Comme un arbre qui ploie sous le poids de l'âge et qui après avoir donné des fruits en temps normal, en donne un autre trop tardif et inattendu, c'est à cela que l'historien Abdelahdi Tazi, 92 ans, compare la réalisation de son tout récent ouvrage d'histoire en arabe sur la ville espagnole de Ronda. L'ouvrage vient d'être publié par l'Institut des Etudes Hiapano-Lusophones à Rabat qui promeut les relations culturelles entre le Maroc et les pays hispanophones et lusophones Espagne, Portugal et pays de l'Amérique Latine. Comme il l'explique dans l'introduction, Abdelhadi Tazi avait visité la ville de Ronda en 1952, située en Andalousie au sud de l'Espagne, 60 kms au nord de Marebella. Il explique que parmi les motivations l'ayant poussé à s'intéresser à l'écriture sur la ville, il y a le fait que des chercheurs spécialistes en histoire de l'Andalus omettent dans « l'encyclopédie musulmane écrite en langues étrangères » de la signaler sous prétexte qu'elle « n'avait pas eu une importance historique notable ». Autre motif, un certain rapport sentimental dès l'enfance par le biais d'une qacida célèbre du poète originaire de Ronda, Abou al-Baqa' ar-Rondi né à Séville en 1204 et mort à Salé en 1285. La qacida, une sorte d'oraison funèbre prophétique prédisant la prochaine perte de l'Andalousie musulmane, est intitulée « Thrène de Séville » ou encore « Thrène d'Andalousie ». Les écoliers marocains l'apprenaient par cœur à l'Ecole Libre des années vingt et trente du XXème siècle. En visitant Ronda en 1952, l'auteur redécouvre, note-t-il, la vraie teneur des vers mélancoliques et prémonitoires de la qacida. Actuellement il y a une place de la ville au nom du poète Abou al-Baqa'. C'est donc pour prendre une certaine revanche sur un oubli injustifié, que l'auteur publie cet opuscule en arabe « Ronda l'andalouse, entre histoire et document diplomatique ». En montrant des documents diplomatiques découverts notamment dans le musée de Paris, l'historien restitue des petits détails importants sur lesquels ce qu'on appelle la grande histoire n'est pas très bavarde. Ainsi de cet épisode d'histoire quand la ville Ronda devient marocaine après la chute des Almohades et l'avènement des Mérinides. Tout commence quand le premier sultan mérinide Abou Youssef à Fès est appelé par le roi de Grenade pour secourir les Andalous contre les attaques des Castillans. Les Mérinides répondent favorablement et ce fut la grande bataille d'Ecija le 9 septembre 1275 avec la victoire éclatante des musulmans contre les Castillans. De quoi faire oublier le grand désastre des armées almohades à la bataille d'al-Oqab (Las Navas de Tolosa) survenu 63 ans auparavant en 1212. En contrepartie de l'aide, le roi de Grenade cède des territoires aux Mérinides dont Ronda, Tarifa et al-Jzira al-Khadra qui deviennent des possessions du Royaume du Maroc tout au long du règne de la dynastie mérinide comme cela transparait à travers les correspondances diplomatiques avec Grenade mais aussi avec les pays européens jusqu'à la république de Pise. L'auteur dresse une liste de cinquante personnalités andalouses de Ronda des poètes dont le fameux Abou al-Baqa', des savants, des médecins dont Ben Brahim auteur du livre sur l'alimentation dont la manuscrit se trouve à la bibliothèque royale de Rabat, des hommes politiques, des résistants, la famille des Banou Abbad dont al-Moatamid, la dame de Ronda une figure emblématique de la femme d'affaires citée par Lissane Eddine Ibn el Khatib etc. En évoquant la visite d'Ibn Battouta à Ronda, envoyé par le sultan mérinide Abou Inane, trente ans après son périple en Asie, l'auteur regrette que le célèbre voyageur ne signale, à aucun moment, la grande mosquée devenue église Santa Maria Léonore alors qu'il le fait pour les mosquées de Malaga et autres villes d'Andalousie. Dans la « Rihla » en effet Ibn Battouta ne s'extasie vraiment que pour les lieux de culte islamiques des autres cités tout en évoquant au passage les fruits paradisiaques des vergers surtout les figues de Malaga et de Grenade d'un goût exquis. Est-ce que cette lacune est le fait d'Ibn Jawzi le transcripteur de la « Rihla » ou du commanditaire le sultan Abou Inane ? Mais Ibn Battouta ne serait pas seul à snober, pour ainsi dire, Ronda. Il y a aussi le célèbre géographe Charif Idrissi qui cite l'existence d'une ville Ronda en Asie et étrangement ne pipe pas mot sur la Ronda andalouse. Pourtant la ville a un passé de forteresse imprenable perchée en nid d'aigle sur un gouffre rocheux profond avec sa cascade impressionnante. Sa fascination est renforcée par sa qualité de ville frontière entre les territoires musulmans et chrétiens au temps de la dynastie mérinide. L'historien énumère les vestiges de Ronda aujourd'hui témoignant encore de l'héritage musulman et « n'intéressant plus que les brochures touristiques et les livres d'histoire ». Parmi ces vestiges des pans de remparts, des portes qui résistent encore pour évoquer le temps jadis, un reste de pont et de minaret, le hammam arabe, la demeure de l'émir mérinide Aou Malik portant le nom de Casa del Gigante (la maison des géants), la Puerta de Almogavar (la porte des preux). Pour le volet patrimoine immatériel, il y a l'art culinaire où selon l'historien, le roi poète al-Moatamid Ibn Abbad aurait eu une contribution importante lorsqu'il gouvernait Ronda à une certaine époque et qu'il insistait à préparer des plats de sa propre main. D'autre part si Ronda est la capitale spirituelle de la tauromachie ibérique, ce serait, d'après Tazi, grâce en partie aux Mérinides qui auraient introduit à partir de ce qui se passait à Fès Jdid le spectacle du combat du taureau en lieu et place du lion. Pour Tazi il ne fait pas de doute que c'est la chute de Ronda en 1485 qui entraîna la chute de Malaga en 1487 et enfin Grenade en 1492. D'où l'importance symbolique de son patrimoine. « Ronda andalouse sous le règne des Mérinides » de Abdelhadi Tazi, éditions Institut des Etudes Hispano-Lusophone, Rabat.