Alimentée par une économie mal en point et la pandémie de coronavirus, la tourmente politique des derniers jours en Tunisie inquiète. Si d'aucuns, espèrent beaucoup de l'intervention du président tunisien Kaïs Saïed, pour sonner le glas pour les islamistes du pays, d'autres craignent du même coup une résurrection de la révolution du jasmin. Souvent citée en exemple la Tunisie en est train de laisser filer son potentiel démocratique, comme cela s'est produit dans d'autres pays chamboulés par le printemps arabe. La Tunisie, avec seulement 12 millions des 1,3 milliard d'habitants de l'Afrique, jouit du symbolisme de la démocratie ce qui du reste lui a valu le prix Nobel de la paix pour sa révolution essentiellement pacifique. Mardi, le chef de la diplomatie européenne a demandé le retour de l'ordre constitutionnel en Tunisie, sans pointer qui que ce soit du doigt. Les faits : dimanche dernier, sans crier gare et sans préavis, Kaïs Saïed suspend le parlement et vire les principaux ministres. Du coup il s'accapare les pouvoirs exécutifs et la supervision des procureurs publics, expliquant qu'il devait sauver un pays matraqué par sa pire éclosion de coronavirus à ce jour et par une économie très mal en point. Le président tunisien a en outre gelé pour 30 jours les travaux du Parlement, levé l'immunité des députés et dissous le gouvernement. S'appuyant sur l'article 80 de la Constitution, le président de la République, professeur de droit constitutionnel à la retraite, a jugé le « péril » suffisamment « imminent » comme mentionné dans ledit article pour prendre sa décision. Objectif : « sauver la Tunisie, l'Etat et le peuple tunisien ». Si plusieurs Tunisiens ont applaudi son intervention, ses détracteurs ont crié au coup d'Etat. La principale victime de son intervention – le parti politique islamiste Ennahdha – qui en réponse a promis de résister... pacifiquement. Au cours de ces derniers jours, Saïed a ciblé des politiciens et des hommes d'affaires qu'il dit corrompus, et il a renforcé la supervision militaire de la réponse du pays à la pandémie. Ses proches et lui ont multiplié les rencontres avec les alliés étrangers, promettant que ce coup de force est temporaire. Les analystes tunisiens ne s'attendent pas à une prise de contrôle alimentée par l'armée comme ce qui s'est produit en Egypte, ou à un retour au passé autocratique. On y voit plutôt la défaite de l'Islam politique, de plus en plus perçu comme une menace. Le parti Ennahdha qui s'est soi-disant distancé des islamistes les plus militants s'est dit être dans l'affaire un bouc émissaire, selon son chef Rachid Ghannouchi, qui au passage a vilipendé ses détracteurs . C'est que depuis le coup de Force du président Kaïs Saïed, on est loin d'afficher la sérénité et un front uni. Le parti qui avait dénoncé un « coup d'Etat » la semaine passée semble moins solidaire et est en proie à des troubles en interne tant et si bien, que les dissensions n'en finissent pas dans la formation islamoconservatrice. Ceci dit, d'un autre côté l'importance stratégique de la Tunisie pour l'Union européenne n'est plus à faire au regard qu'entre 2014 et 2020, le bloc a investi 1,6 milliard d'euros en Tunisie pour développer la démocratie et fournir une aide sociale et économique. Il a dépensé 33 millions d'euros pour aider le pays à combattre la pandémie. Une aide macro-financière supplémentaire de 600 millions d'euros a été négociée en mai. On le devine, tout ce tralala a trait à l'immigration clandestine. C'est que la Tunisie joue également là, un rôle de premier plan pour endiguer le flot de migrants africains qui essaient de rejoindre l'Europe. Les 27 Etats membres de l'UE n'arrivent pas à accorder leurs violons sur la gestion des réfugiés, on a donc, décidé de sous-traiter la question en la confiant aux pays de l'autre côté de la rive pour faire front à ce que l'on appelle le «corridor tunisien» en ce qui concerne la Tunisie et autres qui inquiètent l'agence frontalière européenne Frontex. Entre 2019 et 2020, le nombre de migrants qui ont rallié l'Italie depuis la Tunisie a bondi de près de 400 %, à plus de 13 000 personnes, selon des organisations non gouvernementales. Cela inclut une période pendant laquelle les restrictions sanitaires ont grandement limité les déplacements des migrants. Les Tunisiens, eux, réclament des emplois et un avenir, ce qui leur fait défaut depuis la révolution, et pour l'heure plusieurs se rangent derrière le président en attendant un futur promis.