Face à la baisse de son audience et au double séisme Trump-Weinstein, la cérémonie devrait adopter pour sa 90e édition un ton très politique. Décryptage des enjeux. Dans la nuit de dimanche à lundi se dérouleront les Oscars. Une cérémonie qui souffle cette année ses 90 bougies. Avancée d'une demi-heure, elle est retransmise en direct par Canal + et commentée par les habitués Laurent Weil et Didier Allouch. Direction le tapis rouge dès 0 h 10, puis à 2 heures du matin les choses sérieuses commenceront. Face au double séisme Trump-Weinstein, les mondanités devraient adopter un ton très politique et refléter la métamorphose de cette institution du septième art en quête de rédemption. Décryptage des enjeux de la soirée. Stopper la saignée des audiences Les Oscars, qui coûtent la bagatelle de 42 millions de dollars et pour lesquels la chaîne ABC débourse 75 millions de droits de retransmission, sont en baisse constante depuis quelques années. L'édition 2017 n'a réuni que 32,9 millions de téléspectateurs, un million de moins qu'en 2016. On s'approche du score historiquement bas de 2008 avec seulement 31,8 millions d'amateurs. En 1998, le triomphe de Titanic avait captivé 55 millions d'Américains! Malgré cette contre-performance, l'Académie qui décerne la précieuse statuette a renouvelé sa confiance à la star maison d'ABC, Jimmy Kimmel. L'animateur de talk-show a géré avec sang-froid le chaos de l'an passé quand La La Land a été désigné par erreur lauréat de l'Oscar du meilleur film face à Moonlight, suite à la distribution d'une enveloppe erronée. David contre Goliath Le cinéma indépendant est surreprésenté au détriment des blockbusters. Cela explique en partie les audiences anémiées. La Forme de l'eau de Guillermo del Toro, en tête avec treize nominations, n'a récolté que 55 millions de dollars au box-office. Neuf fois en lice, 3 Billboards: les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh a généré 50 millions de recettes. Dunkerque de Christopher Nolan et Get Out de Jordan Peele sauvent l'honneur avec 188 millions et 176 millions. Malgré huit et quatre nominations, ils ne font pas figure de favoris. Les anciens contre les modernes Sous le feu des critiques après deux éditions qui avaient snobé les acteurs et les réalisateurs issus des minorités, l'Académie des Oscars, repère de votants blancs, âgés et masculins, a élargi comme jamais sa base. En trois ans, elle a coopté 1 700 professionnels. Plus jeunes, plus féminins, plus cosmopolites. Ces nouveaux venus se sont fait entendre en 2017. Les nominations incluaient plusieurs comédiens de couleur. Le sacre de Moonlight, sur le douloureux passage à l'âge adulte d'un ado noir, plutôt que celui du dansant La La Land suggère l'évolution de la définition d'un «film à Oscars». Les drames historiques à la mise en scène somptueuse et les transformations physiques radicales perdent du terrain au profit d'autres performances plus naturelles ou engagées: Timothée Chalamet (Call Me by Your Name), Saoirse Ronan (Lady Bird ), Daniel Kaluuya (Get Out) et des œuvres de genre à l'image de Get Out, qui mêle horreur et satire pour parler de racisme ou de Moi, Tonya, biopic à l'humour noir. Favori pour décrocher la statuette du meilleur acteur pour son Churchill dans Les Heures sombres, Gary Oldman semble être l'exception qui confirme cette nouvelle règle non écrite. Vulture etThe Hollywood reporter ont interrogé anonymement des votants. Leurs enquêtes suggèrent un chiasme entre la vieille et jeune garde. Les jurés les plus âgés rejettent Get out et Call me by your name. Leurs cadets grincent eux des dents face aux Heures sombres ou au classique Pentagon papers et n'auraient pas été contre une nomination pour Wonder woman. Un palmarès moderne Dans le Hollywood complice de l'affaire Weinstein, les cérémonies sont devenues la tribune des stars pour réclamer la fin de l'omerta sur les abus sexuels et une meilleure égalité salariale, mais aussi créative, entre les hommes et les femmes. Il n'y a pas eu d'appel, comme lors des Golden Globes, à défiler en noir sur le tapis rouge, mais Jimmy Kimmel a promis que le mouvement anti-harcèlement Time's Up figurerait en bonne place dans ses interventions. Le palmarès a l'embarras du choix pour envoyer un message entre les hymnes féministes (Lady Bird, portée par laréalisatrice Greta Gerwig, 3 Billboards ou La Forme de l'eau) et les œuvres invitant à une plus grande tolérance dans l'Amérique divisée de Donald Trump (Get out). Par Constance Jamet