Le Président de lAssociation « Homme et environnement » de Berkane est lun des personnages les plus singuliers quon puisse rencontrer au cours dune vie. Cest un passionné de la question environnementale au Maroc doublé dun poète qui cultive la discrétion. Pourtant, cest un fervent militant connu aussi bien au Maroc quà létranger puisque plusieurs journalistes et acteurs associatifs étrangers viennent régulièrement le consulter sur le sujet. Cet homme na plus connu de vacances depuis des lustres, comme il na plus droit à aucun loisir. Mais il ne sen plaint pas : « Le travail constitue lessentiel de ma vie ». Bien dautres ont constaté le fait, notamment un célèbre journaliste hollandais, Steven Adolf, qui travaille pour le NRC Handelsblad, le plus grand quotidien néerlandais. Ce correspondant en Espagne a écrit tout un chapitre sur Najib dans un de ses livres sur lenvironnement. Najib Bachiri est donc célèbre sous dautres cieux ; mais ici au Maroc, on ne retient de lui que sa farouche opposition au grand projet de Fadesa à Saïdia, devenant ainsi la bête noire des autorités de tutelle de la région. Il décrie haut et fort les méfaits que peut engendrer un tel projet sur lenvironnement, sur les ressources hydriques, mais aussi sur les espèces rares qui ont été chassées de leur habitat naturel. Il ne manifeste aucune crainte, ni peur de représailles. Cest certainement un trait caractéristique des gens de lOriental réputés coriaces. « Peut-être que jai cela dans les gènes ». Na-t-il vraiment jamais peur ? « Je ne sais pas. En tout cas, dans ma famille, la peur na jamais eu aucune place. Dailleurs, jai des ancêtres qui ont passé des années et des années en prison pour les idées quils défendaient. Même mon grand-père a été emprisonné à Marrakech où il est mort Mais vous savez, quand on sert une cause, il faut complètement éliminer la peur, sinon on navancera plus. Je suis seulement terrorisé à lidée que mes actes pourraient affecter les autres de façon négative. Aussi, janalyse dabord mes actes afin déviter cela». Déterminé, il lest effectivement, mais il reste un être très sensible. Dailleurs, cest un jaloux de sa passion. «Quand je me sens un peu seul, jessaye décrire de la poésie en anglais ; cest une manière de parler à soi et dexorciser nos craintes, nos envies et frustrations». Il se rappelle cette nuit à lUniversité de Fès en 79, alors que lorage sabattait sur la ville, où il se réveilla à trois heures du matin et eut une pensée pour les sans-abri. Cela la inspiré pour écrire un poème en anglais : «Dans un coin noir de ma ville, il sassied et parle au vent qui nettoie les rues vides. Avec ses mots, il remplit latmosphère de sa peine. Le ciel sest transformé et la pluie commença à tomber». Et Najib lit de tout: «jadore particulièrement la littérature anglaise et je lis également tout ce qui est lié à lenvironnement ; je maccroche au changement, non pas climatique, mais pour être à jour de ce qui se passe ailleurs». Alors, si vous étiez ministre, quauriez-vous décrété ? « Je ne pense pas devenir ministre. Je suis un homme pragmatique, je nimagine pas être dans une position que je naccepte pas. Dans le contexte marocain, je sais quil y a des limites quil ne faut pas franchir et que mes actes seront contrôlés. Je suis comme une baleine qui aime locéan; être ministre cest comme un poisson rouge dans un bocal à qui chaque jour son maître vient donner à manger, et derrière lui, un chat qui rêve du jour où il avalera le poisson. Non, ça ne me convient pas ! ». Mais lessentiel pour lui est de faire accéder la population au dialogue. « Chaque activité sans concertation aboutit à un résultat négatif; mais quand on intègre tout le monde dans un projet, cela motive chacun à fournir un effort ». Dans ce contexte, il est intéressant de savoir que Bachiri nest pas cantonné dans lactivité environnementale, mais également dans le développement durable . Mieux, il est sollicité par le citoyen lambda chaque fois quil rencontre des problèmes, notamment les gens nécessiteux et les dépourvus comme les Subsahariens candidats à lémigration. Une question sensible à laquelle il prête une extrême attention, accompagné du Père Lépine, le prêtre de la ville dOujda. Tous les deux essaient dapporter leur aide à ces populations en détresse. Najib Bachiri naime pas posséder. « De Gaulle avait dit un jour : « les possédants sont toujours possédés par ce quils possèdent ». Alors je ne veux pas être possédé ». Au plan familial, il précise ne pas avoir denfant, « mais je pense que dans la vie il ne faut pas être égoïste ; je pense aux autres citoyens et à leurs enfants et à la meilleure façon de leur garantir un avenir. Dans lAssociation, jai plusieurs ateliers pour les enfants que je considère comme miens ». Comment cet homme a-t-il développé cette fibre écolo au point de fonder une association dédiée à cette problématique ? « Beaucoup de personnes, notamment des étrangers, me surprennent en me disant que jai une pensée occidentale. Or, la protection de lenvironnement fait partie de notre culture marocaine. Quand jétais petit, ma grand-mère me disait toujours de ne jamais toucher une hirondelle, parce que si lon fait mal aux hirondelles, une fois adulte, on a les mains qui tremblent. Et cest ainsi que jai grandi dans une maison où lon respecte lenvironnement. Ce nest pas une mode qui nous vient dOccident, puisque notre culture recèle les dispositions essentielles pour veiller à la protection de lenvironnement. Et si vraiment on essaie de préserver la culture marocaine, je pense quil y aura beaucoup de choses qui contribueront à la protection de lenvironnement». Si Najib Bachiri obéissait à sa grand-mère, il nétait pas pour autant un enfant sage, sans être non plus turbulent. Il était en fait curieux de son environnement : «Je voulais toujours découvrir des choses qui nintéressaient pas vraiment les enfants ou ceux qui navaient pas le courage de poser des questions un peu ambiguës ». Ainsi, quand sa mère lui demandait de rester sagement à la maison, Najib partait à la découverte du paysage immédiat et nhésitait pas à se baigner dans les rivières voisines. Adolescent, il continuait à cultiver des sujets dintérêt autres que ceux des jeunes de son âge. « Je mintéressais à la lecture et je mexerçais à la poésie. Dans notre maison, il y avait aussi beaucoup denfants du voisinage, souvent pauvres, et jai appris leur souffrance et comment les respecter ». De cette époque, Najib garde un douloureux souvenir, celui dun père qui décède dans sa voiture des suites dune crise cardiaque. « Mon père a succombé sous mes yeux, ça a été le moment le plus dur de ma vie », explique-t-il avec une larme aux yeux. Après des études en littérature anglaise, il sest adonné à sa passion, la lutte pour la protection de lenvironnement Il voue un culte à labbé Pierre et au Père Lépine, ce dernier sétant désintéressé de sa personne pour servir les autres. « Il ma beaucoup marqué, cest pour moi labbé Pierre de lOriental ». Depuis, on ne cesse de lagresser, mais Najib nest pas rancunier, bien au contraire. « Je nai pas de haine ! ». Par contre, il avoue avoir un défaut particulier : « Je juge mal parfois, mais, au final, je ne suis quun être humain, car il marrive de regretter. Cela dit, je ne suis pas prisonnier de mon regret, puisque cest lennemi de la vie et du progrès ».