La crise du coronavirus ne va pas changer de manière dramatique la situation de la corruption dans beaucoup de pays. Elle va être posée selon de nouveaux termes, une conjoncture et problématiques nouvelles. Vu le caractère urgent de plusieurs initiatives, programmes et allocation de ressources, les risques de corruption et de détournements vont certainement augmenter. Comment faire pour minimiser les risques dans une situation exceptionnelle et d'urgence ? Plus que jamais, la gestion des politiques publiques devrait être transparente. Il sera encore moins acceptable que des fonds alloués et une assistance accordée aux sinistrés de la crise puissent être détournés ou mal gérés. L'exigence que les fonds publics atteignent la cible, ceux qui sont le plus dans le besoin sera certainement plus grande. Nous avons estimé que la population active (en âge de travailler) qui sera sinistrée est composée des travailleurs de l'informel (2,9 millions), de l'auto-emploi (3,39 millions), des aides-familiaux non rémunérés (2,34 millions). L'addition de ces trois catégories de travailleurs représente 8,63 millions de personnes. Si nous ajoutons le nombre des chômeurs qui est de 1,14 millions au minimum, nous parvenons à une population de 9,77 millions. Cette population ne bénéficie pas de revenu dans le cas des chômeurs et des aides familiaux. Sa grande majorité est fortement exposée à une perte drastique et brusque de revenu. Les autorités ont pris l'initiative positive d'accorder des aides exceptionnelles aux salariés du secteur privé (en chômage technique), à ceux qui ont le Ramed et ensuite à ceux qui sont dans situation précaire non bénéficiaires du Ramed. Cette aide va jouer un rôle social crucial, mais également économique. Si le revenu d'une majorité de la population s'effondre, nous aurons beaucoup de mal à assurer une reprise économique même après la fin e la crise sanitaire. En revanches, les aides permettront de répondre à une urgence, à maintenir les travailleurs en lien avec les entreprises et l'activité économique et faciliteront la reprise. Cependant, malgré cette aide, la reprise sera longue et compliquée car certains secteurs comme le tourisme – et toutes les activités autour – seront affectés par la fermeture des frontières, mais également par le choc planétaire et des comportements « précautionneux » des consommateurs. Certains secteurs et institutions sont connus pour le niveau élevé de fréquence de la corruption. C'est probablement ce qui explique, en partie, le retard pris dans l'allocation de certaines catégories d'aide : l'assistance aux Ramédistes et ceux non encore couverts du secteur informel. Même si l'aide attribuée ne respecte pas le seuil de pauvreté absolu de 20 dhs par jour et par personne – lui-même non actualisé au Maroc -, il y a lieu de souligner que l'Etat va engager des montants importants, estimés entre 13 et 18 milliards de dhs. Cet effet se fait alors que le pays se trouve dans une situation économique et financière difficile. Aussi, il est absolument nécessaire que la gestion des fonds publics soit totalement transparente. Par ailleurs, cette situation de crise va certainement induire plus de décision urgentes et discrétionnaires dans le cas de la passation de marchés (des modalités ont déjà été accordés notamment aux établissements publics) , de l'approvisionnement, etc. ...Cependant, cette situation exceptionnelle ne faudrait pas nous faire oublier que nous sommes dans une économie structurellement affectée par la rente et sa sœur jumelle la corruption. Dans ces conditions, comment traverser une période qui va connaître une mobilisation dans l'urgence de ressources publiques importantes (donations, aides, marchés...) ? La situation des finances publiques ne peut tolérer, en particulier dans ces circonstances, que l'argent public puisse être mal utilisé, gaspillé ou détourné. Pour les différentes considérations évoquées auparavant, il est indispensable de réduire au maximum la médiation administrative directe. La pratique de la distanciation sociale que nous utilisons pour réduire la contagion du Coronavirus devrait être, au maximum, transposée également sur le plan la circulation de l'argent et des ressources financières. Le paiement par messagerie électronique est une modalité positive qui mérite d'être élargie et institutionnalisée. C'est le moment aussi d'accélérer toutes les dispositions du plan numérique et des outils de l'e-gouvernement : le citoyen devrait être en mesure d'accéder à un nombre important de services sans se déplacer (Le télétravail devrait-être prolongé par le Télé services administratifs aux citoyens). C'est aussi le moment pour appliquer pleinement les dispositions de la loi d'accès à l'information. Au mois de mars, la publication proactive des informations devait commencer (article 10 de la loi). Ceci concerne une vingtaine de catégories d'informations et de documents. Ceci couvre les finances publiques, le budget de l'Etat, des collectivités territoriales et le fonds spéciaux. Ce qui englobe le fonds spécial de lutte contre le coronavirus. Le fait que le public puisse connaître ce que les uns et les autres reçoivent (donations et affectations) est un puissant levier pour s'assurer que l'argent public est bien utilisé et arrive à destination. Même en situation d'urgence, l'Etat doit fournir des informations sur les objectifs, les cibles, les critères et les procédures retenus dans le cadre d'une initiative, projet ou marché public. Enfin, les dispositifs actuels d'aides (et d'autres initiatives) devraient être soumis à des audits qui permettraient la vérification de l'atteinte des objectifs, et du coup identifier les dysfonctionnements éventuels dans l'affectation des ressources publiques. L'implication du parlement est en principe aussi requise car toutes les recettes et dépenses non prévues dans la loi de finances 2020 exigent l'adoption d'une loi de finances rectificative. *Azeddine Akesbi, Economiste, expert de l'Open budget, membre de plusieurs associations.