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Entretien avec Abdellatif Bennani, directeur du Budget : «Pour maîtriser la dépence, il faut d’abord établir des normes de dépense»
Publié dans Finances news le 18 - 09 - 2008

* Dans un contexte de libéralisation, l’approche budgétaire axée sur les résultats occupe une place de choix dans la réforme des finances publiques.
* Cette nouvelle approche se base sur des indicateurs de performance.
* La logique veut que 95 % du Budget s’exécutent sur le terrain.
Finances News Hebdo : L’un des piliers de la réforme des finances publiques est celle du Budget axée sur les résultats. Ce concept a-t-il été généralisé à l’ensemble des départements ministériels ?
Abdellatif Bennani : La logique de résultats a été introduite dans les budgets sectoriels depuis maintenant 4 à 5 ans. Bien entendu, c’est un travail de longue haleine. Comme vous l’avez certainement constaté lors des interventions, toutes les expériences internationales concluent qu’il faut préparer les conditions de réussite de ce genre de réforme pour la bonne gouvernance, telles que les systèmes d’information et les indicateurs de résultats les plus pertinents. Et bien évidemment, il faut avoir bien conçu à l’amont des stratégies sectorielles. Je crois que le Maroc a suffisamment évolué pour qu’il y ait aujourd’hui maturation de ses stratégies.
Aujourd’hui, nous pouvons constater que le Maroc opère par stratégies. Ainsi, nous disposons de stratégies pour pratiquement tous les secteurs, notamment le plan Emergence, le plan Azur…
La logique veut que ces stratégies soient déclinées dans les budgets sectoriels, mais avec des indicateurs de performances. C’est là où réside cette logique de résultat. Autrement dit, les ministères et les administrations qui sont en charge de l’exécution de ces stratégies-là seront jugés non seulement sur le volume des crédits budgétaires qui leur seront alloués, mais surtout sur les résultats qu’ils auront atteints.
Cette logique est même développée aujourd’hui dans les budgets sectoriels tels qu’ils sont élaborés à l’occasion de projets de lois de finances. Ces budgets sont désormais discutés au Parlement non seulement sur la base de stratégies, mais surtout sur la base d’indicateurs de performances et de progrès accomplis de manière chiffrée.
F. N. H. : Justement, la budgétisation sur les résultats implique la mise en place des indicateurs de performances. Actuellement où en sommes-nous ?
A. B. : Chaque département dispose de ses indicateurs de performances. D’ailleurs, depuis quelques années déjà, ces indicateurs font l’objet d’un document qui va au Parlement. Donc, il y a un regard des parlementaires sur ces indicateurs. Bien entendu, il dépend de la perspicacité des parlementaires et de leur capacité à souligner la pertinence de ces objectifs. Il leur appartient, dans le cadre de commissions sectorielles, d’examiner les budgets de chaque ministère, les indicateurs de performances et de quelle façon ils ont été atteints.
Ces indicateurs sont bons dans leur concept, mais encore faut-il les évaluer. Pour vous dire, il faut les auditer.
Ainsi, il faut voir s’ils ont été respectés ou pas, et c’est là le rôle de l’inspection générale des Finances et des inspections générales des ministères. A ce niveau, nous voulons que ce soit un travail de partenariat. Pour en revenir à votre question, aujourd’hui, plus de trente ministères sont dotés d’indicateurs sectoriels. Évidemment, la mise en place de ces indicateurs est un processus qu’il va falloir pérenniser et améliorer de façon continue. Ainsi, à chaque fois, nous en écartons un certain nombre qui ne servent à rien et essayons de choisir les indicateurs de résultats les plus significatifs.
F. N. H. : Hormis les systèmes d’information, quelles sont les conditions préalables pour réussir une réforme d’une telle envergure ?
A. B. : Il faut que tous ces projets, programmes et indicateurs se réalisent sur le terrain. Actuellement, nous avons des systèmes d’information au niveau des administrations centrales. Mais il faut les mettre en réseau pour qu’on puisse travailler et évaluer à temps ces indicateurs.
L’autre partie de cette réforme est cette espèce de contractualisation qui doit exister entre l’Administration centrale et les services extérieurs déconcentrés. La logique veut que 95 % du Budget s’exécutent sur le terrain ; donc, aujourd’hui on en est loin.
La logique veut également que ces services extérieurs puissent être dotés de ressources humaines, de managers qui ont cette culture de la gestion de projet et qui devront avoir des délégations de crédits en étant les interlocuteurs porteurs de contrats d’objectifs avec leur propre administration. C’est dans ce sens que se sont engagés nombre de ministères, notamment le ministère de la Santé et celui de l’Equipement.
F. N. H. : Autre point important : la convergence des politiques publiques qui, il faut le dire, laisse à désirer. Aujourd’hui, peut-on y prétendre ?
A. B. : C’est un élément fondamental de l’action sur le terrain. Aujourd’hui, il est important d’avoir une conception intégrée de la politique publique au niveau de l’Etat et qu’elle soit par la suite déclinée sur le terrain. Il y a des expériences mitigées. Ainsi, nous avons réussi sur certains points et pas sur d’autres. Et très souvent, c’est une affaire de terrain qui relève des walis et gouverneurs. Quand ces derniers sont dynamiques et très ouverts sur l’ensemble des ministères représentés au niveau territorial de leurs prérogatives, c’est là où nous palpons du succès. En attendant un schéma plus formalisé, il faut bien accumuler un certain nombre d’expériences sur le terrain pour pouvoir légiférer autour de ça.
Je sais que le ministère de l’Intérieur qui est en charge de tous les aspects de déconcentration est en train de travailler, avec des ministères pilotes, sur cet aspect de la convergence.
F. N. H. : Tous les projets contribuant à la modernisation des finances publiques sont bien ambitieux, mais dispose-t-on des ressources humaines et matérielles suffisantes pour les mener à bien ?
A. B. : Je crois que ces moyens, il faut savoir se les constituer, se les faire au fur et à mesure. Déjà que nous disposons de moyens non négligeables qui sont déployés sur les secteurs d’activité hautement prioritaires comme l’éducation, la santé, l’habitat, les infrastructures…
Ce sont des moyens qui augmentent d’année en année et qu’il faut bien utiliser. Il s’agit de la légitimité de l’Etat.
Nous n’avons pas le droit de gaspiller des ressources limitées par définition et qui concernent le citoyen. C’est l’argent du contribuable qu’il faut utiliser à bon escient.
Il se peut qu’il y ait un problème de ressources humaines pour conduire ces programmes sur le terrain, mais je crois que l’administration regorge de compétences et qu’il suffit de les placer là où il faut en les dotant des responsabilités et des moyens qui leur permettent d’y faire face.
F. N. H. : Comment, d’aprés-vous, peut-on concilier la maîtrise de la dépense sans pour autant toucher aux programmes ?
A. B. : La maîtrise de la dépense commence d’abord par la nécessité d’établir des normes de dépense. C’est-à-dire, des normes de coût. Ainsi, dès lors qu’on réalise des centaines de salles de classe, on devrait pouvoir aboutir à une normalisation du coût.
Et à partir du moment où l’on a maîtrisé le coût, on peut faire beaucoup de choses, d’où l’intérêt, à titre d’exemple, de la comptabilité analytique pour pouvoir évaluer combien nous coûte la formation d’un élève.
F. N. H. : En quelques mots, comment évaluez-vous l’état d’avancement de la mise en place de la réforme des finances publiques à ce jour ?
A. B. : C’est un état d’avancement très positif. Il existe aujourd’hui une prise de conscience chez tous les acteurs de la dépense publique, mais il faut encore aller de l’avant. Car nous n’avons pas le choix, il s’agit de préserver l’argent du citoyen.


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