Ahmed Laâboudi, directeur général du Centre marocain de conjoncture (CMC), revient sur les principaux agrégats macroéconomiques du pays. Avec son regard d'expert, il appelle à la vigilance et démontre l'efficience des politiques économiques sur le long terme. Finances News Hebdo : Le tableau que dresse le CMC est plutôt inquiétant concernant le profil de croissance. Pourquoi les solutions ne peuvent-elles être que de long terme ? Et quelle est votre lecture de cette tendance globale ? Ahmed Laâboudi : Dans ce tableau que nous dressons, il y a des éléments qui appellent à la prudence car ils sont préoccupants. En revanche, il n'y a pas lieu de s'alarmer. Il faut être pondéré du fait qu'il y a des éléments qui appellent à la vigilance et d'autres plutôt rassurants. Dans l'ensemble, la situation n'est pas aussi grave comparativement à d'autres pays qui vivent des situations beaucoup plus complexes. Je vous donne deux exemples. Si on prend le déficit budgétaire qui fait l'objet de beaucoup d'attention actuellement, nous avons un taux d'endettement de l'ensemble de la dette de l'Etat représentant 68% du PIB. Cela pour vous dire que nous avons vu des situations beaucoup plus graves au début des années d'ajustement. Pour le second point, effectivement, les comptes extérieurs accusent un déséquilibre relativement important. Mais pour autant, il y a des éléments positifs dans le tableau d'ensemble, puisqu'un taux de croissance de 4,9% pour 2013 n'est pas négligeable. La France, qui est une grande puissance économique affiche actuellement un taux de croissance de zéro sinon négatif. L'Espagne et l'Italie sont dans la même situation. Probablement, d'autres pays comme l'Allemagne font mieux. Tout compte fait, le tableau varié et diversifié présente des aspects positifs et négatifs. Après ce diagnostic posé par le CMC, il est évident que des mesures à caractère structurel s'imposent, parce qu'une croissance durable a comme prérequis une base solide de long terme. Tous les éléments que nous avons mis en avant au niveau de notre institution sont des mesures qui s'ancrent sur le long terme. Il s'agit des réformes liées aux systèmes éducatif et fiscal, celles concernant la compétitivité et la productivité. Ce sont des éléments vecteurs d'une croissance pérenne et durable. A titre illustratif, l'exemple de la Corée du Sud est édifiant. En 1952, ce pays était derrière le Maroc sur le plan économique. Actuellement, en Corée il y a une seule entreprise, Samsung, dont le chiffre d'affaires est supérieur au PIB de notre pays. Les deux pays avaient des niveaux de développement similaire à cette époque, mais les Coréens ont joué sur la carte du long terme. Ceci pour vous dire que la croissance est un phénomène de long terme même si elle a des dimensions de moyen terme. F. N. H. : Pourquoi scellez-vous toutes vos propositions sur le long terme ? A. L. : Nous pourrions faire des propositions de court terme du type politique monétaire (accommodante), taux d'intérêt, crédit, fiscalité, voire les dépenses de l'Etat. Le problème est que ces mesures ont déjà été expérimentées par le passé et ont clairement montré leurs limites. Si nous voulons véritablement inscrire la croissance marocaine dans une trajectoire durable, il faut nécessairement l'asseoir sur des socles rigides qui relèvent de la sphère structurelle et du long terme. F. N. H. : On observe de plus en plus que la productivité et la compétitivité sont devenus des leitmotiv sur l'échiquier national. En revanche, l'épargne nationale baisse, l'octroi des crédits à l'économie décélère. Tout cela n'est-il pas aux antipodes de l'innovation et de la compétitivité qui ont pour trame l'investissement ? A. L. : Effectivement l'épargne baisse et l'économie nationale accuse un déficit de financement relativement important. La preuve, c'est que nous avons un déficit du compte courant et de la balance des paiements extrêmement important. Ceci est révélateur d'un déficit de l'épargne nationale. Et donc, le Maroc est obligé de recourir aux financements en provenance de l'étranger. F. N. H. : Est-il judicieux de faire dépendre l'économie nationale du financement extérieur, en raison de l'irrégularité des flux financiers internationaux dans un contexte de crise ? A. L. : Vu le niveau d'épargne nationale qui est sur un trend baissier, le recours au financement étranger est obligatoire, voire mécanique d'un point de vue comptable. Par ailleurs, dans votre question précédente vous faisiez allusion à la productivité et à la compétitivité de l'économie qui relève de l'innovation, ce qui est exact. Par contre, la Recherche et le développement (R&D) sont des déterminants majeurs pour les économies modernes. Aujourd'hui, nous avons des chercheurs, des incubateurs de savoir et des porteurs de projet qui ont des idées innovantes. Et demain, ces idées, par le biais de la R&D pouront se transformer en produits, à même de permettre au Maroc de gagner la bataille de la compétitivité à l'échelle internationale. Par ailleurs, je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'innovation dépende des capitaux étrangers (IDE). Il faut bien savoir que nous vivons dans un monde « mondialisé». Mieux encore, nos échanges sont plus liés aux importations qu'à nos exportations. Donc, je dirai même que nous dépendons de l'étranger par la force des choses puisque le Maroc a fait le choix d'une ouverture irréversible. Par conséquent, nous sommes obligés de raisonner dans un monde ouvert puisqu'il est globalisé. Le problème réside dans le fait que le pays n'arrive pas à attirer assez d'IDE comparativement à d'autres Etats. La promotion de l'attractivité du pays afin de capter plus de capitaux peut être un accélérateur de croissance. C'est à ce niveau qu'il faut redoubler d'efforts parce que les IDE ont des effets bénéfiques sur le plan de la rentrée des devises. Ils permettent de créer des moyens de paiements (monnaie) et pourraient pallier la décélération des crédits dans le marché intérieur. Une part non négligeable des devises du pays va à l'étranger pour assurer le paiement des importations. Ainsi, nous détruisons de la monnaie, ce qui accentue les tensions sur les liquidités monétaires et bancaires disponibles. En somme, il y a un problème de compétitivité qu'il faut nécessairement résoudre avec célérité.