La transformation digitale, dans le public comme dans le privé, a été au coeur des débats lors de la troisième édition des Assises de l'Association des utilisateurs des systèmes d'information au Maroc (Ausim). Le Royaume a l'opportunité de devenir l'un des leaders internationaux dans le domaine du numérique. La nouvelle stratégie «Maroc Numeric 2020» sera dévoilée avant fin 2014 et sera axée principalement sur l'industrie numérique, annonce Boubker Badr, à l'ouverture des troisièmes Assises de l'Ausim, organisées récemment à Marrakech. Le directeur de l'Economie numérique au ministère de l'Industrie, du Commerce, de l'Investissement et de l'Economie numérique a saisi l'occasion pour énumérer les acquis du plan stratégique «Maroc Numeric 2013», quelques semaines seulement après la sortie d'un rapport critique de la Cour des comptes. Tous les objectifs que nous nous sommes fixés, dit-il, ont été quasi-atteints. La part de la population connectée à Internet est passée d'un dixième à un tiers. Mieux encore, 80% des établissements scolaires sont déjà numérisés et l'on s'attend à équiper le reste par le biais du programme Génie 3. Côté chiffre d'affaires, l'objectif de 7 milliards de dirhams a été réalisé grâce au seul secteur de l'offshoring qui emploie 30 mille personnes. Ces réalisations ont permis au pays de gravir les échelons de bon nombre de classements mondiaux. Le Maroc a ainsi fait un grand bond sur l'indice e-gov onusien (de 0,2 à 0,7), gagnant 44 places. Il en est de même pour le classement de l'ONU sur l'e-particpation où le Maroc est classé 17ème sur 193 pays. En finir avec la paperasse Voulant être objectif dans cet exercice d'évaluation, Boubker Badr soulève le problème de l'interopérabilité entre les systèmes d'information des différents départements ministériels. Ainsi, au lieu d'une logique de mono-administration, la nouvelle stratégie sera basée sur une logique de mutualisation à travers la mise en commun des données de l'ensemble des administrations. Une plateforme gouvernementale (gateway) est en cours de finalisation, annonce le directeur de l'Economie numérique. Un projet-pilote associant le ministère de l'Education nationale et les Caisses de sécurité sociales a déjà démarré, dont l'objectif est de numériser la procédure de vérification de la scolarisation des enfants qui nécessitait jusqu'ici l'échange de plus de 800 mille courriels. Un data center national sera également mis en place au service des administrations et des entreprises nationales et internationales. L'horizon africain sera intégré au Plan 2020, en apportant un soutien spécifique aux entreprises qui souhaitent conquérir de nouveaux marchés. Outre la conception d'une cartographie géographique et financière, le gouvernement entend lancer un observatoire dédié aux technologies de l'information et de la communication (TIC), en vue de diffuser tous les trimestres un indicateur précis et viable, sondant les prévisions d'achat de TIC auprès des entreprises et des ménages. Confiance numérique Mais pour réussir ce nouveau pari, il va falloir renforcer davantage la «confiance numérique», sachant que le Maroc, comme l'a rappellé à Marrakech le représentant du département de l'Economie numérique, est le premier pays hors Union européenne à avoir adopté une loi protégeant les données personnelles, notamment sensibles, ce qui permettrait aux entreprises marocaines de saisir de nouvelles opportunités à l'export, en particulier le grand marché de la santé. L'aspect réglementaire sera au centre des défis auxquels fera face la nouvelle stratégie numérique. Citons à ce titre l'exemple de la création d'entreprise en ligne, dont le délai constitue un indicateur déterminant dans le classement de la Banque mondiale sur le climat des affaires (Doing Business). Quand bien même le Maroc voudrait faciliter et numériser la procédure requise, la réglementation en vigueur oblige les créateurs d'entreprises à faire le tour des administrations pour recueillir les documents nécessaires. L'impératif de l'adaptation «La transformation digitale : leviers d'un Maroc qui change», tel est le thème choisi pour les troisièmes Assises de l'Ausim. «L'avènement de l'ère digitale offre à nos entreprises des opportunités qui vont bien au-delà de l'amélioration de la performance et l'optimisation des processus. Nous parlons d'un monde nouveau, disruptif, à même de générer des bénéfices d'un tout autre ordre. Il s'agit de la possibilité de développer de nouveaux produits et services, de nouveaux canaux de distribution, de nouvelles formes de partenariat», souligne Hassan Kholti, président de l'Ausim dans son discours d'ouverture. Tous les participants sont unanimes à dire que le digital n'est pas un luxe mais une nécessité. L'opérateur français, Orange, a saisi l'occasion pour diffuser sa publicité «les dix petits doigts» qui raconte en légèreté la révolution digitale qui s'opère et qui, surtout, va vite. «Il y a des métiers qui vont disparaître en cas de non transformation. Le digital doit figurer dans la stratégie d'entreprise quelle que soit le métier», estime Michel Paulin, Directeur général de méditel. Comment capter les opportunités de création de valeur liées au digital et faire face aux nouveaux concurrents ? Comment développer les usages digitaux des clients en préservant la confiance ? Comment débarquer l'ensemble des employés dans cette transformation ? Autant de questions de fond débattues lors des Assises de Marrakech. Arnault Blondet, Directeur «Technocentre et Innovation» chez Orange, pense que la barrière dans l'entreprise à cette transformation est l'âge. «Nous avons démarré notre transformation non pas par des services mais en interne», explique le représentant d'Orange qui a lancé fin 2013 un vaste programme de formation «Digital Academy» au profit des 166.000 salariés du groupe. L'ère du digital leur a imposé de nouveaux outils de travail (téléprésence, audioconferencing) en recourant notamment à la pratique dite «Bring your own device» qui consiste à utiliser ses équipements personnels (tablettes, Smartphones, etc) dans un contexte professionnel. Le métier de la banque est appelé à s'adapter à l'ère du digital. Il faut dire que CIH Bank, sous la houlette volontariste de son PDG, Ahmed Rahhou, a été précurseur dans ce domaine. D'abord en rendant l'accès gratuit à certains services en ligne, exception faite à ceux qui génèrent des frais. «Faire payer une consultation de solde en ligne, c'est comme si on oblige les clients à mettre de l'argent dans une tirelire devant la porte avant de rentrer aux agences», ironise Ahmed Rahhou. Simultanément, le CIH a opéré un ambitieux plan de flotte dotant tout le personnel d'un Smartphone donnant accès aux applications de la banque. «Nous venons de démarrer le process qui va sûrement demander des mois voire des années. Nos collaborateurs doivent maîtriser les services que nous proposons aux clients. Nous sommes en train d'équiper nos agences en wifi. La relation avec les clients va changer en leur donnant la possibilité d'exécuter certaines prestations (virement, etc) en ligne», ajoute Ahmed Rahhou. Le Maroc a toujours été l'un des premiers pays d'Afrique à lancer les nouvelles TIC. Tout porte à croire que cette longueur d'avance sera maintenue sur le terrain de la révolution digitale. «Le Maroc a l'avantage d'avoir une population jeune. Vous devez saisir l'opportunité de devenir l'un des leaders internationaux dans le domaine du numérique», prévoit Didier Tranchet, ancien directeur chez Orange, qui enseigne l'innovation à l'institut parisien Mines-Telecom et y dirige l'un des trois Executive MBA spécialisés dans le monde, aux côtés de ceux de MIT et Stanford.