« Nourrir l'intelligence intellectuelle et susciter le goût de la réflexion », tel est l'objectif de la Trésorerie Générale du Royaume à travers ses jeudis culturels, un rendez-vous qui prend place bimestriellement au siège de la TGR à Rabat. Pour cette édition qui a eu lieu, jeudi 14 mars, les membres de l'organisme et autres participants ont assisté à une table ronde où il a été question du vivre ensemble et de l'apport considérable de l'Islam dans plusieurs domaines à travers « Islam, la part de l'universel », oeuvre du défunt écrivain tunisien Abdelwahab Meddeb. Pour mettre en lumière le travail de Meddeb et de ses recherches autour des enjeux de civilisation de notre temps, dans un regard sur l'Orient et l'Occident, l'islam et l'Europe, cet événement a pu compter sur la présence de professionnels de la question et amis du défunt, à savoir André Azoulay, Conseiller du roi Mohammed VI, Mohamed Zernine, traducteur et sociologue et Salima Naji, architecte et docteur en anthropologie. Au micro de Hespress FR, Noreddine Bensouda, trésorier général du Royaume a tenu à rappeler l'importance de la promotion de la culture au sein de la TGR. « A l'occasion de l'anniversaire du centenaire de la trésorerie générale, nous avons considéré qu'il était important pour l'institution d'être ouverte sur la société et notamment sur la culture qui est nécessaire pour la formation de nos jeunes et de nos fonctionnaires en général. Il était question de s'intéresser à beaucoup de thématiques qui traitent de l'histoire, de la philosophie et différentes disciplines ». Bensouda met l'accent sur l'importance de cette ouverture sur l'environnement dans lequel évoluent les fonctionnaires, afin de mieux servir les citoyens. Premier intervenant de cette table ronde, Mohamed Zernine, traducteur du livre de Meddeb a tenu à rendre hommage à ce dernier, avant de rappeler que l'essayiste défendait une thèse fondamentale, celle « de la contribution des arabes et musulmans à un vivre ensemble universel ». Relever le défi de comprendre le monde actuel « Le temps présent se définit comme un mélange de cultures », explique-t-il avant de mettre en exergue l'intérêt du live qui, selon lui, « montre la part de l'universel en terme de l'apport des autres sur l'islam et de l'apport de l'islam sur les autres ». De ce fait, il est important, selon le sociologue de transmettre le message de Meddeb sur « la rupture du discours intégriste et l'encouragement du vivre ensemble ». Zernine n'en oublie pas de parler du combat de l'essayiste celui de mettre en avant un islam libéral, mais aussi un islam qui a beaucoup apporté à des domaines comme l'architecture, les sciences et la mystique. Au micro de Hespress FR, Zernine souligne la critique de l'oeuvre sur « l'approche fondamentaliste qui limite l'islam à une dimension politique, omettant de mentionner la dimension civilisationnelle et spirituelle de cette religion ». « Ce livre est aussi une critique de la vision occidentale qui attribue à l'islam des actes de violence, alors que la civilisation musulmane a contribué, par le passé, au progrès dans plusieurs domaines », ajoute-il. Ne pas muséifier une culture vivante Pour l'avoir côtoyé, Salma Naji porte un autre regard sur Abdelwahab Meddeb et son oeuvre. L'architecte et docteur en anthropologie se penche sur le volet architectural évoqué par l'essayiste dans son oeuvre. Cette dernière a mis en avant le militantisme de feu Meddeb qui a su tisser des liens entre les deux rives de la Méditerranée, tout en se penchant sur un travail académique très sérieux en puisant dans l'histoire, la sociologie, la théologie et la philosophie. Ainsi, cette dernière parle de greniers collectifs, constructions utilitaires traditionnelles berbères du nord Maghreb utilisées du sud-ouest du Maroc, un sorte de réseau du sacré et de l'espérance patrimoniale qui fait aussi l'identité de la culture marocaine. Elle tire également la sonnette d'alarme sur la destruction du patrimoine. « Mr Meddeb connaissait bien les greniers collectifs. Ce sont des institutions multiséculaires où ont met tout ce qui est précieux (…) J'ai voulu montrer un visage méconnu pour expliquer combien il était intéressant de réfléchir à travers cet exemple au réseau du sacré », a t-elle expliqué au micro de Hespress FR. Naji voulait avant tout rendre hommage à un grand homme qui « se méfiait de toute forme de religieux qui détruit la sacralité », en encourageant à ne pas « muséifier une culture vivante ». Elle souligne comment Meddeb a réussi à ouvrir le dialogue entre les cultures, souvent entravé par la haine et la guerre. « Abdelwahab Meddeb a réussi à mettre les gens en contact. Son plus grand travail, c'est un travail dans l'ombre, qu'on ne voit pas spécialement. C'était un homme d'ouverture, de partage et de lien qui va tirer vers la signification », ajoute-elle. On est plus riches les uns des autres Dernier intervenant de cette table ronde, le conseiller du Roi Mohammed VI et président de l'association « Essaouira-Mogador », André Azoulay, fervent militant pour la paix et la coexistante, a répondu présent pour apporter sa contribution à cette discussion enrichie par des penseurs. Avant d'engager la discussion sur le sujet, Azoulay a tenu à remercier son audience, surpris par un public nombreux et attentif. Grand ami du défunt poète qu'il décrit comme « un professeur et un compagnon de route », l'ancien journaliste explique qu'il partageait avec l'écrivain un engagement irréfragable dans une approche respective sur le refus de la pensée unique, le rejet du dogmatisme et en même temps le choix de ne pas être dans le politiquement correct. Selon Azoulay, il était nécessaire de mettre en avant l'apport académique de Meddeb dans le domaine de la philosophie, de l'histoire et de la sociologie et à son rôle pionnier dans la définition de la modernité de l'Islam et dans la compréhension de la diversité culturelle et spirituelle. Azoulay confie que Meddeb a été l'un des premiers à lui faire découvrir la « profondeur de la relation entre le soufisme musulman et le soufisme juif ». Durant son discours engagé, un appel à la paix et au vivre ensemble, Azoulay souligne l'importance de rappeler que que le Maroc était le seul pays « qui traduit dans le réel et qui résiste à l'amnésie ». « Chacun doit être conscient que le Maroc en 2019 c'est aussi additionner nos différences ». Fort de son engagement pour un islam libéral, Abdelwahab Meddeb, spécialiste du soufisme était souvent comparé à un « Voltaire arabe ». Décédé le 5 novembre 2014 à Paris, Meddeb a consacré sa vie à plaider sans relâche pour un Islam des lumière, un dialogue des civilisations face au choc des nations.