Le Policy Center for the New South a procédé ce mercredi 3 février 2021 à la présentation du rapport annuel sur l'Economie de l'Afrique produit par le think thank. Le débat, modéré par Mouhamadou Ly, senior economist au sein du PCNS a vu la participation de plusieurs experts et praticiens, venus discuter les différents apports de leurs études, chacun s'étant focalisé sur un aspect distinct. L'économiste et Senior Fellow au Policy Center for the New South Larabi Jaidi, a d'abord commencé par présenter l'intérêt d'un tel rapport. « Si sur le plan sanitaire c'était beaucoup moins grave que pour d'autres continents, les effets sociaux et économiques se sont fait lourdement sentir en Afrique. [...] Le continent est aussi très divers et pluriel, ce que nous avons essayé de faire ici, c'est d'analyser les effets du covid sur un ensemble de pays, de groupement économiques et sociaux, de régions africaines... et ensuite, de déceler les facteurs de risque très différents d'un pays à un autre en nous basant sur un ensemble de base données et d'analyses, de travaux fait par d'autres organismes nationaux, internationaux... ». Après avoir catégorisé les pays africains pour mettre en relief la pluralité du continent, l'expert a repris quelques aspects qui restent majoritairement commun tels que les échanges extérieurs et l'économie ouverte, avant de conclure sur une perspective future : « Aujourd'hui nous sommes toujours face à une situation d'incertitude, l'Afrique l'est encore plus que d'autres pays. Elle l'est car on attend beaucoup des vaccins, comme si c'était le remède miracle, en tout cas la clé de sortir de cette problématique. Mais c'est un défi pour l'Afrique, pour différentes raisons. D'abord car il y'a de nouvelles vagues, les souches mutantes comme le cas de l'Afrique du sud, le défi de la logistique en supposant même que le vaccin soit disponible ainsi que son coût... Aujourd'hui face à cette compétition d'accès au vaccins, il y'a de grand risque que l'Afrique soit à la traine ». De son côté, Muhammad Ba, Enseignant-Chercheur en économie, Université Gaston Berger au Sénégal a focalisé son analyse sur les communautés économiques régionales (CER), spécialement la COMESA, le marché commun de l'Afrique orientale et australe effective depuis 2000 et qui rassemble actuellement 21 pays. En réponse à la question : Quels sont les mesures qui ont été prise par cette CER pour faire face au choc de la Covid 19 ? Muhammad Ba répond : « généralement ce sont des mesures commerciales, malgré la fermeture des frontières il n'y'a pas eu de restrictions en ce qui concerne la circulation des biens [...] En matière de mesures budgétaires et monétaires, on retrouve les assouplissements en matière fiscale : réduction, report du paiement d'impôts... Pour le côté monétaire, il faut se rappeler que l'on ne parle pas ici d'une union monétaire et donc avec plus de 21 pays, chaque banque centrale a pris ses propres mesures. Ce qui nous pousse à nous poser des questions sur la coordination des politiques économiques et leurs efficacités ». Nezha Alaoui M'hammdi, Senior Fellow au PCNS s'est également penchée sur l'IGAD, Autorité intergouvernementale pour le développement, reconnue comme CER, en replaçant l'organisation au sein de ce contexte pandémique toujours d'actualité. Elle estime que « l'IGAD a géré la pandémie dès l'apparition du premier cas, le sommet s'est organisé en fin mars et on y'a discuté la possibilité de mettre une approche commune pour combattre la pandémie. [...] 2020 a été plus difficile pour l'organisation IGAD que pour les autres régions car elle a dû faire face à une crise multidimensionnelle : premièrement, sanitaire mais aussi climatique à cause de pluies torrentielles qui ont été la cause d'inondations dans de nombreux états membres, en plus d'une troisième crise, celle de la sécurité agroalimentaire face à l'invasion acridienne. Cette triple crise a été un moment de vérité pour l'organisation. C'est là où on a découvert la capacité des Etats à se concerter, leur capacité aussi d'optimiser cette concertation et pouvoir faire appel à l'international pour répondre à des problèmes régionaux». Pour illustrer ses propos, Mme Alaoui M'hammdi a énuméré les dates clés : « Fin mars nous avons eu le premier sommet, en mai une réunion des ministres des finances pour mettre en place un plan de relance avec les bailleurs de fonds et en mai toujours, la réunion des ministres de l'agriculture pour coordonner une riposte commune contre l'invasion acridienne». Le focus migratoire a été abordé par Amal El Ouassif, Spécialiste en relations internationales au PCNS : « La continuité des flux migratoires ne risque pas de changer. Il est vrai que la pandémie a touché tous les pays du globe mais il en reste que les disparités de développement sont toujours importantes, l'Europe demeure attractive pour certains africains, et le flux migratoire va continuer dans ce sens » au-delà de la pandémie. Cela n'est cependant pas sans conséquences sur le continent africain continue-t-elle : « La fuite des compétences de l'Afrique vers d'autres continents est alarmante, même si la covid se termine, il y'aura un souvenir amer de la pénurie du secteur de la santé par exemple». Pour finir, Pierre Jacquemot, Maître de conférence à Science Po Paris, s'est intéressé aux biens communs en Afrique et plus spécifiquement sur la forêt du Congo, le bassin du fleuve du Sénégal, le bassin du Nil, et le bassin du Niger. « Il existe aujourd'hui des biens communs régionaux qui sont gérés par des modèles de gestions partagés. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de conflits mais qu'il existe un organe décisionnel qui prend des décisions définitives sur la gestion de ces ressources naturelles avec une vocation aussi agro-économique comme les barrages et les bassins». En guise de conclusion, il ajoute : « La crise est porteuse de changement. La crise est un drame mais la crise est aussi l'annonce de changements fondamentaux et une opportunité pour l'Afrique de décoloniser la pensée du développement et de la reconstruire autour d'un certain nombre de valeurs fortes : la solidarité, la souveraineté, la soutenabilité et la sécurité. C'est ce que j'appelle les 4 S ».