Très critique et moins dérangeant au fond. Le rapport du CMC (Centre Marocain de Conjoncture) souligne avec force l'essoufflement du modèle économique marocain. Pour la première fois, depuis 15 ans (date d'arrivée au pouvoir du gouvernement El Youssoufi), le Maroc accuse - ce que Habib El Malki appelle - le double déficit : déficit du Trésor et déficit de la balance des paiements. Au-delà de la décélération du rythme de croissance économique en 2012 (aux alentours de 3%), le CMC met en avant la dégradation sociale qui prend plus d'ampleur avec la hausse du chômage à 10%. De plus, le retard dans la promulgation de la Loi de Finances a eu un impact négatif sur le moral des chefs d'entreprises et sur la croissance. Ce premier semestre 2012 est qualifiée par le CMC de «période blanche». Un semestre «aveugle», si l'on mesure l'attentisme des milieux d'affaires marocains. « Dès l'été 2011, nous avions appelé à une loi des finances rectificative, en raison du caractère caduc de certaines hypothèses de la LF. On n'a pas été entendu, malheureusement », faisait remarquer Habib El Malki, président du CMC, mercredi à Casablanca, lors du point de presse annuel. Sur l'état de l'économie nationale, El Malki estime qu'un «taux de croissance du PIB de 3% reste faible pour répondre aux besoins de la population». «Seule une croissance de 7% pourrait placer le Maroc parmi les émergents », disait le président du CMC. Bien entendu, il y a eu «la sècheresse mais c'est moins sévère que ce qui a été prévu ». Mais le Maroc n'a pu échapper aux effets de la crise de la dette souveraine dans la zone euro. En plus de la diminution de la demande extérieure, le Maroc a enregistré aussi, au cours de ce premier semestre2012, un «fléchissement de la demande intérieure». Au plan des comptes extérieurs, le CMC estime que le déficit de la balance des paiements, qui a atteint 8,6% du PIB, traduit la gravité de la situation financière du pays. L'assèchement des réserves de changes, qui résulte de la dégradation continue de la balance commerciale, en relation avec la hausse vertigineuse de nos importations énergétique et alimentaire notamment, devrait contraindre le Trésor à aller sur le marché international pour lever les fonds nécessaires à son financement. «Le taux d'endettement public ne dépasse pas 57% aujourd'hui, on peut aller à 60%, c'est un niveau normal. Cela permettra au Trésor de lever quelques milliards», préconise El Malki. A regarder de près le tableau brossé par le CMC, il est peut-être difficile de ne pas admettre que le Maroc vit un passage à vide. Il faut dire que malgré son caractère généraliste, le rapport du CMC «Perspectives de croissance dans le nouveau contexte» a le mérite de développer une réflexion qui met en cause le modèle économique et social en vigueur au Maroc. Il tente d'identifier les grands besoins de demain en termes de croissance et d'emploi. Le paradoxe de l'investissement public Il y a d'abord ce paradoxe: le niveau élevé de l'investissement public, qui représente 30% de la FBCF. C'est l'équivalent de 300 milliards DH, fait-on remarquer. Pourtant, les résultats demeurent peu visibles. Habib El Malki s'interroge : comment ne parvient-on pas à obtenir de bons résultats ? Cela s'apparente à une dépense peu efficace. El Malki n'a pas eu le temps d'aller au fond des choses pour expliquer le pourquoi du comment. L'essentiel aux yeux des analystes du CMC, c'est de repositionner le débat sur la croissance et l'emploi. Car, aujourd'hui, tout le monde attend, disait El Malki, des signaux forts dans l'intérêt bien compris de l'efficacité de notre modèle économique et social. Même si le CMC prévoit une légère reprise en 2013, avec une progression de 4% du PIB, il craint cependant une hausse de l'inflation, qui risque à son tour d'atteindre 4% et, par conséquent entrainer une dégradation du pouvoir d'achat des classes moyennes. Les conclusions du CMC, si évidentes par ailleurs, se résument dans ces points : faible performance de notre export ; augmentation de la pauvreté, fragilité des grands équilibres macroéconomiques, hausse des coûts de production et manque de compétitivité de l'économie marocaine. Parmi les recommandations livrées par le CMC, Habib El Malki pense qu'il faut procéder à une amnistie fiscale -AF-. Dans le contexte nouveau (nouvelle constitution et nouveau gouvernement), « nous pensons qu'une amnistie fiscale est à même de donner du souffle ». La dernière AF remonte à 1998, avec l'arrivée du 1er gouvernement d'alternance, fait remarquer El Malki. Retour sur le marché financier international Un retour du Maroc sur le marché international est une nécessité. «On ne peut continuer à administrer un régime amincissant à un corps chétif». Le rétrécissement des liquidités bancaires et la tension sur les taux risquent de s'aggraver plus. La banque centrale ne peut indéfiniment continuer sa politique accommodante de fournitures de liquidités. Les besoins du pays sont énormes et la force de frappe de Bank Al Maghrib est limitée. La question sociale (éducation, santé, logement et emploi) est soulevée de manière fragmentée, selon le CMC. Il est donc urgent d'organiser des « Assises sociales » pour élaborer une politique sociale cohérente et intégrée. « La société marocaine est devenue crispée, tendue », constate El Malki. On a cette impression que la société marocaine s'interdit de rêver, de se penser heureuse. Parce qu'il y a cette certitude que notre modèle social a connu ses limites. Ce pessimisme a des effets pervers. Il participe de l'absence de confiance dans l'avenir des jeunes générations notamment, note l'économiste en chef du CMC. Sur la réforme de la Caisse de compensation, le CMC développe une approche très critique sur les premières mesures portant sur la décompensation des carburants. Cela risque d'avoir des effets diffus et difficilement mesurables sur la compétitivité et l'inflation. La réforme devrait être globale pour permettre la mise en place d'un modèle de croissance qui favorise l'inclusion des couches sociales. Or jusqu'ici, on assiste –c'est le CMC qui le dit- à «un appauvrissement des couches moyennes. C'est un non sens». Sur le modèle économique et social, le CMC estime que le temps est venu d'opérer une rupture avec les recettes qui ont prévalu jusqu'ici afin de se consacrer davantage à la construction d'une politique de croissance seule susceptible de déboucher sur la croissance et la création d'emploi. Alors, quel modèle économique et social faut-il adopter ? Le modèle asiatique, avec un taux de croissance à deux chiffres, ou le modèle latino-américain avec ses dérives inflationnistes ? La question reste posée.