Très prisée en hiver comme en été pour la beauté de ses paysages, mais aussi pour la bonté de ses habitants, la commune de Dayet Aoua et son lac emblématique sont aujourd'hui pris au piège. L'agriculture intensive de la pomme a complètement asséché le lac, symbole et raison d'être de ce petit patelin de la province d'Ifrane. Au delà du constat partagé et du lien de cause à effet avéré, la population locale s'active pour trouver des alternatives, à même de préserver durablement les ressources en eau du village. Dayet Aoua, en plein cœur du Moyen-Atlas. Sa statue de léopard de montagne, ses nids de cigogne, son cimetière municipal et… son lac emblématique, complètement asséché. Même en période d'hiver, l'immense Daya, ou (Aguelmam pour les locaux) n'est plus qu'une vaste prairie dénudée, alors que les premières précipitations de l'automne ne semblent pas assouvir la soif de cette vaste étendue de 140 hectares. Dans les conditions normales, sa profondeur, relativement faible pour un lac perché à plus de 1460 mètres d'altitude, est de 4 à 5 mètres, notamment en amont (ouest) et dans une partie de l'aval (à l'est) significativement envasée. La raison de ce déclin drastique des ressources hydriques du lac est connue de tous: le pommier. « Ça a commencé il y a plus de 10 ans avec la plantation des premiers arbustes, et les premiers effets sur le lac se faisaient constater, mais sans réelle inquiétude« , se remémore Brahim Ouallal, habitant de ce petit patelin de moins de 10.000 habitants, et qui double quasiment en période de vacances, vu l'attraction touristique de la région. Petit à petit, par pur mimétisme, tous les habitants ont fini par devenir des « mordus de la pomme ». Et les subventions que touchent les exploitants agricoles n'arrangent en rien cette situation dramatique. « Même le savoir-faire ancestral en matière de plantes médicinales et aromatiques est en déperdition totale, la nouvelle génération ne sait plus comment entretenir différentes essences endémiques« , poursuit notre interlocuteur, rencontré dans l'une des gargotes jouxtant l'esplanade centrale du village, où une statue d'une panthère de l'Atlas rappelle la biodiversité paradisiaque qui a longtemps caractérisé Dayet Aoua et ses environs. Inadapté aux du sol karstique de la région, nécessitant d'immenses quantités d'eau, offrant peu de débouchés malgré les subventions publiques, la pomme pourrait devenir une source locale de malédiction si des projets de reconversion ne voient pas le jour. Et aux habitants de se trouver face un dilemme: poursuivre une exploitation aveugle, cupide, quitte à perdre leurs atouts naturels, ou perdre de modestes parts de marché, synonyme de baisse de l'activité économique dans une région traditionnellement spécialisée dans l'élevage et le pastoralisme. S'entretenant avec Hespress FR, un responsable local et enfant de la région, fait savoir que la culture du pommier assure un revenu stable aux habitants, en plus de vitaliser le très court circuit économique de la région, à mi-chemin entre Imouzzer du Kandar et Ifrane. « D'avril à septembre, l'irrigation des pommiers par pompage affecte à coup sûr la nappe phréatique, ce qui impacte drastiquement le niveau d'eau du lac comme tout le monde peut constater. Mais ce que les gens ne savent pas, c'est que des alternatives concrètes peinent à voir le jour« , nous confie le responsable local. Homme de terrain et très proche des habitants, l'agent public rappelle à quoi ressemblait Dayet Aoua avant l'implantation de grandes exploitations, faisant de la pomme une monoculture aux effets pervers: « C'est sympatrique de visiter le lac, d'emprunter le circuit touristique et de partager des moments de pure humanité avec les gens. Mais dans la vie de tous les jours, la commune vivait une relative insécurité, liée au fait que nous nous trouvons en plein espace forestier. Des malfrats bien connus faisaient régner la terreur en imposant une sorte de couvre-feu« , nous dit-il. Il explique à partir de ce constat que l'activité générée par les exploitations agricoles fait en sorte que les locaux trouvent du travail, certes précaire, en plus de faire appel à la main d'oeuvre d'autres localités proches. Durant la saison des cueillettes, on apprend par exemple que le coût journalier pour un ouvrier agricole est de 150 DH. « Pour une superficie d'un hectare, le pommier peut rapporter 14 millions de DH à son exploitant. Et plus la superficie augmente, plus on enregistre des économies d'échelle« , nous confie l'un des propriétaires terriens de Dayet Aoua. Ajourd'hui entre tourisme, projets de reconversion agricole et intérêt à revaloriser la biodiversité locale, des solutions existent. Les plus âgés se remémorent que durant la très critique décennie 1980, la sécheresse avait réduit à néant la Daya. Sauf que cette fois-ci, l'humain, dans sa recherche de profits non durables, mais aussi de moyens de subsistance dans un contexte économique difficile, est directement responsable de la situation. Dans une initiative pionnière conduite par l'ONG Fonds mondial pour la nature (plus connue sous le sigle WWF) en partenariat avec des organisations locales de la société civile, le Fonds de l'eau du Sebou est appelé à assurer du financement durable pour les opérateurs agricoles de Dayet Aoua et de toute la région des lacs. Basé sur le paiement pour les services écosystémiques, il fait de la conservation des ressources en eau, la restauration de la biodiversité et de la préservation des activités socio-économiques et culturelles, un enjeu de développement durable. En attendant que les premiers projets donnent leurs fruits, l'espoir est placé en ces acteurs locaux, capables de relever ce défi crucial, au vu de l'attachement qu'ils portent à leur terre.