S'ils prennent leur mal en patience, ils sont capables de narrer des histoires à n'en plus finir sur leur ennemi numéro un. En ces temps de chaleur, certains des habitants de la ville de Tadla et des douars avoisinants ont la voix teintée de mélancolie et enveloppée d'ironie lorsqu'on évoque le scorpion. Pour eux, c'est un acteur maléfique de premier plan qui choisit, pêle-mêle, ses proies. Classée quatrième grande région à risques au Maroc avec 14% des cas de piqûres enregistrées, Beni-Mellal Khenifra est un foyer stimulant pour ce monstre minuscule. Tadla était notre destination pour lever partiellement le voile sur la souffrance quotidienne des habitants de cette région au climat sec et aride. En se faufilant dans les ruelles du quartier périphérique "Douar Moulay Bouazaa", à Tadla, sous le soleil tapant d'une après-midi du mois août, nous étions loin de deviner que ce silence presque tombal est par moment brisé par des cris de douleurs, des alertes de secours, ou des pleurs suite à des disparitions subites. La silhouette d'une femme nous sert d'éclair pour sortir de cette nébuleuse muette et morose. Sa bonté réactive va tout de suite se contredire avec ses propos sur le scorpion noir (Aâguereb lakhal). "Il y'en a partout. Oui, même à l'intérieur des foyers. Dès qu'on l'aperçoit, on le tue avec ce qu'on a dans la main, de toute façon, on n'a pas d'autres solutions". Et elle continue tout en essayant de glisser sur le visage le foulard qu'elle a sur la tête "non jamais personne n'est venu s'enquérir de notre peine". L'intonation montante des propos de cette femme cinquantenaire contraint un jeune homme à cheminer doucement, juste à côté, en cette ruelle au sol poussiéreux avant qu'il ne s'arrête un sourire au bout des lèvres. Suite à notre interrogation, il répond par un large sourire cette fois, avant de laisser échapper eil y'en a des tonnes", "d'ailleurs, mon fils a tué un scorpion rien que ce matin…". A notre surprise, la petite rue silencieuse et vide il y'a quelques moments s'est remplie de femmes et d'enfants.
En une langue simple et si profonde, la discussion a pris une tournure plus étendue pour nous communiquer que, si sous d'autres cieux, l'immigration se décide à la recherche de l'épanouissement, d'un gain pain ou séduit par les charmes de la ville, les habitants de certains douars de Tadla et surtout des régions avoisinantes choisissent de tout laisser derrière eux pour s'installer dans l'espace urbain et fuir le scorpion.
Par ailleurs, consulté à ce sujet, docteur Benlarabi Sanaa, responsable de communication et écoute clinique au Centre marocain Anti-Poison et de pharmacovigilance a bien voulu apporter des éclairages sur la problématique tout en appuyant que pour lutter contre, il faut l'intervention de plusieurs départements et pas seulement celui de la santé. Ainsi, pour Benlarabi, les piqûres de scorpions sont certainement, un problème de santé publique. Selon les statistiques du Centre Anti-Poison, les piqûres et les envenimations scorpioniques (PES) représentent la première cause des intoxications déclarées. Ces piqûres sont souvent celles d'un scorpion noir dans 68% des cas, qu'elles sont d'origine rurale dans 70% des cas, et qu'elles surviennent à domicile dans 77% des cas. Ceci dit la piqûre survient entre 18h et 6h dans 70% des cas. Les piqûres s'observent nettement entre avril et octobre dans 75% des cas avec un pic entre juillet et août. Les régions les plus touchées par l'intoxication par piqûre de scorpion sont Marrakech-Safi, la région de Souss- Massa, Béni Mellal-Khénifra, Drâa-Tafilalet, Casablanca-Sttat, Fès-Meknès .