Le Conseil économique social et environnemental (CESE) a rendu public, mercredi à Rabat, un avis traitant de la situation des mariages d'enfants au Maroc. Le document titré "Que faire, face à la persistance du mariage d'enfants au Maroc ?" est une auto-saisine du conseil qui revient sur les chiffres des mariages, livre un constat alarmant sur la question et recommande d' "accélérer l'éradication" de la pratique. Conformément à l'article 6 de la loi organique n°128-12 relative à son organisation et à son fonctionnement, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) s'est autosaisi sur ce dossier. Dans ce cadre, le bureau du Conseil a créé un groupe de travail dédié chargé d'élaborer un avis sur cette question. Lors de sa 100e session ordinaire, tenue le 18 juillet à Rabat, l'Assemblée Générale du Conseil Economique, Social et Environnemental a adopté, à l'unanimité, l'avis sur « Que faire, face à la persistance du mariage d'enfants au Maroc ?». Une sorte de diagnostic détaillé sur cette pratique très courante au Maroc. . Des chiffres effrayants L'avis du conseil rapport que le Ministère de la Justice a enregistré 32 104 demandes de mariage d'enfants en 2018, contre 30 312 en 2006. Entre 2011 et 2018, 85% des demandes de mariages se sont soldées par une autorisation. 94,8% du total des unions impliquant des mineurs concernent les filles (45.786)9 et 99% des demandes de mariage concernaient des filles sur la période 2007-2018. "La situation serait d'autant plus alarmante, puisque seules les demandes en mariage des enfants et les mariages contractés légalement sont pris en compte par les statistiques du Ministère de la Justice. Les mariages informels d'enfants dits mariages « Orfi » ou « avec Al Fatiha » ou bien les mariages dits par « contrats » passés entre des hommes vivant souvent à l'étranger et des pères peu scrupuleux moyennant des sommes d'argent n'apparaissent pour leur part dans aucune donnée statistique officielle", note le CESE. Le Conseil cite également des chiffres du Haut commissariat au Plan (HCP) qui donnent le vertige. 23,8% des mineurs sont analphabètes, dont 32% de filles et 13,2% de garçons. 53,3% des filles mineures mariées sont les épouses des fils du chef de ménage, 8,7% sont les filles des chefs de ménage, 87,3% des filles mineures divorcées sont les filles (81,2%) ou sœurs (6,1%) des chefs de ménage, 60,8% des veuves mineures sont les filles (60,8%) ou sœurs (5,9%) du chef de ménage. Toujours selon les chiffres de HCP, 9,2% des veuves mineures sont cheffes de ménage, 14,3% vivent chez des proches et près du tiers des filles mineures mariées (32,1%) a déjà au moins un enfant. Leur grande majorité (87,7%) ne travaillent pas et sont femmes au foyer. Seuls 6,4% des mineurs sont actifs. Des conclusions alarmantes L'instance présidée par Ahmed Reda Chami estime que le mariage d'enfants concerne essentiellement les filles, il constitue une "discrimination à l'égard des filles et une violation des droits de l'enfant.". L'ampleur véritable du mariage d'enfants est méconnue, mais le nombre de mariages d'enfants demeure "trop élevé et doit inquiéter", alerte le CESE. Pour le Conseil, la Moudawana n'a pas résolu le problème du mariage des enfants. "Le dispositif aménagé par le Code de la famille n'a pas permis de diminuer le nombre de demandes en mariage impliquant des mineures (...) l'arsenal juridique souffre d'incohérences et n'est pas en harmonie avec les dispositions de la Constitution", explicite l'avis du CESE. Et des recommandations L'élaboration de l'avis s'est basée notamment "sur les auditions tenues avec un ensemble d'acteurs concernés: les autorités judiciaires et les associations" œuvrant dans ce domaine. Le Conseil note, entre autres, la nécessité de réviser le Code de la famille, tout en nuançant que 'la Loi est une condition nécessaire mais très insuffisante pour mettre durablement un terme à la pratique des mariages d'enfants." Pour le conseil, "le Code de la Famille n'est pas pleinement conforme aux conventions internationales et à la Constitution". Dans ce sens, l'avis affirme clairement l'obligation "d'harmoniser les dispositions du Code de la Famille avec la Constitution, la CEDAW, la Convention internationale des droits de l'enfant ainsi que la Convention internationale des droits des personnes handicapées". Une ligne qui rejoint celle du ministre de la Justice, Mohamed Aujjar, qui avait affirmé février dernier, "qu'il était temps pour ce Code, considéré comme un important acquis pour la famille et la société marocaines, de faire l'objet d'une révision de certains de ses articles, dont l'expérience pratique a démontré la nécessité de leur refonte en vue de combler les lacunes constatées lors de sa mise en application". Les signaux d'une révision imminente ?