Le Maroc a besoin d'une croissance de 6 à 7% pour résorber le chômage. La politique menée actuellement dans le cadre de la Loi de Finances 2014, si elle permet de réduire les déficits jumeaux, n'autorise pas de créer les conditions d'une croissance inclusive. Ahmed Laaboudi, Directeur Général du CMC, plaide pour une réindustrialisation du pays afin d'améliorer l'offre exportable et diminuer les importations. La fondation Attijariwafa bank inaugure un nouveau cycle de conférences intitulé «Echanger pour mieux com-prendre ». Ce rendez-vous, qui fait intervenir des responsables des secteurs public et privé ainsi que des universitaires et des experts reconnus, vise à mener des réflexions sur des problématiques économiques et sociales. C'est dans cette optique que s'est tenue une conférence ayant pour thème principal une question qui est au coeur de la politique écono-mique du Maroc : «Entre disci-pline budgétaire et relance de la croissance : quelle marge de manoeuvre pour le Maroc ?». Un sujet ô combien d'actualité à l'heure où le Maroc est tiraillé entre la maîtrise de ses déficits et la gestion rigoureuse de ses agrégats financiers d'une part, et d'autre part, la tentation de favoriser la demande interne et de booster son économie pour créer les conditions d'une croissance soutenue et suffi-samment forte pour créer des emplois. Austérité budgétaire contre politique de relance, rigueur contre soutien de la demande : un éternel dilemme teinté d'idéologie sur lequel la littérature économique a lon-guement disserté, et qui divise toujours autant les écono-mistes. Au Maroc, la question qui se pose est : où situer le curseur ? Le choix de l'austérité C'est ce que Ahmed Laaboudi, Directeur Général du Centre marocain de conjoncture (CMC), s'est proposé de faire lors de son intervention. Il rap-pelle dans un premier temps que la Loi de Finances 2014 s'inscrit en rupture par rapport aux précédentes, puisqu'elle consacre l'austérité budgé-taire et la réduction des défi-cits comme priorité : décom-pensation (4 milliards de DH d'économie à fin mai 2014), généralisation de la TVA, baisse massive des investisse-ments étatiques, suppression de certains avantages fiscaux, etc... ont été les principales mesures prises dans ce sens. En somme, le Maroc a fait le choix de l'orthodoxie bud-gétaire prônée par le FMI. Ces mesures provoquent iné-vitablement «des dommages collatéraux préjudiciables au développement économique et social du Maroc», estime A. Laaboudi. Mais elles s'avèrent nécessaires, au moins sur le court terme (2014-2016) pour permettre au pays de renouer avec des ratios d'endettement convenables. Mais à moyen long terme, une telle politique est insoutenable, puisque la croissance restera molle et fluctuante et donc insuffisante. Il faut donc trouver un arbitrage entre la baisse des dépenses et les incitations (à l'export, sur le logement social, etc...). Selon A. Laaboudi, «il ne faut jamais perdre de vue la croissance et la création de richesses». Il explique que le PIB est le déno-minateur commun à tous les ratios de gestion des comptes publics : augmenter le PIB, c'est diminuer tous ces ratios. Certes, le Maroc est loin de la situation qu'il a connue dans les années 80 avec des taux d'inflation à 2 chiffres, un déficit budgétaire monstre de l'ordre de 13%, se retrouvant obligé de recourir de sinistre mémoire Plan d'ajustement structurel. «Plus jamais ça !», semble être le mot d'ordre de tous les intervenants. Néanmoins, certains indica-teurs ont atteint le seuil d'alerte : pour 2014, le déficit budgé-taire devrait atteindre 5,2% du PIB et la dette publique devrait frôler les 80%. Sur le plan de la monnaie et du financement, le ralentissement des crédits ban-caires est une réalité (baisse de 1,1% à fin mai par rapport à décembre), tandis qu'au cha-pitre des comptes extérieurs, outre le déficit structurel de la balance commerciale, le taux de couverture des importations par les exportations est à 49%. Le poids des comptes extérieurs Par ailleurs, tous les instituts en charge des prévisions ont révisé à la baisse leur taux de croissance pour 2014 (2,5% pour le HCP, 2,7% pour le CMC, entre 2,5 et 3% pour BAM). Ce qui fait dire à A. Laaboudi que «tous ces indicateurs ont un dénominateur commun, c'est que la conjoncture est relativement déprimée». Sans céder à la sinistrose et au dis-cours catastrophiste, il analyse avec du recul les causes qui expliquent cette situation. Pour lui, il faut chercher les raisons dans la manière par laquelle a été menée la poli-tique d'ouverture. «Ce sont les comptes extérieurs qui condi-tionnent tout», dit-il, relevant que tout ce qui se produit en interne est en relation directe avec l'étranger, étant donné le taux d'ouverture du Maroc qui est de 80,5% en 2013. Mais il déplore que cette ouverture ait été faite beaucoup plus par les importations que par les exportations. Ainsi, les comptes extérieurs ont commencé à se détériorer à partir de 2007. Jusqu'à cette date, le compte courant était positif. C'était la belle époque de l'excédent de liquidité. Le budget était également positif avant 2007, mais il a suivi depuis la pente empruntée par «son frère» le compte cou-rant. Les déficits jumeaux sont aujourd'hui en territoire rouge, structurellement. Le poids des échanges extérieurs dans le PIB a plus que doublé de 1998 à 2013. Les importations ont augmenté de 20 points alors que les exportations n'ont crû que de 6 points. Les importa-tions représentent quasiment le double des exportations à ce jour. C'est par cette asy-métrie que l'Etat a été obligé de se financer depuis 2007 en recourant à l'emprunt. L'appétit du Trésor a créé un fort effet d'éviction sur le marché de la dette. Réindustrialiser le pays L'économie marocaine ne tourne pas à plein régime, c'est une certitude. Il faudrait une croissance annuelle et répé-tée de 6 à 7% pour créer suffisamment d'emplois et les conditions d'un développement économique et social inclusif. Il faut à tout prix aller chercher cette croissance ! Pour cela, la solution serait de penser à une réindustrialisation du pays. A. Laaboudi estime que le Maroc a un problème au niveau de l'offre exportable. Surtout au niveau de l'indus-trie mécanique dans laquelle le Maroc enregistre un déficit extrêmement important. Cette réindustrialisation est à même de créer richesse, emplois et offre exportable. C'est la condi-tion sine qua non de la baisse des déficits jumeaux. Et donc la possibilité pour l'Etat de mener une véritable politique volon-tariste, seule capable de faire décoller la croissance.