La Chambre des représentants a adopté, mercredi à la majorité, lors d'une séance plénière, le projet de loi N°13-21 relatif à l'usage licite du cannabis. Le projet de loi, qui vise l'amélioration du revenu des agriculteurs et la création d'opportunités d'emploi prometteuses et fixes, a été adopté par 119 voix contre 48 lors de cette séance présidée par Habib El Malki, président de la Chambre des représentants. Abdelouafi Laftit ministre de l'Intérieur, a indiqué à l'occasion que ce texte de loi intervient en phase avec les mutations "sans précédent" des pays du monde pour développer la culture du cannabis et tirer profit des revenus issus de la commercialisation de ses produits devenus licites, d'où les grandes potentialités à même d'attirer d'importants investissements pour son industrialisation et l'accès aux marchés mondiaux de ces produits. Par contre, le Comité spécial du modèle de développement (CSMD) a estimé quant à lui dans, ses notes thématiques jointes au rapport public sur le modèle de développement, proposé et publié cette semaine, que le statut du cannabis au Maroc était contradictoire. D'une part, sa production et sa consommation sont illégales et, d'autre part, le Maroc est le plus grand producteur et exportateur de Chira (haschisch) au monde. Le CSMD a déclaré que la production de cannabis « kif » au Maroc en 2017 avait atteint environ 35 000 tonnes, dont 700 tonnes ont été transformées en « haschich ». Selon les données publiées par le comité, la culture du cannabis se propage à travers de petites exploitations agricoles dans les campagnes, dont la superficie totale est estimée à 50 000 hectares. Cette culture traditionnelle et la conversion de cette plante, note le Comité, sont une source principale de revenus pour environ 100 000 familles. Le CSMD souligne en outre que ce statut contradictoire du chanvre indien ou cannabis ou marijuana est une source de faible sécurité juridique, de fragilité économique et de marginalisation sociale pour un groupe important de citoyens. En effet, il est estimé que 16 000 agriculteurs ont été condamnés par contumace à des sanctions judiciaires pour culture de cannabis. L'écart entre le cadre juridique et la réalité conduit à un ensemble de pratiques, telles que le lobbying, le règlement des comptes et la corruption, faisant des petits agriculteurs le maillon le plus faible de la chaîne de valeur du cannabis, tandis que les passeurs sont les principaux moteurs et grands gagnants, étant donné qu'ils sont moins visibles et plus difficiles à suivre. En ce qui concerne les consommateurs, les chiffres du rapport du CSMD indiquent que la prévalence de la consommation de cannabis varie entre 4 et 5% de la population adulte, soit environ 700 000 utilisateurs. Les jeunes sont le groupe le plus touché par l'usage du cannabis sous toutes ses formes, car au moins un élève du secondaire sur dix en consomme. Des chiffres que d'aucuns désavouent d'une moue significative et tout à fait compréhensible. Plus de 70 000 personnes auraient été poursuivies pour des crimes liés au cannabis en 2016, nous dit encore le CSMD soit environ 12% du nombre total de personnes suivies dans des affaires pénales, ce qui contribue à la surpopulation carcérale et constitue une lourde charge financière pour l'Etat. L'analyse des experts du CSMD confirme que le caractère informel et illégal de la production de cannabis présente des risques et une occasion manquée de développement inclusif et durable dans la région. Du point de vue environnemental, les cultures consomment de plus en plus d'eau en raison de la transition vers de nouvelles variétés de chanvre, ainsi que de l'utilisation accrue de la non-irrigation, observe-t-on, en plus des risques de pollution, d'érosion, d'appauvrissement et de déforestation. Sur le plan économique, la production et la transformation se font de manière traditionnelle et visent le marché illicite des drogues plutôt que les utilisations légales qui peuvent avoir une plus grande valeur ajoutée, comme les utilisations thérapeutiques, les cosmétiques et le secteur industriel. Le caractère illégal de la culture et de la production de chanvre est liée aux savoir-faire traditionnels, un facteur de stigmatisation qui déforme l'image de la région et de ses habitants. Exploité à bon escient, il pourrait transformer ce patrimoine, s'il est valorisé et encadré, en un levier de développement économique et d'attractivité culturelle. Selon les experts de la commission, il existe peu d'alternatives économiques durables au bénéfice des agriculteurs. Le passage à d'autres cultures sera plus coûteux en raison de l'expertise technique développée par les producteurs et du soutien qu'ils reçoivent des passeurs et des gros trafiquants. Le rapport indique qu'il existe des alternatives économiques qui pourraient être attractives, notamment celles liées aux plantes aromatiques et médicinales, mais le niveau de recherche et de traitement industriel de ces plantes reste très limité, et ne permet pas la création d'une valeur économique suffisamment attractive . Face à cette situation, le modèle de développement proposé par le CSMD aspire à développer légalement la chaîne de production et de transformation du chanvre en milieu rural, sur la base d'une recherche scientifique de qualité, et à préserver et valoriser le patrimoine naturel et culturel, tout en assurant la sécurité juridique des agriculteurs.L'ambition comprend également la réalisation d'un changement dans le traitement par l'Etat de la consommation de cannabis d'une approche essentiellement punitive, fondée sur la criminalisation et comme facteur d'exclusion sociale, vers une approche inclusive basée sur la prévention, les soins médicaux et la réinsertion des toxicomanes. Afin de réaliser les aspirations précédentes, selon vision du Comité, le fossé entre le droit et la réalité concernant cette agriculture doit être réduit, en adoptant un cadre juridique clair, homogène et approprié qui encadre et réglemente la production, en encourageant la recherche scientifique sur le sujet et étudier les moyens de valoriser le patrimoine naturel et culturel associé à sa culture ainsi que l'abolition des peines de prison et le développement de peines alternatives pour consommation illégale.