Le monde des réseaux sociaux est souvent témoin de polémiques inattendues, où une simple vidéo peut prendre des dimensions politiques insoupçonnées. C'est précisément ce qui est arrivé au célèbre youtubeur jordanien Joe Hattab, un créateur de contenu suivi par plus de 12 millions de personnes, après la publication, en mai 2023, d'une vidéo qui avait pour but de promouvoir la fraternité entre le Maroc et l'Algérie. Ce projet, aussi bienveillant soit-il, a pris une tournure explosive, particulièrement du côté algérien, où certaines scènes ont été perçues comme des provocations politiques. Près d'un an et demi plus tard, cet incident, loin d'être oublié, revient sur la scène, révélant une fois de plus les lignes de fracture profondément ancrées entre les deux pays voisins. L'effet papillon d'une vidéo mal perçue Tout commence par une séquence de la vidéo dans laquelle Joe Hattab, accompagné de plusieurs Algériens, arrive à la frontière avec le Maroc. De l'autre côté de cette barrière symbolique, un Marocain leur fait signe de la main en criant « Vive l'Algérie ! ». Un Algérien lui répond aussitôt par un chaleureux « Vive le Maroc ! ». Un échange de politesses innocentes, dirait-on ? Pas pour certains Algériens, qui ont vu dans cette scène une atteinte à la ligne officielle de leur pays vis-à-vis de son voisin de l'Ouest. La deuxième scène, tout aussi problématique aux yeux de ces mêmes détracteurs, se déroule dans un marché populaire de la ville algérienne de Maghnia, où des commerçants locaux admettent importer des épices et des poteries en provenance du Maroc. Rien de plus banal dans un contexte d'échanges commerciaux transfrontaliers, surtout entre deux pays partageant une longue histoire de relations culturelles et économiques. Mais, dans le climat tendu entre Rabat et Alger, cette simple mention du Maroc comme fournisseur suscite une gêne palpable. Joe Hattab, en homme de bonne foi, ne s'attendait probablement pas à ce que sa vidéo suscite une telle polémique. Son objectif, explique-t-il, était de « mettre en lumière le lien humain » qui unit les deux peuples, au-delà des tensions politiques. Une intention louable, certes, mais qui s'est rapidement heurtée à une réalité beaucoup plus rude. Quelques heures seulement après la mise en ligne de la vidéo, Joe Hattab reçoit des appels inquiétants en rafales, dont l'un, pour le moins inattendu, émane de l'ambassadeur d'Algérie aux Émirats arabes unis. « Nous avons eu confiance en toi et t'avons accordé un visa d'entrée en Algérie, mais ta vidéo a un caractère politique« , lui reproche sèchement le diplomate. La stupéfaction est totale pour Hattab, qui ne comprend pas comment une initiative destinée à rapprocher les deux peuples a pu être interprétée de façon aussi hostile. Controverse révélatrice d'une fracture irrémédiable Le malheureux se trouve, en réalité, au cœur d'un jeu d'échecs politique où chaque geste, chaque parole, peut être perçu comme un acte de défiance, surtout dans le cadre des relations crispées entre l'Algérie et le Maroc. L'ambassadeur algérien n'est pas seul à exprimer sa désapprobation : de nombreux Algériens, sensibles aux questions de souveraineté et de fierté nationale, fustigent la vidéo sur les réseaux sociaux, l'accusant de manipulation, voire de parti-pris en faveur du Maroc. La réaction de la sphère politique algérienne en dit long sur la profondeur du fossé qui sépare nos deux pays. À travers cette affaire, on perçoit non seulement l'hyper-sensibilité à tout ce qui touche de près ou de loin aux relations marocco-algériennes, mais aussi la manière dont certains éléments de la société algérienne restent prisonniers d'une rhétorique nationale rigide. La frontière est devenue presque un tabou. Elle est, aujourd'hui, l'incarnation physique d'un différend vieux de plusieurs décennies. Les relations humaines, économiques et culturelles sont comme prises en otage par cette barrière politique, et toute tentative de la franchir, même symboliquement, est vécue comme une trahison. Ainsi, même une initiative aussi candide que celle de Joe Hattab, qui voulait simplement « parler de la frontière » dans le cadre de sa série de vidéos sur les frontières à travers le monde, a été perçue comme une intrusion politique. Difficile de ne pas y voir une manifestation de cette méfiance endémique d'Alger, où même les moindres gestes et faits sont passés au crible par une partie de la population et les autorités. Suppression d'une vidéo malchanceuse Face à la tempête qui menaçait d'éclater, Joe Hattab a pris une décision radicale : il a supprimé la vidéo, qui avait déjà cumulé 700 000 vues en seulement trois heures. Pour le youtubeur, la vidéo avait « dévié de son objectif initial », celui de promouvoir la fraternité et l'amour entre les deux peuples. Devant l'ampleur des réactions, il a préféré effacer la polémique naissante, craignant que son projet, au lieu de rassembler, ne devienne une source de division. Sur son compte Instagram, il a tenté d'apaiser les tensions en s'excusant auprès de ceux qui se sont sentis blessés par cette vidéo, tout en réaffirmant son intention première : promouvoir la paix et la fraternité entre les peuples. Pourtant, derrière ces excuses publiques se cache une réalité bien plus amère. En Algérie, chaque mot, chaque image, chaque interaction est empreint d'une charge politique inévitable.