L'Etat entend-il cette fois-ci limiter, comme avant 2011, les résultats du PJD ? Si l'on s'en tient à la décennie écoulée, le jeu politique était peut-être plus complexe. Du côté de la formation islamiste, son insertion dans le «système» s'est faite durant une quinzaine d'années par étape.La première couvre les années 1996-1998 où il est hébergé par le MPDC du Dr. Abdelkrim El Khatib. Il passe d'un statut de «sans papiers», toléré, à un autre; le Dr. El Khatib offrant un cadre légal mais surtout un gage à l'endroit du méchouar. La deuxième période est celle des années 1998-2011. La formation islamiste se retrouve au sein d'un nouveau parti qu'elle crée, le PJD. Sa progression se fait au fur et à mesure des différents scrutins législatifs. Elle part de neuf sièges en 1997 (sous l'étiquette du MPDC) pour arriver à 42 en 2002, puis 46 en 2007 jusqu'aux 107 sièges de 2011. Le PJD pouvait-il couvrir toutes les circonscriptions ? Il reconnaît lui-même que non. Mais d'un autre côté, il est connu qu'il a aussi fait montre de retenue, d'autolimitation. Pourquoi ? Parce qu'il savait qu'il devait, de nouveau, donner des gages de modération, surtout qu'après les évènements de Casablanca du 16 mai 2003, il avait failli être dissout... Ce principe de précaution ou de prudence a été levé en 2011, et ce à la faveur d'une conjoncture très particulière liée au «Printemps arabe». Sur la base de ces éléments-là, comment se présentent les élections législatives du 7 octobre 2016 ? Cette situation est inédite dans le parcours du PJD : il dirige le gouvernement, il a un bilan à défendre, et à ce titre, il est comptable de ce qui a été réalisé et de ce qui ne l'a pas été. L'Etat veillera certainement à ce que l'opération électorale du 7 octobre se passe dans des conditions globalement régulières. Il y va de la crédibilité de la transition démocratique à l'ordre du jour. Le formalisme du scrutin sera respecté, d'autant plus que des milliers d'observateurs, nationaux et étrangers, seront présents pour en attester. Mais c'est le processus en amont-depuis l'établissement des listes électorales jusqu'au choix des candidats et leur parrainage et durant la campagne électorale-qui posera problème : tout sera -t-il maîtrisé ? Référence est faite notamment à l'emploi de l'argent, à la neutralité de l'administration, à la dimension aussi du «nomadisme» des élus sortants ... Pour revenir au plus près, l'on peut proposer une approche inverse : le PJD a-t-il intérêt à rééditer son score de 2011 et à reprendre alors, pour une législature de cinq ans (2016-2021) la direction du gouvernement ? Sur le papier, la réponse de principe est démocratique : si les urnes en décident, pourquoi pas ? Mais le PJD évolue dans un système, avec d'autres partis et acteurs, et ce n'est pas simple. Quand Benkirane paraît se positionner déjà comme un Chef de gouvernement après le 7 octobre, il préempte déjà un statut et une fonction. Il se présente comme incontournable, et de ce fait tout paraît se passer comme s'il s'imposait par avance au Roi. Le Souverain n'aurait donc pas d'autre choix que de nommer un Chef de gouvernement déjà pratiquement autoproclamé par avance. Or, dans ce schéma, se fait un basculement vers une monarchie parlementaire à l'instar de l'Espagne ou de l'Angleterre. C'est d'autant plus évident que le Chef de gouvernement actuel, Abdelilah Benkirane, par ailleurs secrétaire général du PJD, a modifié ce week-end les statuts de ce parti à l'occasion de la session extraordinaire du Conseil national pour contourner la règle de deux mandats qui s'impose à lui. S'opère ici un verrouillage du processus de désignation du Chef de gouvernement après le 7 octobre dans les propres rangs de sa formation. Mais cette même opération se couple avec un autre verrouillage restreignant le choix royal -si le PJD arrive en tête- à sa seule personne. Rien d'étonnant dans ces conditions qu'une certaine approche se préoccupe d'éviter ce scénario en faisant tout ce qu'il faut pour éviter cette éventualité. La mobilisation du PAM pour décrocher le premier rang participe de cet état d'esprit. Ailleurs, dans certains cercles, une analyse convergente est en débat. Elle se fonde sur plusieurs éléments : que le PJD de 2016 ne bénéficie plus -comme en 2011- d'une conjoncture exceptionnelle; qu'il est de surcroît comptable d'un bilan peu probant, en-deçà en tout cas de ses promesses et de ses objectifs; qu'il n'a pas de véritable capacité réformatrice. Le coût politique de son passage éventuel à l'opposition n'est sans doute pas minime mais il n'est pas insupportable d'autant plus que l'environnement régional et international n'est plus favorable comme il y a quelques années. En bonne stratégie, Benkirane et le PJD devraient peut-être s'autolimiter avec un score autour de 90 sièges; ce serait un investissement porteur à long terme. Mais le voudront-ils tant il est vrai que des ambitions personnelles et des appétits hégémonistes seront difficiles à surmonter. Par Mustapha SEHIMI,