak du Rif, notre interlocuteur s'est interrogé : « Comment pouvons-nous les qualifier de détenus politiques alors qu'eux-mêmes affirment ne pas l'être ? ». « Les détenus du Rif avaient manifesté contre les conditions économiques et sociales dans leurs régions. C'était clair. Toutes leurs revendications allaient dans ce sens et non pas dans l'autre sens. Du coup, on ne peut pas dire qu'ils sont des détenus politiques alors qu'eux-mêmes disent qu'ils ne le sont pas« , argumente-il. Pour le volet de la torture dans les centres de détention et commissariats, Boubker Largo indique que « ce n'est pas systématique, mais que ça arrive dans quelques régions. Et la preuve, plusieurs gendarmes et agents de police ont été sanctionnés par la DGSN, ils sont déférés soit devant le conseil de discipline soit la Justice. Donc oui, il existe des cas de temps à autre, mais pas comme avant. Il y a la DGSN aujourd'hui qui ne tarde pas à réagir quand quelqu'un dénonce un acte de violence ou torture« . Et d'ajouter « il y a eu des déclarations dans ce sens dont il faut s'assurer. Même dans le cas du Hirak du Rif, on avait 16 dépositions enregistrées lors des arrestations en 2016 et 2017, où les détenus affirment avoir été torturés. Mais la question qui se pose est comment ? C'est-à-dire est-ce qu'ils ont subi des blessures lors de leur arrestation qui peuvent être dues à la confrontation entre les deux parties ?« . Pour lui, il faut bord établir une définition de la torture. « Si tu attrapes un individu sous l'effet du +Karkoubi+ par son bras, ça peut laisser des traces. Il peut y'avoir une maltraitance, des insultes, mais ce n'est pas de la torture. La torture, c'est quand les autorités policières séquestrent par exemple des détenus pour avoir des aveux. Mais ce n'est pas le cas de nos détenus« . Interrogé sur la photo de Nasser Zefzafi qui a fuité et qui montre clairement des traces de torture sur son corps, Largo Boubker affirme dans ce cas qu'en effet « c'est des pratiques qui touchent à la dignité et au droit humain. Donc oui en effet, il y a des pratiques de violence, mais pas de la torture. Ça, ça existait dans les années de plomb, mais plus aujourd'hui« .