Les relations séculaires de l'Espagne et du Maroc se caractérisent par une série d'événements historiques majeurs liant les deux nations dans le temps et dans l'espace, dans le contexte d'un ensemble d'arguments indéniables de grande importance humaine et signification civilisationnelle. On évoquera l'avènement et la chute d'al-Andalus 711-1492, l'instauration du protectorat espagnol sur le Sahara marocain occidental entre 1884 et 1975, la guerre du Rif 1921-1926, la participation de Soldats marocains regulares lors de la tristement célèbre guerre civile espagnole (1936-1939), de l'existence polémique des « territoires espagnols » de Ceuta et Melilla sur le territoire géographique et historique marocain et, plus récemment, des attentats terroristes dévastateurs perpétrés à Madrid le 11 mars 2004, un événement dramatique pour lequel 15 Marocains ont été inculpés devant les tribunaux espagnols. Au commencement, une Espagne musulmane L'invasion de l'Espagne a résulté à la fois d'une volonté des musulmans d'envahir cette contrée riche et si belle (firdaous « paradis » d'après certains historiens arabes) et d'un appel à l'assistance de l'une des factions wisigothiques, les « Witizans ». Devenus dépossédés après la mort du roi Witiza en 710, ils firent appel à Mūsā Ibn Noussair pour obtenir son soutien contre l'usurpateur Roderick. En avril 711, Mūsā envoya une armée amazighe dirigée par le général amazigh Ṭāriq ibn Ziyād à travers l'étroit passage maritime dont le nom moderne, le détroit de Gibraltar, tire son origine du nom de ce célèbre chef militaire amazigh ; en juillet de la même année, cette armée a pu vaincre Roderick dans une bataille décisive. Au lieu de retourner en Afrique, comme initialement prévu, Ṭāriq se dirigea vers le nord et conquit Toledo, la capitale des Wisigoths, où il passa l'hiver de l'an 711. L'année suivante, Mūsā mena lui-même une armée nord-africaine dans la péninsule et conquit Mérida, après un long siège. Il atteignit Saruc à Tolède en été de l'an 713. De là, il s'avança vers le nord-est, s'emparant de Saragosse et envahit le pays jusqu'aux montagnes du nord. Il s'est ensuite déplacé d'ouest en est, obligeant la population à se soumettre ou à fuir. Mūsā et Ṭāriq ont été, toutefois, rappelés en Syrie par le calife omeyyade et sont partis en 714 à la fin de l'été. A ce moment-là, la majeure partie de la péninsule ibérique était sous le contrôle musulman des armées amazighes. Quelques siècles plus tard, le souverain de la fougueuse dynastie amazighe des almoravides, Yūsuf ibn Tāshufīn, parti de Marrakech pour la péninsule ibérique et s'avança lentement dans les champs d'Al-Zallāqah, au nord de Badajoz, où il battit une armée castillane sous le commandement du roi Alfonso VI. Cependant, incapable d'exploiter davantage sa victoire, il est retourné au Maghreb. Pendant deux ans, la politique almoravide en Espagne est restée indécise, mais il semble que le siège d'Aldo (1088) ait convaincu Yūsuf ibn Tāshfīn de la nécessité urgente de mettre fin aux règne des taifas s'il voulait sauver l'islam espagnol. À partir de 1090, il destitua les roitelets des taifas un à un, en commençant par ceux de Grenade et de Málaga, l'année suivante, il détrôna ceux d'Almería et de Séville, puis le leader de Badajoz en 1093. Seul Rodrigo Díaz de Vivar (le Cid), exilé de sa Castille natale par le roi Alphonse VI, put résister aux amazighs, il établit un royaume indépendant à Valence – une nouvelle ṭāifa. La figure du Cid – le Seigneur (arabe espagnol : al-sīd), titre que lui ont attribué les Arabes – est assez curieuse. Il a d'abord servi comme mercenaire dans la ṭāifa de Saragosse, puis il est devenu un prince indépendant à l'est, gouvernant des états principalement peuplés de musulmans. Il eut cependant la chance de trouver des administrateurs efficaces parmi les Mozarabes résidant dans ses états ; de plus, sa superbe compréhension de la tactique almoravide lui permettait de surmonter son infériorité numérique. À sa mort, Valence resta sous le contrôle de ses forces jusqu'en 1102, date à laquelle elles furent forcées de l'évacuer et de chercher refuge en Castille. En Afrique, la dynastie amazighe almohade a finalement triomphé et ʿAbd al-Muʾmin (1130–113), successeur d'Ibn Tūmart, a porté son attention sur l'Espagne et sur le contrôle de tous les états musulmans de la région ibéro-nord-africaine. Parmi ceux-ci, ceux qui relevaient d'Ibn Mardanīsh (1147-1172) – qui réussirent avec l'aide d'un soutien chrétien à devenir les maîtres de Valence, de Murcie et de Jaén et à assurer la sécurité de Grenade et de Córdoba – se distinguèrent particulièrement. Maroc-Espagne : si proches, mais pourtant si loin Les sultans almohades prirent le titre de calife, introduiront une série de mesures religieuses sévères et cherchèrent à renforcer leurs états par la foi musulmane, c'est-à-dire en obligeant les juifs et les chrétiens à se convertir à l'islam ou à émigrer. Deux grands souverains, Abū Yaʿqūb Yūsuf (1163-1184) et Abū Yūsuf Yaʿqūb al-Mansūr (1184-1199), élevèrent l'islam occidental au zénith de son pouvoir. Bénéficiant des querelles qui divisèrent les chrétiens, al-Manṣūr vainquit le roi de Castille Alphonse VIII en 1195 lors de la bataille d'Alarcos. Mais malgré cette victoire, il s'est toutefois révélé incapable d'exploiter son triomphe, en répétant le sort qui avait frappé les Almoravides après al-Zallāqah. Des années plus tard, sous le règne de son successeur Muhammad al-Naṣīr (1199-1214), les chrétiens se vengèrent de cette défaite lors de la bataille de Las Navas de Tolosa. Cette bataille a créé un vide de pouvoir lequel certaines des taifas, parmi lesquelles figuraient ceux de Banū Hūd de Murcia et des Naṣrids d'Arjona en profitèrent pour s'affermir politiquement sur le terrain. La taifa Banu Hūd (1228-1238) insistait sur la résistance des musulmans contre les chrétiens qui, dirigés par Ferdinand III, occupaient la vallée du Guadalquivir. Par contre, Muhammad I ibn al-Ahmar (régnant à Grenade 1238–1273) s'est reconnu vassal du roi de Castille et l'a même aidé contre ses propres coreligionnaires musulmans. Cette politique réaliste lui a permis de conserver en sa possession le territoire de ce que sont les provinces modernes de Malaga, Grenade et Almería, ainsi que des portions de provinces voisines. Ainsi, après le milieu du XIIIe siècle et la reconquête de Jaén, Córdoba, Sevilla et Murcia par les Castillans et de Valence et les Baléares par la couronne catalane-aragonaise sous Jacques Ier (le Conquérant), aucun des dominions de l'islam sont restés en Espagne, à l'exception de Grenade, Minorque (jusqu'en 1287) et de la minuscule région de Crevillente, qui a rapidement disparu. À la fin de 1491, la situation devint désespérée et Muhammad XII capitula. Mais avant de rendre la nouvelle publique, il a fait venir un détachement de troupes castillanes dans l'Alhambra dans la nuit du 1er au 2 janvier, dans le but d'éviter un soulèvement de la part de ses vassaux qui pourrait l'empêcher de respecter les conditions du pacte. La capitulation officielle et la fin du pouvoir politique musulman dans la péninsule ibérique ont eu lieu le lendemain, le 2 janvier 1492. Les minorités islamiques, telles que les Mudejars soumis (appelés plus tard Moriscos), sont restés en Espagne jusqu'au 17ème siècle, mais les musulmans et les juifs ont été expulsés en 1492 vers l'Afrique du Nord, surtout le Maroc, et l'Europe de l'Est ainsi que le Moyen Orient. Les Juifs et Les Musulmans apportèrent avec eux une riche « culture d'expulsion » faite de musique classique dite tarab al andalousi / tarab al-gharnati « musique andalouse / musique de Grenade », de cuisine raffinée, de costumes et kaftans, de savoir-faire politique et économique hors-pair et se sont installés dans les villes côtières de Mogador, Rabat, Salé, Tanger et aussi à Fès, Meknés et Tétouan et se sont mis au service des sultans, à travers le temps. Cette culture andalouse très riche et très sophistiquée est toujours présente dans le paysage culturel marocain d'aujourd'hui. Le Maroc espagnol Le protectorat espagnol sur le nord du Maroc s'étendait de Larache à l'ouest sur l'Atlantique jusqu'à 48 km au-delà de Melilla (déjà une possession espagnole) sur la Méditerranée. La région montagneuse de langue tamazight, le Rif, avait souvent échappé au contrôle du sultan marocain, appartenant ainsi à bled as-sîba, terre de dissidence. L'Espagne a également reçu une bande de terre désertique au sud-ouest, appelée Tarfaya, adjacente au Sahara espagnol et en 1934, lorsque les Français occupèrent le sud du Maroc, les Espagnols prirent Ifni. L'Espagne a nommé un khalīfah, ou vice-roi, choisi dans la famille royale marocaine comme chef de l'état et lui a fourni un gouvernement fantoche marocain. Cela a permis à l'Espagne de gérer ses affaires indépendamment de la zone française tout en préservant nominalement l'unité marocaine. Tanger, bien qu'il ait une population hispanophone de 40 000 habitants, a reçu une administration internationale spéciale régie par un mandoub ou un représentant du sultan. Bien que le mandoub fût en principe nommé par le sultan, il était en réalité choisi par les Français. En 1940, après la défaite de la France durant la Deuxième Guerre mondiale, les troupes espagnoles occupèrent Tanger, mais elles se retirèrent en 1945 après la victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie. La zone espagnole entourait les ports de Ceuta et Melilla, que l'Espagne détient toujours depuis des siècles, et comprend les mines de fer des montagnes du Rif. Les Espagnols avaient choisi Tétouan comme capitale et comme dans la zone française, des départements à effectifs européens ont été créés, tandis que les districts ruraux ont été administrés par interventores, ce qui correspondaient aux contrôleurs civils français. La première zone à être occupée par les Espagnols se trouvait dans la plaine, face à l'Atlantique, qui comprenait les villes de Larache, Ksar el-Kebir et Asilah. Cette zone était le fief de l'ancien gouverneur marocain Aḥmad ar-Raisūnī (ar-Raisūlī), moitié patriote et moitié brigand. Le gouvernement espagnol a eu du mal à tolérer son indépendance. En mars 1913, al-Raisūnī se retira dans un refuge dans les montagnes où il resta jusqu'à sa capture, douze ans plus tard, par le grand dirigeant amazigh, l'émir Ben AbdelKrim al-Khattabi, leader incontesté de la République du Rif 1920-1926. Ben AbdelKrim était un Amazigh et un bon érudit en arabe qui connaissait les langues et les modes de vie arabes et espagnols. Emprisonné après la Première Guerre mondiale pour ses activités politiques subversives, il se rendit ensuite à Ajdir, dans sa tribu des Ait Ouriaghels, dans les montagnes du Rif, pour planifier un soulèvement. En juillet 1921, l'émir Ben AbdelKrim détruit une grande force espagnole sous le commandement du Général Manuel Fernandez Silvestre à Anoual, qui se suicida suite à cette défaite cuisante. L'émir installa par la suite la République du Rif, officiellement constituée en état indépendant en 1923. Il a fallu réunir à la fois des forces françaises et espagnoles de plus de 650 000 hommes sous le commandement du Maréchal Pétain pour venir à bout de ce leader amazigh. Vaincu en mai 1926, il se rendit aux Français, de peur de se faire exécuter par les Espagnols, et fut exilé à La Réunion. Le reste de la période du protectorat espagnol a été relativement calme. Ainsi, en 1936, le général Francisco Franco lança son attaque contre la République espagnole depuis le Maroc et engagea un grand nombre de volontaires marocains les Regulares qui le servirent loyalement pendant la guerre civile espagnole. Bien que les Espagnols aient moins de ressources que les Français, leur régime ultérieur a été à certains égards plus libéral et moins sujet à la discrimination ethnique. La langue d'enseignement dans les écoles était l'arabe plutôt que l'espagnol, et les étudiants marocains ont été encouragés à se rendre en Egypte pour suivre une éducation musulmane. Il n'y a eu aucune tentative de dresser les Amazighs contre les Arabes comme dans la zone française, mais c'est peut-être à cause de l'introduction du droit musulman par l'émir Ben AbdelKrim lui-même. Après la répression de la République du Rif, les deux puissances protectrices coopèrent peu. Leur désaccord a pris une nouvelle intensité en 1953 lorsque les Français ont déposé et expulsé le sultan Mohammed V. Le haut-commissaire espagnol, qui n'avait pas été consulté, a refusé de reconnaître cette action et a continué à considérer Mohammed V comme le souverain de la zone espagnole. Les membres de l'Armée de Libération marocaine dans Gzennaya, forcés de quitter la région française après le lancement de la résistance militaire ont utilisé la zone espagnole comme lieu de refuge. Le Maroc gendarme africain pour la sécurité de L'Europe Le Maroc et l'Espagne se sont engagés récemment en septembre 2019 à coopérer plus étroitement pour lutter contre l'immigration clandestine, une question qui alimente la croissance de la politique d'extrême droite et populiste en Europe, quoiqu'après la quasi-réduction de moitié des arrivées de migrants en Espagne continentale cette année grâce à la vigilance des forces de sécurité marocaine. Les deux pays vont travailler ensemble pour lutter contre les réseaux de migration illégale, le terrorisme transnational et le crime organisé, a déclaré à la presse le ministre espagnol de l'Intérieur, Grande-Marlaska Gomez, à l'issue d'un entretien avec son homologue marocain Abdelouafi Laftit récemment. Ces dernières années, des centaines de milliers de migrants ont tenté chaque année de se rendre dans l'« Eldorado » européen à partir de l'Afrique du Nord, et des milliers d'entre eux sont morts en mer. Toutefois, des mesures hispano-marocaines plus strictes ont permis de réduire les chiffres, mais les attitudes à l'égard des migrants sont devenues l'une des principales lignes de fracture de la politique européenne, entraînant la montée des partis qui souhaitent des politiques plus sévères, surtout en Italie. Les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, sur la côte nord du Maroc, constituent un pôle d'attraction pour les Africains qui tentent de rejoindre l'Europe, à la recherche d'une vie meilleure. Les enclaves sont entourées d'une clôture de 6 mètres de haut surmontée d'un fil barbelé. Grande Marlaska Gomez a déclaré que l'Espagne retirerait les fils barbelés de la clôture entourant les deux enclaves tout en augmentant sa hauteur pour éventuellement limiter les passages. Grande-Marlaska Gomez a indiqué, aussi, que les arrivées de migrants en Espagne métropolitaine avaient chuté de 45% jusqu'à 2019, mais il a ajouté que les arrivées dans les îles Canaries en Espagne atlantique avaient augmenté de 23%. L'Espagne coopérerait également avec des Etats de l'Afrique de l'Ouest tels que le Sénégal et la Mauritanie pour réduire les flux, a-t-il ajouté. Les chiffres publiés par l'Organisation internationale pour les migrations montrent que 14 969 personnes sont arrivées en Espagne par voie maritime du 1er janvier au 28 août 2019, contre 28 579 à la même période l'an dernier. Les autorités marocaines ont empêché 57 000 migrants de se rendre illégalement en Espagne jusqu'en 2019, a déclaré en septembre 2019 le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi. Plus de 150 migrants ont pris d'assaut Ceuta le 30 août 2019, ce qui en a fait la plus grande brèche dans la clôture depuis l'été 2018. Le gouvernement espagnol a approuvé en août 2019 une aide de 32,2 millions d'euros au Maroc pour lutter contre les migrations illégales. L'Union européenne a promis, quant à elle, une aide de 140 millions d'euros pour la gestion des frontières afin d'aider le Maroc à limiter les flux migratoires grandissants. Ainsi, l'Espagne et l'Union européenne ont de facto extériorisé la frontière européenne sur le territoire marocain pour mieux combattre l'immigration illégale africaine et de ce fait le Maroc est devenu le gendarme européen, par excellence, de cette nouvelle politique, avec l'Espagne comme le fer de lance.