Les relations entre le Maroc et l'Espagne sont complexes, depuis les origines de l'énigme politique qu'est le Sahara jusqu'aux enclaves espagnoles de Sebta et Melilla, longtemps entretenues mais souvent contestées. Les exercices militaires du Lion d'Afrique au Maroc en mars 2019 ont vu des soldats américains, canadiens, tunisiens, sénégalais et espagnols se joindre à leurs homologues marocains pour des exercices terrestres et aériens destinés à renforcer la coopération, le soutien et la compréhension tactique entre l'Europe, l'Afrique et les Amériques. Le fait que le lion d'Afrique se soit déroulé au Maroc est significatif, le royaume cherchant à renforcer ses capacités en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme. En avril 2O19, le secrétaire d'Etat espagnol à la Défense, Angel Olivares Ramirez, s'est rendu à Rabat en tant que chef d'une délégation pour rencontrer son homologue marocain et discuter d'une coopération accrue en matière de sécurité entre les deux pays. Les priorités de l'ordre du jour comprenaient les efforts en cours pour lutter contre la migration illégale et le trafic d'êtres humains, et comprenaient des discussions sur les forces spéciales et les capacités maritimes, ainsi que le renforcement de la collaboration en matière de cyber sécurité. L'Espagne et la France sont les deux principaux fournisseurs européens de technologies de défense au Maroc, qui achète également de grandes quantités de matériel militaire américain. Le royaume devrait augmenter ses dépenses de défense à plus de 3,5 milliards d'euros d'ici 2022. Coopération Les échanges de renseignements entre l'Espagne et le Maroc ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies, en particulier après les attentats terroristes meurtriers perpétrés à Madrid en 2004, et à Barcelone et à Cambrils en 2017. Peu après la visite d'une délégation militaire espagnole en 2019 au Royaume chérifien, une opération antiterroriste menée conjointement a eu pour résultat la capture d'un djihadiste au Maroc qui préparait une attaque terroriste à Séville (sud de l'Espagne). En juillet 2019, la marine marocaine a entrepris des exercices d'entraînement avec EUROMARFOR, une force maritime européenne composée de navires venus de France, d'Italie, du Portugal et d'Espagne. Amarrés à la base navale de Casablanca, les navires ont participé à plusieurs exercices de formation portant sur les opérations d'interdiction maritime (lutte contre les stupéfiants), les opérations de recherche et de sauvetage, la plongée, la protection contre les menaces terroristes, l'assistance médicale et les capacités d'intervention d'urgence. Au vu de sa coopération croissante avec l'Espagne et d'autres pays de l'UE, le Portugal s'est également tourné vers le Maroc pour aider le pays à développer ses capacités navales, notamment en termes de développement d'une flotte sous-marine. En juillet 2019, le ministre marocain de la Défense, Abdellatif Loudiyi, a rendu visite à son homologue portugais, João Gomes Cravinho, à Lisbonne, pour discuter de leur frontière atlantique commune, de la bataille en cours pour endiguer la migration illégale et des préoccupations en matière de sécurité et de terrorisme. Maroc-Espagne…Brouille passagère de famille Dans le cadre de la relation bilatérale, des officiers marocains seront déployés sur des sous-marins portugais pour des exercices de formation. « Le Maroc est en train de se procurer des sous-marins et a donc besoin de savoir comment fonctionnent les marines et les sous-marins des pays voisins et leurs amis », a déclaré Cravinho. En ce qui concerne l'Espagne, les relations souvent tendues entre les deux pays se sont considérablement améliorées au XXIe siècle, comme l'a souligné le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez dans le journal El Pais, à l'occasion du vingtième anniversaire du couronnement du roi Mohammed VI. En effet, le Premier ministre a déclaré que « l'Espagne considère le Maroc comme un pays ami et un partenaire stratégique de premier ordre, avec lequel nous partageons progrès, prospérité et sécurité », ajoutant que « nous travaillons ensemble à consolider la stabilité en Méditerranée occidentale ». Les relations entre les deux nations ont été, toutefois, tendues dans le passé, principalement en raison de la possession par l'Espagne des enclaves de Sebta et de Melilla sur le sol marocain. Le ministère espagnol de l'Intérieur dépensera 32,7 millions d'euros pour l'amélioration de l'infrastructure et des systèmes de sécurité aux points de passage des frontières de Sebta et Melilla. Les plans prévoient de changer les caméras de surveillance, de mettre en place un système de reconnaissance faciale et de retirer les fortifications en barbelés situées autour des deux villes, dans le but de moderniser les infrastructures frontalières. Il est à noter que le nombre d'immigrés clandestins dans les deux enclaves a considérablement diminué, passant de 1 028 en 2018 à 226 seulement en 2019 à ce jour. Relations économiques Plusieurs accords de partenariat économique ont été signés entre le Maroc et l'Espagne, notamment un protocole d'accord sur la création d'un partenariat stratégique pour l'énergie, aux termes duquel les deux parties s'engagent à créer un comité de partenariat sur l'énergie (CPE). Les opérateurs privés marocains et espagnols devraient être davantage impliqués dans la mise en œuvre et la promotion du partenariat stratégique entre les deux royaumes. C'est l'une des principales résolutions prises en marge des pourparlers entre les rois Mohammed VI et Don Felipe VI. La visite au Maroc du couple royal espagnol qui s'est achevée le jeudi 14 février 2019 a insufflé une nouvelle dynamique aux relations hispano-marocaines, notamment sur le plan économique qui est l'un des piliers de cette coopération. Les deux souverains se sont félicités de l'évolution importante des relations économiques entre les deux pays, qui ont connu une dynamique au cours des cinq dernières années. Les deux pays ont signé 11 accords de coopération bilatérale dans plusieurs domaines. Tétouan : la ville la plus « espagnole » du Maroc L'Espagne est maintenant le premier client et fournisseur du Royaume. Quelque chose qui démontre l'intérêt du Maroc pour les opérateurs espagnols. « Cela devient clair et fondamental, le Maroc est un pôle de stabilité en Méditerranée. C'est dans cette position très positive que nous voulons élargir notre coopération. Un partenariat fondé sur le respect, le dialogue et la confiance mutuelle », a déclaré Josep Borell, ministre espagnol des Affaires étrangères, de l'Union européenne et de la Coopération et de la Défense nationale, lors d'une conférence de presse co-organisée le jeudi 14 février 2019 à Rabat avec son homologue marocain Nasser Bourita. Ce dernier a saisi l'occasion pour rappeler que « la rencontre entre les deux souverains a donné un nouvel élan qualitatif aux relations entre les deux pays ». Une orientation qui s'est concrétisée par la signature d'une dizaine d'accords de coopération dans plusieurs domaines. Cette coopération structure un cadre de dialogue politique et de sécurité, un cadre d'actions culturelles et humaines ainsi qu'un cadre d'impulsion économique. Sur ce point, l'accent a été mis sur la consolidation des investissements entre les deux pays. Nasser Bourita a souligné dans ce sens que le roi Mohammed VI insiste sur la forte implication du secteur privé des deux pays, y compris à travers l'investissement du secteur privé marocain en Espagne. Il convient de rappeler que le Maroc représente la première destination d'investissement des entreprises espagnoles en Afrique. Environ 1 000 entreprises sont établies au niveau national. De même, plus de 20 000 entreprises espagnoles établissent des transactions commerciales directement ou indirectement avec le Royaume. Il convient également de noter que plusieurs accords de partenariat économique ont été signés mercredi 13 février 2019, en présence des rois Mohammed VI et Don Felipe VI. À cette fin, le protocole d'accord sur la création d'un partenariat énergétique stratégique engage les deux parties à créer un comité de partenariat énergétique (CPE), composé de représentants des ministères et des organismes et institutions publiques ou privées des deux pays. De même, l'Autorité des marchés financiers du Maroc (AMMC) et la Commission nationale du marché des valeurs mobilières d'Espagne (CNMC) ont signé un mémorandum d'accord en vue de la création d'un cadre juridique pour l'assistance et la coopération entre les deux institutions dans les domaines des marchés des capitaux et des bourses. Culture de « las dos orillas » Le mode de vie méditerranéen du nord du Maroc est influencé par l'Espagne. Les grandes avenues de Tanger et Tétouan se prêtent très bien au paseo, une habitude espagnole de se promener le soir. Des plats de dessert typiquement espagnols comme les churros sont toujours disponibles dans les menus du nord. Même jusqu'à Marrakech, on s'intéresse aux bocadillos, une sorte de sandwich espagnol. Et tandis que le Maroc est considéré comme un « pays du thé », on peut trouver un bon café espagnol sur les petites places de la médina de Tanger, Tétouan et de toutes les villes du nord marocain. Plus subtilement, l'un des plats les plus célèbres du Maroc a une origine espagnole. La bastila (pastilla) est une tourte à la viande marocaine, généralement préparée pour des occasions spéciales. La viande est généralement du poulet ou du pigeon, mais il existe également des versions avec du poisson et des abats. Bastila est un travail d'amour et une belle combinaison de saveurs sucrées et salées. La viande est cuite lentement dans un bouillon la veille du service et déchiquetée avant d'être mélangée avec des herbes et des épices. Elle est ensuite enveloppée dans une couche de fine pâte werqa, badigeonnée de beurre et couverte d'une couche fine d'amandes grillées et moulues, de cannelle et de sucre, pour plus de douceur. La bastila demande du temps et de la patience, mais elle est considérée comme un plat de grand art culinaire de vrais gourmets. L'architecture marocaine traditionnelle est généralement conçue pour se protéger de la chaleur torride de l'été et des invasions de tout genre. Les maisons marocaines de la médina ont souvent une porte solide, des murs épais et de petites fenêtres. Entrer dans ces maisons est une expérience révélatrice : derrière la lourde porte se trouve une maison élégante avec un jardin et un point d'eau. Cependant, dans le nord du Maroc, certaines maisons présentent des fenêtres en fer forgé sophistiquée. L'architecture maure de l'Alhambra a été réexportée au Maroc après la Reconquista. Tout au long de l'ère du protectorat, le style art déco s'est répandu au Maroc, en particulier dans les villes modernes de Casablanca et Rabat. La culture partagée par le Maroc et l'Espagne est de grande importance aujourd'hui dans le vécu marocain comme en témoigne un riche corpus de musique, de littérature et d'architecture. L'héritage des échanges culturels est le véhicule par lequel les deux pays ont réussi à faire évoluer leurs relations en dépit des brouilles passagères. Parallèlement à la situation socio-politique troublée, on assiste à un regain d'intérêt espagnol pour les œuvres arabes et amazighes marocaines et à une volonté de comprendre le nouvel 'islam espagnol' pratiqué dans la péninsule ibérique par les migrants musulmans. Les mouvements migratoires massifs d'Afrique du Nord vers des villes aussi dynamiques que Barcelone, dont l'autonomie politique et le séparatisme culturel la placent dans une position marginale au sein de l'imaginaire national espagnol, ont attisé la curiosité pour le travail intellectuel et artistique issu d'un lieu de transition. Certes, la langue incarne à la fois un sentiment d'appartenance et un dépassement de frontières. À cette fin, les ministères de la Culture du Maroc et de l'Espagne, ainsi que plusieurs de leurs chambres de commerce respectives, ont soutenu une série de projets de traduction et d'échanges artistiques destinés à être interprétés ou distribués dans les principaux centres urbains des deux pays. Un exemple notable de ceci est un projet appelé El Programa Al-Mutamid de Cooperación Hispano-Marroquí, ou le programme al-Mutamid pour la coopération hispano-marocaine. Créé en 1999, il s'agit d'une entreprise commune de l'Institut international du théâtre de la Méditerranée (IITM) de Madrid et de l'Institut supérieur d'art dramatique et d'animation culturelle (ISADAC) basé à Rabat. Nommé d'après al-Moutamid (1040-1095), l'un des plus grands poètes d'al-Andalus, le programme cherche à favoriser un échange d'idées et un dialogue ouvert par le biais de l'écriture, de la musique et des performances. Leur premier projet, intitulé Cuentos de las dos orillas, est un recueil de nouvelles qui expriment la relation contemporaine entre l'Espagne et le Maroc. Les histoires devaient être interprétées oralement afin d'honorer la tradition narrative hispano-marocaine. Huit auteurs ont été choisis pour rédiger des textes : l'IITM a fait appel à quatre auteurs espagnols, Rosa Regás, Magdalena Lasala, Antonio Álamo et le collectif de théâtre El Astillero. Pour sa part, l'ISADAC a choisi Miloudi Chaghmoum, Mustafa Al-Misnawi, Rachid Nini et Muhammad Azzedine Tazi. Intitulé Reencuentros: Memoria Andalusí [Rencontres: mémoire andalouse], les œuvres sont également distribuées sous forme imprimée dans l'édition bilingue de Cuentos de las dos orillas. La compilation signale une nouvelle direction dans les relations entre l'Espagne et le Maroc, une tentative visant à s'appuyer sur les legs artistiques du passé pour mieux comprendre les subtilités du présent. Le présent et l'avenir Le détroit de Gibraltar, un ruban d'eau d'une largeur de 13 km environ à son point le plus étroit, sépare les frontières nationales de l'Espagne et du Maroc. Par une journée ensoleillée, le Maroc est clairement visible depuis la ville portuaire espagnole de Tarifa. Cette proximité géographique a favorisé une histoire commune définie par des schémas de transit, d'occupation et de migration. De l'avènement et de la chute d'al-Andalus à la controverse actuelle entourant les territoires espagnols de Melilla et de Sebta, les relations entre l'Espagne et le Maroc ont été marquées par des échanges et des ambiguïtés continues. En effet, ces deux pays méditerranéens se sont occupés à des moments différents. Il en résulte un sentiment omniprésent de familiarité et d'éloignement entre les peuples des deux pays, un sentiment simultané de départ et de retour lors de déplacements entre ces deux territoires. Cordoba : la ville la plus « marocaine » de l'Espagne Cette dynamique fluide a pris de nouvelles complexités, alors que les sociétés modernes font face aux effets de la communication de masse, des migrations en plein essor, des frontières floues et de la polarisation croissante selon des critères religieux. La méfiance suscitée par les événements terroristes mondiaux, combinée à la question critique de l'immigration, a conduit à une renégociation des relations entre les deux pays méditerranéens. Le Maroc, pays majoritairement musulman et linguistiquement arabophone et amazighophone, et l'Espagne « européenne », désormais très laïque, doivent maintenant faire face à une nouvelle transformation de leurs relations, semée de difficultés politiques et pourtant reliées par des siècles de pollinisation culturelle croisée. Certes, la trépidation croissante avec laquelle « l'est et l'ouest » se regardent a eu de profondes répercussions sur les liens forgés entre las dos orillas « les deux rives » si proches mais en même temps si loin. Le Maroc et l'Espagne partagent une histoire de reconnaissance mutuelle et d'éloignement qui remonte à plusieurs siècles. Aujourd'hui, cette relation doit être réinterprétée à l'ère de la migration postcoloniale, des disparités économiques et des nationalités ambiguës. Le nébuleux « espace entre les deux côtes » est un site important de cette renégociation, qui s'appuie sur les liens culturels du passé pour comprendre le présent. Mot de fin Malgré les fusions culturelles et la proximité géographique qui unissent le Maroc et l'Espagne, les relations tendues entre les deux nations et leurs peuples sont indéniables. La disparité économique qui régit les schémas d'immigration contemporains du Maroc à l'Espagne. Avec cette disparité financière grandissante et avec la montée d'un islam affirmatif, l'animosité et la méfiance grandissent entre les deux nations. Le lieu principal de cette (dé) construction est souvent identifié comme la frontière entre l'Espagne et le Maroc, un site qui témoigne des lieux où les deux nations ne se rencontrent pas. La géographie, l'histoire, la culture et le besoin de communication et d'échange obligent le Maroc et l'Espagne à accomplir un mariage de raison qui aboutira, dans le meilleur des mondes, à un tunnel entre l'Europe et l'Afrique sous le détroit de Gibraltar. Peut-on espérer la concrétisation d'un tel projet grandiose de communion qui rapprochera davantage les deux côtes (las dos orillas), dans un avenir proche, seul le temps le prouvera ?