Un accord historique entre la Turquie et les Etats-Unis, deux alliés de l'OTAN, semble être entériné sur le dossier syrien. Après avoir annoncé le retrait des troupes américaines de Syrie, c'est aux mains d'Ankara que Washington laisse le futur de ce pays. La Syrie, pays en proie à la guerre depuis 2011 est devenu l'enfant dont s'arrachent la garde plusieurs Etats. Véritable point névralgique de la stabilité du Moyen Orient, la Syrie est, depuis le début du printemps arabe, envahie non seulement par l'Etat Islamique, des milices kurdes, l'armée de Bachar Al Assad qui ne veut pas laisser tomber le pouvoir au détriment de la vie de millions de civils, mais aussi les pays membres de l'OTAN, à l'instar de la France, l'Allemagne, les Etats-Unis et la Turquie, sans oublier l'Iran et la Russie. Qui tirera profit du retrait américain? Ils s'arrachent tous un bout de pouvoir en ce territoire dévasté par la guerre et, si tous prétendent lutter contre la menace terroriste, ce sont d'autres guerres qui sont en jeu. Guerre d'influence, guerre diplomatique, guerre idéologique, font partie du lot des motivations de chacun des belligérants. La décision du président américain de retrait des 2.000 militaires américains entraînant des soldats kurdes à lutter contre la menace terroriste, a été accueillie avec beaucoup d'effusion de part et d'autre. Provoquant la démission du secrétaire d'Etat américain à la Défense, le très respecté Jim Mattis – qui a exprimé à travers son geste sa désapprobation de la nouvelle stratégie de la Maison Blanche – le retour des soldats au bercail avait de quoi ravir la Turquie (soutien des rebelles), l'un des principaux pays opérant en Syrie aux côtés de la Russie (soutien du régime) et de l'Iran. La Russie, elle aussi ne pouvait pas mieux espérer qu'un retrait américain pour marquer sa dominance et sa supériorité dans la gestion de la crise syrienne. Pour Moscou, c'est une victoire sur le plan diplomatique mais aussi une épine en moins dans le pied. L'Iran également marque une victoire, puisque désormais, le champ est libre pour Téhéran qui peut ainsi élargir ses capacités militaires, ce qui n'est pas du tout pour plaire à Israël qui redoute pour sa sécurité maintenant que Washington n'assure plus ses arrières. Une nouvelle amitié turco-américaine Mais le grand gagnant de l'histoire n'est autre que la Turquie qui profite du retrait américain pour « éliminer » les kurdes, plus précisément les miliciens du YPG, une organisation jugée « terroriste » par Ankara. « Comme nous n'avons pas laissé les Arabes syriens en proie à Daech (l'EI), nous ne laisserons pas les Kurdes syriens en proie à la cruauté du PKK et des YPG », a ainsi déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan dans un discours à la télévision lundi 24 décembre dans lequel il annonce l'envoi de renforts à la frontière de la Syrie pour préparer une offensive. De leur côté, les Etats-Unis restent muets sur les déclarations du leader turc. Ils sont plutôt d'accord avec la stratégie d'Erdogan malgré que la présence militaire américaine avait pour but de former justement les kurdes présents en Syrie. C'est ainsi que Washington a annoncé que son retrait allait se faire de manière « lente » et « coordonnée » avec la Turquie, après un entretien téléphonique entre les présidents des deux pays, qui ont scellé leur amitié après l'affaire Khashoggi. Les deux alliés de l'OTAN, malgré leur divergences sur Israël, ont réchauffé leurs relations bilatérales après la libération inattendue du pasteur américain Andrew Brunson dans le sillage d'une coopération et d'un échange d'informations sur l'enquête du meurtre du journaliste saoudien tué au consulat d'Istanbul. La Turquie qui s'est imposée dans cette affaire comme la détentrice de la vérité, a distillé au compte goutte les embarrassantes informations sur Ryad, offrant à Donald Trump sur un plateau d'argent, un moyen de pression sur les Wahhabites. Si le retrait américain de Syrie arrange tout le monde (sauf Israël), et a tout l'air de faire partie d'un arrangement entre la Turquie et les Etats-Unis, la question de l'avenir de Fethullah Gulen, l'homme derrière le putsch raté contre le président turc, reste suspendue. Va-t-il être livré par les Etats-Unis où il s'est exilé depuis 1999 à Ankara ?