L'OMC n'a pas pu finaliser le Cycle de Doha, notamment sur l'importante question de l'agriculture, et a entraîné la perte de recettes fiscales pour les pays en développement du fait du démantèlement douanier. Les procédures de l'ORD sont très complexes, et ce sont surtout les grandes puissances commerciales qui ont eu recours à cet organisme. J. Kerdoudi, président de l'Institut marocain des relations internationales, revient en force sur un bilan mitigé du Maroc à cause des déficits jumeaux de la balance commerciale et de la balance des paiements. Finances News Hebdo : 20 ans après, quel bilan pouvez-vous nous brosser de l'Organisation mondiale du commerce ? Jawad Kerdoudi : Le bilan de l'OMC vingt ans après sa création est mitigé. Certes, cette organisation a apporté des éléments positifs tels que la transformation du GATT qui n'était qu'un Traité en une institution internationale régissant le commerce entre pays. L'OMC a également oeuvré efficacement pour le développement du commerce international et la protection des petits pays. Elle a permis aux pays émergents tels que la Chine, l'Inde et le Brésil de faire sortir de la pauvreté des millions de leurs ressortissants. Elle a créé l'Organe de règlement des différends (ORD) pour régler litiges commerciaux entre pays. Cependant, l'aspect négatif ressort des conditions sociales précaires des travailleurs dans les pays du Sud pour atteindre la compétitivité maximum, et de la perte d'emplois pour les pays du Nord du fait des délocalisations et de l'importation des produits à bas prix. L'OMC n'a pas pu finaliser le Cycle de Doha notamment sur l'importante question de l'agriculture, et a entraîné la perte de recettes fiscales pour les pays en développement du fait du démantèlement douanier. Les petits pays n'ont pas pu utiliser l'ORD à cause de la complexité des procédures de cet organe. Enfin, les sociétés multinationales se sont souvent servies des règles de l'OMC pour défendre abusivement leurs propres intérêts à travers leur Etat respectif. F.N.H. : D'après-vous, le mécanisme de sauvegarde instauré pour les états membres de l'OMC, pour limiter les importations en cas de désorganisation du marché causée par des exportations de textile chinois, a-t-il eu les effets escomptés ? J. K. : En effet, les mécanismes de sauvegarde ont été utilisés par plusieurs pays membres pour limiter les importations. Plus généralement, l'Organe de règlement des différends a réglé plus de 500 litiges commerciaux entre pays depuis sa création. Il faut cependant regretter que les procédures de l'ORD soient très complexes, et que ce sont surtout les grandes puissances commerciales qui ont eu recours à cet organisme. F.N.H. : Pour le cas du Maroc, l'analyse de sa balance commerciale montre bien qu'il n'a pas su tirer un réel avantage de cette adhésion. Pourquoi à votre avis ? J. K. : Pour le Maroc, le bilan d'adhésion à l'OMC est également mitigé. Sur le plan positif, notre pays a pu grâce à cette adhésion moderniser son économie, améliorer sa gouvernance et le climat des affaires, attirer un grand nombre d'IDE (Investissements directs étrangers). L'élément négatif est la perte de recettes douanières du fait du démantèlement douanier, et des déficits jumeaux de la balance commerciale et de la balance des paiements. F.N.H. : En procédant par secteurs, quel est selon vous celui qui a pu tirer son épingle du jeu ? J. K. : On peut considérer que les exportations de phosphates et dérivés ont été favorisées par l'adhésion du Maroc à l'OMC, du fait de la libéralisation des marchés importateurs de ces produits. Les exportations des nouveaux métiers du Maroc ont également profité de cette adhésion telle que l'automobile, l'aéronautique, l'électronique et l'offshoring. F.N.H. : Dans le même sillage, le secteur du textile-habillement a été le premier à souffrir de cette adhésion à cause des pertes de rentes de situation dont il profitait auparavant. Est-ce que depuis, le Maroc a-t-il pu tirer les enseignements qu'il fallait et, partant rectifier le tir ? J. K. : Ce n'est pas l'adhésion à l'OMC en 1995 qui a causé des pertes de rentes de situation à l'industrie textile du Maroc, mais bien la fin de l'Accord multifibre en 2005. A partir de cette dernière date, le secteur du textile-habillement a beaucoup souffert, surtout les industriels marocains qui travaillaient en sous-traitance à partir des bons de commande des importateurs étrangers qui fournissaient la matière première et le design. Depuis 2005, le Maroc a tiré les leçons, et l'industrie textile marocaine a fait de grands efforts pour maintenir sa part sur les marchés extérieurs. F.N.H. : Concrètement, quel est l'impact de l'adhésion de l'Empire du milieu à l'OMC sur le commerce mondial, mais aussi sur les économies respectives membres, en l'occurrence celles des pays en développement ? J. K. : Comme déjà dit, l'OMC a surtout profité aux pays émergents dont en premier lieu la Chine qui est devenue «L'Atelier du monde» et qui inonde le marché de ses produits qui ont le meilleur rapport qualité/prix. En ont profité également les grandes puissances industrielles, telles que les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne et la Corée du Sud. Par contre, les petits pays non exportateurs de pétrole en Afrique et en Asie sont restés de côté. F.N.H. : Est-ce qu'aujourd'hui, nous pouvons prétendre que le leitmotiv de l'Organisation mondiale du commerce est atteint, si on prend en considération les barrières non tarifaires ainsi que les subventions appliquées par certains Etats membres ? J. K. : Les objectifs de l'OMC sont loin d'être atteints. Il faut rappeler que le Cycle de Doha qui a été lancé en 2001 est un échec, et que l'importante question de l'agriculture n'est toujours pas réglée. Cet échec a encouragé les grandes puissances commerciales à négocier des accords de libre-échange bilatéraux au détriment du multilatéralisme. La crédibilité de l'OMC a même été mise en cause. Heureusement, l'Accord de Bali qui vient d'être adopté le 27 novembre 2014 sur la facilitation des échanges constitue un sursaut pour l'OMC. Il faut espérer que cet Accord de Bali puisse relancer la négociation des autres chapitres du Cycle de Doha qui va être entamée en 2015.