«Ma mère la rue» : ce nest nullement le titre dun film mais bel et bien une expression quon pourrait entendre dans la bouche dun môme dit «enfant de la rue». À la manière de Ali Zaoua, ces êtres humains luttent contre vents et pluie, contre froid et chaleur, contre rafles et famine Pourquoi en sont-il arrivés là ? Que faut-il faire pour réussir leur intégration ? Esquisses de réponses À travers le monde entier, il existe des enfants ayant abandonné (ou ayant été abandonnés) leur famille par choix ou par obligation. Chez nous, au Maroc, il suffit douvrir les yeux dans les gares routières, sur les places de taxis ou dans divers quartiers de notre ville pour constater une vérité si choquante. Le phénomène des enfants de la rue, bien que sans nationalité ni frontières, reste un phénomène propre aux pays en développement. Au Maroc, cette catégorie dêtres humains reste marginalisée en labsence dune vision globale de lEtat. À ce facteur, sajoutent une insensibilité et une indifférence des citoyens qui condamnent souvent sans compréhension et sans compassion, une rue-jungle qui ne reconnaît que léternelle loi du plus fort, des partis politiques passifs ne manifestant de lintérêt que pour les voix récoltables lors des campagnes électorales, ainsi que des institutions recroquevillées sur elles-mêmes (école, maison des jeunes ) dont la problématique de lenfant de la rue reste le dernier des soucis. Heureusement que, dans ce piètre tableau, existe lexception qui confirme la règle. Cette exception se manifeste à travers le travail acharné et sans relâche que mènent certaines ONG au Maroc. Ces associations, dont laction relève du bénévolat, militent pour la dignité de cet enfant retrouvé dans la rue, suite à certaines circonstances pénibles, et qui aurait pu être un citoyen plus productif que dautres. Elles militent, mobilisent et se mobilisent, entreprennent et préviennent, pour aider lenfant de la rue à intégrer une société qui la rejeté. Elles affrontent cependant une infinité dobstacles liés aux tracas administratifs, aux risques de la rue, aux problèmes de financement, etc. Le refuge à ciel ouvert, pourquoi ? Les raisons sont aussi complexes que le phénomène lui-même. Elles sont aussi enchevêtrées que les fils dun tissu. Dans un souci purement didactique, on peut saventurer à les classer ainsi: «causes familiales» et «causes économiques». Lenfant est dabord une victime des dysfonctionnements que peut connaître la cellule familiale. Lenfant trouve refuge dans la rue parce que son foyer est disloqué. Il est refusé par un beau-père ou une belle-mère, ses parents ont disparu ou sont morts, il nest pas reconnu par son père, il nest pas arrivé à se réconcilier avec sa famille suite à un drame familial, il est maltraité et subit les sévices dun parent violent ou, pire, il est violé ou est victime dinceste... Cette énumération nest pas exhaustive, mais représentative des causes directement liées à la structure familiale. Manger pour vivre semble être la première raison dordre économique qui pousse lenfant à quitter son foyer pour grandir dans la rue. À la faim qui déchire les tripes au sein dune famille misérable, lenfant préfère les poubelles de la rue ou les miettes laissées par les clients des restaurants. Quant à lenfant appartenant au monde rural, la fugue collective devient monnaie courante. Lenfant préfère vivre dans la rue au sein dune «bande» venant du même village ou de la même région. Il compense, par ce fait, une certaine protection délaissée ou quasiment absente dans son passé. Le travail de lenfant peut, lui aussi, engendrer le même phénomène. Ainsi, un enfant surexploité finit par réagir en trouvant refuge dans la rue. À lesclavage, il préfère respirer lair et fuir lautorité du «mâallem» despote. De la sorte, il espère pouvoir retrouver ce droit inestimable quest la liberté. Cest dailleurs au nom de celle-ci que les rues sont envahies par les enfants en détresse. Comment y remédier ? Il est important de signaler que toute entreprise visant à cerner et à résoudre un tel phénomène ne saurait être efficace si les pouvoirs publics nadoptent pas une vision globale. Elle ne saurait être constructive si la société civile croit en lEtat-providence. Celui-ci ne doit pas et ne peut pas être lacteur unique devant remédier à un tel problème. Lenfant en difficulté est symptomatique dune pathologie sociale complexe et multifactorielle. Lapproche doit donc être transversale et globale. Tous les départements dEtat doivent être concernés et impliqués, de même que lensemble des élus locaux. Les actions isolées (et isolatrices) ne peuvent résoudre un problème aussi complexe. Une stratégie globale, bien élaborée, doit identifier les rôles de chacun des partenaires : bénéficiaires, communes, ONG, Etat, médias, secteur privé En attendant, nos enfants continueront à voir dans la rue la seule «mère» capable de les bercer sans réserve. Mais à quel prix ?