Le 12 mai 2020, le laboratoire américain Gilead a annoncé avoir accordé des licences volontaires à cinq génériqueurs d'Inde et du Pakistan pour produire et vendre des versions génériques de son médicament Remdesevir actuellement testé contre le COVID-19 . De fait, les génériqueurs marocains ne pourront pas produire localement le médicament s'il s'avère efficace, d'autant plus que ce dernier est protégé au Maroc par un brevet d'invention au moins jusqu'en 2031. A cet effet, trois associations nationales, à savoir l'Association de lutte contre le Sida (ALCS), l'Association Marocaine des Droits Humains (AMDH) et l'Association pour l'accès au traitement ITPC-MENA, ont joint leurs efforts pour demander au gouvernement marocain l'émission de licences d'office sur tous les médicaments et technologies susceptibles de traiter le Covid-19. A cet égard, Dr Othoman Mellouk, expert en propriété intellectuelle et de l'accès aux médicaments et fondateur d'ITPC-MENA, estime que « même si le Maroc figure parmi les pays pouvant être approvisionnés par cette licence, la décision de Gilead n'est pas une bonne nouvelle pour notre pays ». « Si les essais du Remdesevir s'avèrent concluants, une riposte nationale efficace contre la pandémie nécessitera une production locale. La dépendance de sources étrangères d'approvisionnement en temps de crise sanitaire mondiale ne se fera pas sans problèmes comme on l'a vu avec les saisies de produits de santé en transit dans de nombreux pays, ou encore avec les masques de protection... Ce qui nous a sauvé et qui a hissé le Maroc au rang d'exemple à suivre c'est que nous avons été rapides à produire ce dont nous avions besoin localement », estime-t-il. Les 3 associations expliquent que le Remdesevir, développé par Gilead initialement contre le virus d'Ebola, est aujourd'hui également testé contre le Covid-19, et au Maroc, ce médicament est protégé par un brevet (MA35665) accordé par l'Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale (OMPIC), qui expire en 2031. Un autre brevet abusif visant à prolonger la durée de protection a également été déposé par Gilead et est actuellement en cours d'examen (EP16770866). Si ce dernier est accordé, la durée de protection sera étendue jusqu'en 2036, ajoutent-elles, notant que certes, l'obtention d'un brevet garantit au détenteur le monopole sur le marché jusqu'à expiration, cependant le gouvernement a le droit, conformément aux accords internationaux (flexibilités de l'accord ADPIC de l'OMC confirmées par la déclaration de Doha par les pays membres) et à la loi nationale, de suspendre cette protection pour des raisons de santé publique et d'autoriser une production nationale. C'est ce qu'on appelle les « licences d'office ». Pr Mehdi Karkouri, président de l'ALCS, souligne en ce sens: «Nous demandons au gouvernement d'appliquer immédiatement l'article 67 de Loi n°17-97 relative à la propriété industrielle relatif aux licences d'office au brevet du Remdesevir, mais également à tous les produits de santé (médicaments, tests, technologies) susceptibles d'être nécessaires à la riposte au COVID-19. Cette mesure permettra à l'industrie nationale de se préparer pour répondre aux besoins nationaux en temps et en heure ». En effet, mettent en avant les demandeurs, l'article 67 de cette loi prévoit l'octroi de « licences d'office » pour des produits pharmaceutiques à travers un acte administratif, à la demande de l'autorité en charge de la santé publique. Cette disposition s'applique lorsque des médicaments ne sont pas disponibles en « quantité́ ou qualité́ suffisantes » sur le marché, ou parce que le prix est « anormalement élevé». Et de rappeler qu'aucune négociation avec le détenteur du brevet n'est requise pour de telles licences. Cette disposition de loi permet de répondre aux besoins nationaux mais peut également être utilisée dans le but d'exporter des médicaments dans des pays qui n'ont pas les capacités de production suffisantes. Ainsi, relèvent-ils, le Maroc pourrait venir en aide aux plusieurs pays qui sont exclus de la licence de Gilead, pour beaucoup même en l'absence de brevet. L'industrie nationale pourrait également bénéficier d'un marché plus large contribuant à des prix plus abordables. Les trois associations invitent également les sociétés qui fabriquent des médicaments génériques marocains à assumer leurs responsabilités et à démontrer leur sens national face à cette pandémie mondiale. Le président de l'AMDH, Dr. Aziz Ghali, fait valoir à ce propos que « dès que les résultats des différents essais cliniques en cours seront confirmés, la demande mondiale sur les médicaments avérés efficaces va exploser. Il est peu probable que cinq génériqueurs puissent répondre seuls à une telle demande ». « Qu'est ce qui garantit que le Maroc sera priorisé ? Quels prix seront imposés au Maroc ? Que se passera-t-il si un pays producteur ou de transit décide de réquisitionner toute la production pour répondre d'abord à ses besoins internes comme a fait l'Inde en mars dernier ?, s'interroge Aziz Ghali, pour conclure que « notre pays doit se préparer à tous les scénarios et faire usage de tous les instruments légaux dont il dispose pour ne pas être pris de court« .