La montée au créneau des médecins, pharmaciens et cliniciens suite à l'adoption du projet de loi 109.12 portant Code de la mutualité est incompréhensible selon les mutuelles. L'équilibre financier des mutuelles passe par une meilleure gestion des prestations et l'optimisation des frais de gestion. L'intérêt de ce dispositif est de tirer tout le monde vers une optimisation des coûts, y compris le secteur privé. Selon Abdelaziz Alaoui, président du Conseil d'administration de la Caisse mutuelle interprofes-sionnelle marocaine (CMIM), co-président de la Coordination des mutuelles du Maroc, si le Code de la mutualité passe dans sa mouture actuelle, il n'y aura certainement plus de mutuelles au Maroc. Finances News Hebdo : Le projet de loi 109.12, portant Code de la mutualité, récemment soumis au Parlement, est dans sa phase finale d'approbation. Que va apporter ce nouveau dispositif juridique aux mutuelles ? Abdelaziz Alaoui : Depuis 1963, les mutuelles sont régies par le dahir 1.57.187 du 12 novembre 1963. Un dahir qui est certes décalé par rapport à l'évolution de la médecine, mais qui cadre par-faitement l'activité. L'idée d'un Code de la mutualité est née suite au déclenchement de l'affaire de détournements de fonds et de malversations à la Mutuelle géné-rale du personnel des administrations publiques (MGPAP). L'élaboration du projet de loi avait été confiée à des fonctionnaires des ministères de tutelle, à savoir de l'Emploi et des Finances, qui avaient fait un copier/coller du statut de la société anonyme (SA). Le projet de loi, tel qu'il a été soumis la pre-mière fois à la Chambre des conseillers, était donc inadapté au statut des mutuelles qui, non seulement sont à but non lucratif contrairement à la SA, mais elles sont soumises à des valeurs universelles. Il faut dire que les mutuelles n'ont pas été impliquées dès le début au processus d'élaboration du texte. Jusqu'au moment où la Chambre des conseillers a demandé l'avis consultatif du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui, lui, a consulté les mutuelles (publiques et privées). Certes, plusieurs modifications ont été apportées au premier texte, fort heureusement, suite à l'avis du CESE. Toutefois, la mouture actuelle comporte toujours du copier/coller du statut de la SA. Cela dit, l'objectif de ce projet de loi n'est pas de pallier les lacunes du dahir de 1963, mais d'aller vers un mode de gouvernance plus transparent. Je tiens à signaler que même si la loi ne l'impose pas, du moins pas encore, toutes les mutuelles agissent aujourd'hui dans la transparence (com-missaire aux comptes, audits externes...) . F.N.H. : L'introduction d'un amende-ment dans ce projet de loi autorisant les mutuelles à créer et gérer leurs propres unités de soin et de pharmacie a suscité la polémique. Selon vous, cette grogne des médecins, des cliniciens et des pharma-ciens est-elle justifiée ? A. A. : Cette montée au créneau du corps médi-cal est incompréhensible. D'une part, parce que les mutuelles disposent déjà d'unités de soin, et ce conformément à la loi. Le texte soumis au Parlement est donc totalement conforme au dahir de 63 qui, dans son article 38, autorise les mutuelles à créer leurs unités de soin. Il n'y a rien de nouveau par rapport à ce point. Je tiens à signaler également que les premières cliniques privées au Maroc (depuis 1919) ont été ouvertes par les mutuelles. Autre point important, les mutuelles n'ont pas beaucoup de marge de manoeuvre. En d'autres termes, si les prestations augmentent, il va falloir forcément augmenter les cotisations, ce qui n'est pas évident particulière-ment pour le secteur public. Maintenir l'équilibre financier des mutuelles passe donc par une meilleure gestion des prestations et par l'optimisation des frais de gestion. En 2014, par exemple, les services rendus par les Centres dentaires mutualistes (CDM) ont permis aux mutuelles (privées et publiques) d'économiser plus de 285 MDH (tableau1). Avec ces économies, les mutuelles ne cherchent pas à réaliser des bénéfices, mais à constituer des réserves. Il faut préciser également, que seuls 15% des adhérents les plus défavorisés sur le plan salarial et leurs ayants droit bénéficient de ces prestations; le reste des adhérents ont recours au secteur privé et à une moindre mesure au secteur public. Nous ne sommes pas en concurrence avec les prestataires de soins. Autre élément, et pas des moindres, en tant que groupement de personnes à but non lucratif, la loi 113-13 autorisant l'ouverture du capital des cliniques privées aux investisseurs non médecins nous autorise également à ouvrir des cliniques privées. Toutefois, il est utile de rappeler qu'une mutuelle, par vocation, a pour ambition de consacrer son action au service de ses adhérents et, par conséquent, ne peut pas rechercher un but lucratif. Toute recherche de profit est incompatible avec sa nature. Cependant, les considérations économiques et les principes de bonne gestion ne doivent pas être négligés puisqu'ils contribuent à la réalisation du bien-être collectif. Une mutuelle doit non seulement veiller à équilibrer ses comptes, mais également à dégager des excédents afin de constituer des réserves. Grâce à une bonne gouvernance, la CMIM, par exemple, était, en 2014, à 20 mois de réserve. L'intérêt de ce dispositif est de tirer tout le monde vers une optimisation des coûts, y compris le secteur privé. F.N.H. : L'article 44 de la loi 65-00 interdit à un organisme gestionnaire d'un ou de plusieurs régimes d'assurance maladie obligatoire de base de cumuler la gestion de l'assurance maladie avec celle d'établissement de soins. Comment expliquez-vous cette contradiction avec le projet de loi portant Code de la mutualité ? A. A. : Il n'y a aucune contradiction en effet. Pour se conformer à la loi, les mutuelles du secteur public, et sur proposition des ministères de tutelle, créent des filiales pour la gestion des oeuvres sociales et qui sont indépendantes de la mutuelle assurance santé. Les deux entités sont totalement différentes et indépendantes. Depuis la promulgation de la loi, seule la CNOPS continue de disposer de quelques médicaments très chers, des maladies chroniques, notamment ceux dont le prix a triplé suite à la réforme tarifaire des médicaments. La différence est estimée à 50 MDH, en 2015, ce qui n'est pas sans conséquence sur le budget de la CNOPS. Cette dernière, et pour se conformer à la loi, négocie avec les pharmaciens pour que ces médicaments soient distribués directement par les officines de quartier moyennant un système de tiers payant. F.N.H. : Les intérêts financiers des mutuelles ne vont-ils pas influencer le processus de prise en charge des malades ? A. A. : Pas du tout. Aujourd'hui, le remboursement des prestations dans le centre dentaire de la CMIM, par exemple, est identique à celui que nous remboursons à nos adhérents lorsqu'ils ont recours au secteur privé. Ce qui change, c'est le ticket modérateur qui augmente en fonction des prestations dans le privé. L'adhérent a donc libre choix de se faire soigner là où il le désire, à condition de supporter la différence. A noter également que, même si les mutuelles disposent de leurs propres oeuvres sociales, elles signent régulièrement des conventions tarifaires avec les cliniques privées. L'objectif des mutuelles n'est pas de concurrencer le secteur privé, mais d'offrir des soins de santé de qualité au meilleur prix. F.N.H. : Outre cet amendement qui a fait couler beaucoup d'encre, les mutuelles approuvent-elles ce code, tant attendu, dans sa mouture actuelle ? A. A. : Malheureusement non. Les recommandations du CESE n'ont pas été toutes prises en considération. Parmi les principales modifications que nous contestons, l'introduction d'un régime de sanctions incluant des mesures pénales. Si le projet passe dans sa mouture actuelle, il n'y aura certainement plus de mutuelles au Maroc. F.N.H. : Le modèle mutualiste marocain est-il en déphasage avec les modèles européens par exemple ? A. A. : Le modèle mutualiste marocain est non seulement une référence au niveau africain, mais il est donné en exemple même en Europe, notamment dans la gestion des oeuvres sociales. Il faut savoir que les mutuelles en Afrique comme dans le monde, vont dans ce sens. La France, par exemple, compte 70 pharmacies, 453 centres dentaires et laboratoires de prothèse dentaire, 540 centres d'optiques contre respectivement 0, 166 et 1 au Maroc (tableau2). La CMIM, toute une histoire Instituée sous le régime du dahir 1-57-187 du 12 Novembre 1963, portant statut de la Mutualité, la Caisse mutualiste interprofessionnelle marocaine (CMIM) est une mutuelle privée, créée en 1977. C'est une mutuelle à but non lucratif, gérée directement par ses adhérents par le biais d'une représentation paritaire Employeurs/Salariés. Sa gestion technique et logistique en stricte conformité avec les dispositions du dahir lui ont acquis la notoriété d'un organisme social de premier ordre, reconnu par tous ses partenaires. La CMIM a été créée afin d'offrir aux entreprises du secteur privé une couverture médicale de base. Ouverte aux entreprises de tous les secteurs d'activité, elle est actuellement constituée de trois principaux secteurs : le secteur des banques, celui des pétroliers et un autre regroupant des entreprises dans plusieurs domaines d'activités. La CMIM offre également des prestations de prévoyance à savoir l'invalidité et le décès sans oublier les oeuvres sociales (clinique dentaire).