La stratégie de la croissance du Maroc a-t-elle atteint ses limites ? La montée continue des déséquilibres macroéconomiques, la perte de compétitivité, la persistance du chômage... autant d'éléments plaident en faveur du changement. Face à un environnement international en perpétuelle mutation auquel fait face le Maroc, n'est-il pas temps que le Royaume repense et réforme sa politique de croissance ? Malgré quelques réticences émanant de certains économistes sur la résistance de l'économie marocaine devant la crise financière mondiale, on ose dire que le Maroc a pu tant bien que mal faire preuve de résilience face aux soubresauts économiques internationaux. Inutile donc de se leurrer et croire que nos fondamentaux sont plus solides que ceux de l'Espagne, du Portugal ou de la Grèce, des pays qui ont été terriblement secoués. C'est surtout grâce à une libéralisation progressive, bien mesurée que nous avons été épargnés de certains effets collatéraux. Les produits dérivés qui ont été à l'origine des faillites en cascade de certains établissements bancaires américains, n'étaient pas notre tasse de thé. Du coup, ce n'était pas la fatalité. Aujourd'hui, des questionnements fusent de partout et ont pour toile de fond : face à toutes ces mutations internationales, le «modèle économique» national actuel peut-il encore tenir ? Si oui jusqu'à quand ? Ne semble-t-il pas opportun de le repenser pour éviter d'être dans les choux ? D'autres plus sceptiques n'y vont pas de main morte et considèrent que le Maroc ne dispose même pas d'un modèle économique en bonne et due forme. Ils sont par contre unanimes à soutenir que la performance du Maroc en matière de croissance au cours de la décennie passée, revient en grande partie à une expansion de la demande interne, associée à des hausses de salaires réels et à des ratios d'investissement public élevés par rapport à leur norme historique. «Le ratio entre investissement public et PIB du pays a atteint l'un des niveaux les plus élevés au monde», apprend-on dans le dernier rapport d'OCP Policy Center. En dépit de leur impact positif sur la capacité de production, lesdits investissements ont atteint des rendements marginaux décroissants dans certains secteurs. Les données relatives au climat des affaires laissent entrevoir par ailleurs que le Maroc est appelé à fournir plus d'efforts pour être plus attractif. Des limites qui vont de la nature du régime de change tant décrié par les opérateurs, du manque d'une main-d'oeuvre qualifiée... jusqu'à une fiscalité peu incitative en matière d'investissement. Les pierres d'achoppement Outre ces écueils, le chômage endémique des jeunes-diplômés continue à faire tâche d'huile, et ce malgré toutes les actions déployées de part et d'autre pour y remédier. Un taux oscillant autour de plus de 20% est un signal fort que le taux de croissance actuel ne crée pas suffisamment d'opportunités d'emplois pour cette frange importante de la population, que l'investissement privé demeure insuffisant dans les secteurs porteurs pour la croissance... A cela s'ajoute une inadéquation persistante entre le système éducatif et les offres d'emploi. A rappeler que depuis au moins 15 ans, le Maroc est sur des réformes. «Malheureusement, le bilan des réformes successives montre qu'aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif, il y a de très sérieux problèmes», s'alarme l'économiste Azeddine Akesbi. Et d'ajouter : «Rien que pour le programme d'urgence qui a démarré en 2009 et qui devait sauver la non-réalisation des objectifs de la charte de l'éducation, il a enregistré pas moins de 1,5 million d'abandons scolaires». Ce qui veut dire qu'on met sur le marché du travail annuellement des effectifs extrêmement élevés qui atteignent jusqu'à 380.000 sans préparation aucune pour affronter le marché du travail. Autre pierre d'achoppement de notre «modèle économique» est la persistance du déséquilibre de la balance commerciale. Un allègement de 14% a eu lieu au courant de 2014 mais qui est dû surtout à des éléments conjoncturels (la baisse du prix du baril de pétrole, la dépréciation de l'Euro...). Sur ce registre, le Maroc essaye d'y remédier par la diversification de ses relations commerciales. L'idée sous-jacente est de limiter sa dépendance à l'Europe, une région qui se trouve confrontée à toute une série de problèmes structurels et dont les perspectives de croissance à moyen terme et probablement au-delà, restent peu favorables. Pis encore notre destin reste fortement lié à une France dont les indicateurs actuels laissent présager une lente agonie sur tous les plans. Last but not least est la réforme de la Justice. Son indépendance est la condition sine qua none d'un pays démocratique et d'une économie attractive en termes d'investissements. 2015 sera pour le Maroc une année de reprise pour différentes raisons. Parfois la nature fait bien les choses et l'équipe aux manettes est appelée à profiter de cette aubaine pour parachever judicieusement les réformes au lieu de rester obsédée par la maîtrise des agrégats macroéconomiques. La clémence du Ciel conjuguée à une baisse du prix de pétrole pourraient être bénéfique pour une économie comme la nôtre en quête de compétitivité et d'émergence. Les principales institutions parlent d'un taux de croissance de 6 à 7% ou même plus pour se situer dans le clan des pays émergents tout en absorbant le chômage des jeunes-diplômés. Dans ce domaine, il y a matière à débat et à discussion dans la mesure où le taux de croissance est un ordre de grandeur qu'il faut prendre avec précaution. Nous évoluons vers des économies où la croissance dans certains secteurs demeure sans impact perceptible sur l'emploi et la corrélation entre les deux variables est loin d'être quasi automatique. Il est temps de repenser une stratégie de croissance intégrée pour promouvoir l'emploi. Et d'adapter les politiques budgétaire et monétaire de manière à ce qu'elles contribuent à renforcer la capacité du cadre de politique macroéconomique.