Depuis de très longues années, les Marocains s'entêtent à sortir la même réflexion devant les problèmes et les catastrophes: « ce pays ne changera jamais! ». Jaouad Mabrouki, psychiatre, chercheur et expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe a tenté d'analyser (et de nous expliquer) cet éternel constat d'échec servi à tout propos. Tout petit déjà, j'entendais les Marocains dans un état de colère et de déception, répéter le même propos « Ce pays ne changera jamais ». Des dizaines d'années se sont écoulées et j'entends pourtant encore cela, écrit-il. Selon lui, le même constat est évidemment fait par tous les Marocains, et il ne cesse de se refaire des millions de fois au fil du temps et est toujours d'actualité, laissant le Marocain frustré et violenté. Cet état, estime-t-il, peut se résumer facilement dans plusieurs points, dit-il. Il est dû, selon Mabrouki, à l'anarchie dans les constructions, bidonvilles, quartiers populaires sans respect des règles, le mauvais état des routes, les trottoirs souvent dangereux pour les piétons et envahis par les cafés, les restaurateurs, les bouchers, les mécaniciens, les menuisiers, les marchands de légumes, les épiceries et les cages des bouteilles de gaz pour ne citer que cela ou encore la saleté des rues et le trop de poussière. Mais pas que ! Dr. Mabrouki cite également comme constat désolant les mendiants à tous les coins de rue, le parcours du combattant pour obtenir des papiers dans les administrations publiques, les citoyens irrespectueux par leur comportement, leur saleté, leur mauvaise odeur, la mauvaise prise en charge dans les hôpitaux et l'absence de couverture médicale, l'extrême pauvreté et l'extrême richesse, l'injustice, la corruption, les moyens de transports lamentables, l'absence de la liberté individuelle et de la justice sociale, la situation désastreuse des milieux ruraux, la dégradation de l'enseignement et les écoles à deux vitesses ou encore le chômage. Bref, « un constat où la dignité du citoyen est complètement bafouée et qui se résume dans l'expression de colère du marocain : ce pays ne changera jamais !« , dit-il avant de s'interroger « jusqu'à quand ce constat va-t-il se refaire et être répété de façon continuelle ? ». Habituellement une fois qu'un constat est fait, nous devons passer à l'étape suivante, qui est celle du traitement et de la correction estime le psychanalyste, qui se demande pourquoi donc le Marocain est-il coincé à l'étape du constat sans pouvoir passer à l'étape suivante, celle du traitement? La soumission et l'absence du sens de responsabilité Jaouad Mabrouki note ainsi dans son analyse plusieurs raisons de la « non-réaction » du Marocain face à ce triste constat. Selon lui, le SPSR ou système éducatif parental, scolaire et religieux, n'apprend pas au Marocain le sens de la responsabilité et son devoir vis-à-vis de lui-même et de ses semblables. Il ne se sent alors pas acteur dans le développement de son quartier, de sa ville et de son pays. Le SPSR s'appuie uniquement sur le mécanisme de « l'obéissance aveugle », estime Mabrouki, sans remettre en question l'autorité parentale, l'autorité de l'enseignant (représentant du gouvernement), et l'autorité religieuse (représentant de Dieu). Le Marocain est donc configuré et conditionné à l'obéissance et il n'apprend pas et n'intègre pas le sens de la responsabilité. De ce fait, il ne participe pas au changement et au progrès du pays et se contente d'être consommateur et spectateur explique le spécialiste. La peur et la malédiction Dans ce volet, Mabrouki estime que le Marocain est terrorisé par le pouvoir dictatorial du SPSR, car s'il n'obéit pas, il risque d'être maudit par les parents, par son école, par Dieu et d'être puni sur terre (une vie marquée de malheurs) et après sa mort (l'enfer). Cette peur terrorisante ancrée dans le cerveau du Marocain fait de lui un être anxieux, obéissant pour survivre et angoissé par une peur imaginaire qui le paralyse. Une personnalité brisée Le SPSR détruit totalement la personnalité du Marocain, estime Mabrouki. Selon lui, et depuis sa naissance, le Marocain évolue dans une niche sensorielle insécure où la violence est constante (victime de violence verbale, physique, violence conjugale et familiale). Par la suite il arrive à l'école, où il est victime de la violence du découragement et souvent physique (victime du système des notes, de la rivalité et de la comparaison). Mais il est aussi victime de la violence religieuse qui le menace de la malédiction si toutefois il désobéit à ses parents, à Dieu (autorité religieuse) et à son gouvernement. Tout ceci remodèle l'architecture de son cerveau pour faire de lui un obéissant angoissé et terrorisé. L'absence de l'esprit critique et de l'autonomie En apprenant au Marocain d'être un obéissant terrorisé et angoissé, poursuit Jaouad Mabrouki, « le SPSR combat de toutes ses forces l'esprit critique (…). Toutefois, sans esprit critique, il est impossible d'être autonome et donc d'être un citoyen adulte responsable. Par conséquent, le Marocain a raison d'affirmer que « ce pays n'avancera jamais », car ses acteurs, ses citoyens sont paralysés ».