Des milliers d'Algériens ont battu le pavé de plusieurs villes, vendredi, pour répondre présents à la 117è semaine de manifestation réclamant le départ du régime et l'instauration d'un Etat civil et non militaire. Partout en Algérie, ces manifestants ont bravé l'interdiction de marcher, imposée par le ministère algérien de l'Intérieur qui a soumis la liberté de manifestation au régime d'autorisation préalable. A Alger, malgré la répression qui les vise depuis déjà quelques jours et les vagues d'arrestations qui s'opèrent, les citoyens algériens sont regroupés par centaines. Des arrestations en masse ont été signalées dans les rues de la capitale où des centaines de manifestants pacifiques ont été matraqués, frappés et emmenés manu militari vers divers postes de commissariats. Des représentants de la presse étrangère et de nombreux journalistes indépendants locaux, comme Khaled Drareni, qui a passé dix mois en prison entre mars 2020 et janvier 2021 pour avoir justement couvert une marche à Alger, ont été également arrêtés ou chassés par des policiers armés jusqu'aux dents et des forces anti-émeutes déterminées à violenter toute personne souhaitant marcher pacifiquement dans les rues d'Alger. On signale de même l'interpellation de leaders politiques comme Mohcine Belabbas et Fethi Gheras, respectivement premiers responsables du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie et du Mouvement Démocratique et Social. Selon le Comité National pour la Libération des Détenus (CNLD), plusieurs arrestations ont été également enregistrées dans d'autres villes comme Tizi-Ouzou ou Sétif. Cette interdiction intervient quelques jours après les menaces du ministère algérien qui a exigé, dans un communiqué, que toute manifestation fasse l'objet d'une déclaration préalable et déclare son itinéraire et ses slogans à scander auprès des services compétents. Réagissant à cette mesure, la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l'Homme (LADDH) a souligné qu'en soumettant la liberté de manifestation au régime d'autorisation préalable, "-l'Algérie nouvelle- s'installe dans la dictature". "C'est insensé et illégal", s'est indigné le vice-président de la LADDH, Saïd Salhi pour qui la volonté du pouvoir d'en finir avec le hirak et d'interdire les marches pacifiques s'est révélée au grand jour. Il estime que le pouvoir, qui est pris au piège de ses propres contradictions, n'a pas cessé de faire le marketing de la nouvelle Constitution en affirmant qu'elle consacre le régime déclaratif pour l'exercice des libertés. Selon des défenseurs des droits de l'Homme, le département algérien de l'Intérieur, qui a passé sous silence la répression des manifestants durant les deux dernières semaines dans plusieurs villes du pays, adresse ainsi un message clair au hirak et, par ricochet, à toutes les organisations qui envisageraient d'organiser, à l'avenir, des manifestations de rue. L'Algérie a enregistré, à quelques semaines des élections législatives, une montée sans pareille de la répression et des interpellations des manifestations, dénoncée par l'ONU et un grand nombre d'organisations et groupements internationaux. A Genève, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme (HCDH) a réitéré mardi sa vive préoccupation quant à la détérioration de la situation des droits de l'Homme en Algérie et à la poursuite de la répression contre le Hirak, dénonçant "le recours à la violence pour disperser les manifestations pacifiques" et "les arrestations arbitraires et la détention de personnes ayant exercé leurs droits à la liberté d'opinion, d'expression et de réunion pacifique". "Nous sommes de plus en plus préoccupés par la situation en Algérie où les droits à la liberté d'opinion et d'expression, de réunion pacifique et de participation aux marches continuent d'être menacés" a dénoncé le porte-parole du Haut-Commissariat, Rupert Colville. "Actuellement, environ 70 personnes seraient toujours détenues pour avoir exercé leurs droits humains légitimes. Certains d'entre eux purgent de longues peines tandis que d'autres sont en détention provisoire. De nouvelles allégations de violence physique et sexuelle en détention ont également fait surface ces derniers jours", a-t-il énuméré. Pour sa part, l'Union européenne a dit suivre de près les développements en Algérie et en particulier la situation des droits de l'Homme. D'après le Haut représentant de l'UE pour la politique étrangère et la sécurité Josep Borrell, qui répondait à une question d'une eurodéputée sur la détérioration de la situation des droits de l'homme en Algérie, a précisé que le respect des libertés fondamentales et des droits de l'Homme est un élément essentiel dans les relations UE-Algérie. Le Hirak, ce mouvement de protestation de grande ampleur qui a chassé le président algérien Abdelaziz Bouteflika du pouvoir après 20 ans de règne sans partage, avait repris le 22 février dernier après près d'une année de suspension pour cause de la pandémie de Covid-19 qui sévit en Algérie et dans le monde entier.