* Les hypothèses de la Loi de Finances sont difficilement tenables. * Une croissance «utopique» de 6,8% nest réalisable quavec une excellente année agricole et un bon comportement de léconomie mondiale. Finances News Hebdo : À votre avis, le projet de Loi de Finances, est-il réaliste et surtout réalisable ? Driss Benali : En effet, les hypothèses sur lesquelles se base le projet de Loi de finances sont loin dêtre réalistes. Encore moins dêtre réalisables puisquelles se basent sur lhypothèse dun baril de pétrole à 75 dollars, alors quil frôle les 100 dollars. Ils se basent aussi sur une année moyenne de récolte. Apparemment, il est encore très difficile de pouvoir se prononcer. Mais une année moyenne suppose quon soit actuellement à 59 ml. Actuellement, on est encore à 37 ml. Les barrages ne sont remplis quà hauteur de 43%. Cette hypothèse pour linstant est une hypothèse et cest tout. Lautre hypothèse consiste à supposer un ordre de croissance mondiale de lordre de 4,7%, alors que là cest le taux de croissance européen quil faudrait prendre en considération qui est notre partenaire et pas «le monde». A côté de cela, il y a un certain nombre de fondamentaux qui simposent, cest-à-dire une inflation de lordre de 2%, le déficit budgétaire de 3%, et tout ça avec des réductions fiscales dun côté, des augmentations de lautre. Bref, je crois que cest un Budget qui manque de réalisme et quil y a plein de contradictions. En ce sens quil veut ménager le chou et la chèvre. Le projet table sur une croissance «utopique» de 6,8%, or ce pourcentage nest réalisable quavec une excellente année agricole et un bon comportement de léconomie mondiale. Pour linstant, je ne vois pas cela. F. N. H. : La baisse des taux de lIS et de la TVA ne serait-elle pas de nature à affecter les recettes étatiques et donc influer négativement sur les engagements déjà pris par le gouvernement ? D. B. : Cela est un fait. Je crois que le gouvernement table sur une chose : réduire la fiscalité pour accroître la compétitivité des entreprises et amener aussi dautres entreprises, une bonne partie, à la légalité ; la baisse des impôts facilite cette intégration. Au moment où lon subit de plein fouet les augmentations des prix du pétrole, le gouvernement veut faire un geste envers le tissu industriel et commercial. Par ailleurs, la balance commerciale du Maroc ne fait que des dégringolades, cela veut dire que nous sommes en train de perdre des marchés à lextérieur et donc notre compétitivité diminue. Ce geste est tout à fait raisonnable. Mais de lautre côté, le consommateur sera relativement sacrifié puisque cest lui qui va subir laugmentation de la TVA. LEtat mise sur une augmentation des recettes fiscales de 17%. Mais le grand problème reste toujours au niveau de lassiette fiscale au moment où limportance de la fraude fiscale et de linformel devient de plus en grande. Seulement 1/3 des entreprises paient limpôt. F. N. H. : Cest donc aussi une hypothèse difficilement tenable ? D. B. : Assurément. Il reste à savoir si les entreprises vont enfin intégrer le domaine fiscal ? Est-ce quelles vont saisir ce message ? De son côté, est-ce que le gouvernement peut prendre des mesures denvergure pour obliger les récalcitrants au paiement de limpôt et les soumettre à la loi. Les soumettre à la loi suppose des moyens très développés pour lAdministration fiscale et une volonté politique très forte. Car ce sont des lobbies qui existent partout et qui siègent même au Parlement. Ils sont là pour défendre un certain nombre dintérêts et quand on trouve des entreprises déficitaires pendant des années et qui sont toujours sur le marché, cest inexplicable en terme de fiscalité. F. N. H. : Au niveau de la politique sectorielle, certains secteurs ont été marginalisés alors quils sont vitaux pour léconomie nationale. Partagez-vous cet avis ? D. B. : Lagriculture est un secteur stratégique. Il faut bien le dire. LEtat part de lhypothèse depuis quelques années que lagriculture est un secteur en perte de vitesse et quil faut réduire sa place dans léconomie en tant que facteur déterminant. Apparemment, lagriculture et le textile sont en train de perdre de leur compétitivité. A cause de la concurrence asiatique et des conditions climatiques défavorables. F. N. H. : Mais ce ne sont pas des raisons pour délaisser des secteurs qui emploient une bonne partie de la population active D. B. : Cest juste. Seulement lEtat fait larbitrage suivant : jouer sur lOffshiring et le plan Emergence cest créer beaucoup demplois pour les jeunes citadins qui font beaucoup de bruit. Par ailleurs, lEtat se dit que le Budget doit plutôt alimenter les secteurs émergents plutôt que ceux en perte de vitesse. F. N. H. : Donc, cest condamner le monde rural à lexode ou à chercher dautres alternatives, daprès ce raisonnement ? D. B. : Chercher dautres alternatives, cest possible. Mais du moment que le Maroc a fait le choix de la mondialisation, je crois quune partie de son agriculture devait être sacrifiée. Parce que le Maroc na pas davantages comparatifs dans ce domaine. Ce qui permet à léconomie de tenir ce sont les recettes du tourisme, des PME et celles provenant de lOffshoring et des activités de lexportation. F. N. H. : Sur un autre registre, lesprit de la Loi de Finances, sinscrit-il en continuité ou en rupture par rapport aux précédentes ? D. B. : Depuis les années 90, il y a deux principes essentiels qui guident le Budget marocain : le premier est le respect stricto sensu des équilibres macro-économiques. Ça a commencé depuis que Mohamed .Berrada et Abdellatif Jouahri étaient ministres des Finances. Le deuxième principe est le souci social. Après les constats sur la fracture sociale, le taux de pauvreté qui galope, lenclavement du monde rural, le côté social est devenu net dans les Lois de Finances. Par conséquent, cette Loi de Finances est en continuité avec les précédentes. Au sein dun climat mondial aussi défavorable, la marge de manuvre est réduite. F. N. H. : Est-ce que vous pensez que la Caisse de compensation doit changer de vocation ? D. B. : Au niveau économique, la Caisse de compensation est un fiasco. Mais sur le plan social, la compensation est importante. Les Marocains sont très sensibles à laugmentation des prix des produits de base. On se rappelle que toutes les émeutes qua connues le Maroc en 1981 à Casablanca, 1984 dans le nord et 1990 à Fès, ont été des émeutes de la faim. LEtat est très attentif à ce niveau. Nous avons une très forte fracture sociale ; faire jouer la liberté des prix est trop risqué. 45% des Marocains sont une population vulnérable.