En 1960, les personnes âgées de 60 ans et plus ne représentaient que 7,2% de la population, alors qu'elles atteindront 24,5% en 2050. Ce n'est pas tant l'évolution démographique qui est problématique en soi, mais plutôt le décalage entre les politiques de population et la nouvelle réalité démographique au Maroc. Il est nécessaire de mettre en place une nouvelle politique de population adaptée au nouveau régime démo-graphique. Quelle politique de la population et quelle transition démo-graphique pour le Maroc ? C'est la ques-tion à laquelle le professeur Mohammed Akaaboune s'est attelé dans une analyse parue dans «Questions d'économie marocaine 2013», le rapport publié chaque année par l'Association marocaine des sciences économiques. Une question cruciale a plus d'un titre dans la mesure où elle donne des éléments clés sur lesquels doit se baser la politique sociale du pays. Cette dernière devant regrouper tous les dispositifs assurant la protection contre les risques de maladie, de chômage, de vieillissement, d'exclusion..., doit prendre en considération et anticiper l'évolution démographique de la population pour mieux répondre à ses besoins pré-sents et futurs. Professeur à l'Univer-sité Mohammed V-Souissi à Rabat, Mohammed Akaaboune démontre que l'évolution de la population marocaine s'inscrit dans le cadre d'un processus d'évo-lution globale de la population mondiale, processus qualifié de transition démographique. Soulignant que la transition démographique représente le passage d'un mode de crois-sance démographique carac-térisé par des taux de natalité et de mortalité très élevés (qui a dominé pendant des siècles) à un mode caracté-risé par des taux de natalité et de mortalité faibles (ce qui est le cas de nos jours des popu-lations des pays développés), l'universitaire avance que si dans ces deux modes de croissance démographique la population augmente lente-ment (solde naturel faible), durant la phase de transi-tion entre les deux modes, la population connait un essor important (explosion démo-graphique) (voir encadré). «En effet, la mortalité diminue (progrès de la médecine, de l'hygiène...) d'abord, alors que la baisse des naissances n'intervient que beaucoup plus tardivement (change-ment des mentalités, des conditions de vie, élévation du niveau d'instruction, travail des femmes...). La principale hypothèse de la théorie de la transition démographique est que toutes les populations du monde vont suivre la même évolution, avec toutefois des décalages dans le temps et à des rythmes différents. Dans les pays développés, la transi-tion a été lente, dans les pays en développement, elle est plus rapide», nous explique-til. Et c'est le cas du Maroc puisque les données du HCP dans le tableau n°1 montrent que la population marocaine a bien connu ces phases. Le taux de croissance a été faible avant 1936, il a atteint un pic entre 1952 et 1960, ensuite il baisse depuis le début des années 1990. En 2010, ce taux n'est que de 1% et il est appelé à bais-ser avec un risque de déclin démographique à terme. Dans le monde rural, le taux de croissance de la popu-lation est même de 0% en 2010 et sera négatif à partir de 2020. Pour l'auteur de l'analyse, «ce qui est problématique de nos jours, ce n'est pas cette tendance qui est universelle, mais c'est le décalage entre les politiques de population et la nouvelle réalité démo-graphique au Maroc. Ces politiques restent empreintes d'orientations anti-natalistes et anti-fécondité héritées de la période d'explosion démo-graphique alors que la popu-lation au Maroc a connu sa transition». L'analyse détaille par ailleurs les diverses mani-festations des changements démographiques enregistrées selon les données du HCP et du CNED, dont on peut citer la hausse de l'espérance de vie à la naissance, le Marocain moyen espérait vivre 47 ans en 1962 (57 en milieu urbain et 43 en milieu rural). En 2010, un demi-siècle après, l'espérance de vie est portée à 74,8 ans (77,3 en milieu urbain et 71,7 en milieu rural). Le gain est ainsi de 28 ans, résultante de la baisse de la mortalité aux différents âges. Les premières rides Autres manifestations de changements démogra-phiques enregistrées est un début de vieillissement démographique : la compa-raison de la pyramide des âges de 1960 et celle de 2004 montre bien une baisse de la part des plus jeunes avec un rétrécissement de la base et un élargissement du sommet, ce qui indique bien un début de vieillissement démographique. Selon le HCP, l'effectif des personnes âgées (60 ans et plus) qui comptait moins d'un million en 1960 est aujourd'hui de 2,9 millions de personnes et atteindrait près de 10 mil-lions de personnes en 2050. Le tableau n°2 montre qu'en 1960, les personnes âgées de 60 ans et plus ne représentaient que 7,2% du total, alors qu'en 2050 elles seront 24,5%. Aussi, et conformément au schéma de transition démographique universelle, le Maroc a-t-il connu d'abord une baisse du taux de mortalité (amélioration de l'hygiène, les efforts de vaccination...). La baisse de la mortalité a été suivie après par la baisse de la natalité comme le montre le tableau n°3. Le Royaume a enregistré une baisse de la mortalité infantile : selon les résultats d'une enquête du HCP de 2009-2010, le taux de mortalité infantile est passé de 149 pour mille en 1962, à 75,7 pour mille en 1987 pour atteindre 30 pour mille en 2010. Le taux de mortalité infanto-juvénile (0 à 5 ans) qui était de 213 pour mille en 1962 est passé à 36 pour mille en 2010. De moins en moins de bébés ! La même enquête du HCP (2009-2010) a donné des résultats intéressants en matière de fécondité, poursuit Akaaboune. Ainsi, au début des années 1960, une Marocaine mettait au monde durant sa vie de procréation 7,2 enfants. Aujourd'hui, elle n'enfante plus que 2,19 naissances vivantes, soit 5 enfants de moins qu'il y a cinquante ans (ou -70%). Dans le milieu urbain, le Maroc enregistre un taux de fécondité (1,8) se maintenant en dessous du seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme). Dans le milieu rural, l'évolution est la même, au lieu de 6,91 enfants par femme en 1962, la fécondité est passée à 2,7 enfants. Au-delà de ces données, Mohammed Akaaboune pousse l'analyse plus loin en s'attardant sur les changements en matière de conjugalité, notamment la nuptialité au Maroc. «En 50 ans, l'âge au premier mariage a énormément reculé. En 2010, les femmes se sont mariées en moyenne à 26,6 ans et les hommes à 31,4 ans, soit par rapport à 1960, respectivement 9,3 ans et 7,5 ans plus tard. En 2010, parmi les femmes de 15 à 19 ans, une seule est mariée parmi 100 dans cette tranche d'âge. Parmi les femmes âgées de 20 à 24 ans, 61,4% sont célibataires. Ce taux est de 28,9% des femmes âgées de 30 à 34 ans. Ces proportions encore plus élevées pour les hommes (99,6% parmi ceux âgés de 15 à 19 ans, 93,3% parmi les 20-24 ans et 42% parmi les 30-34 ans), accusent une hausse continue depuis les années 60», précise l'universitaire. La politique antinataliste dépassée Mais pas seulement ! Il estime qu'à côté des changements en matière de nuptialité, on signale également une augmentation du célibat qui concerne aussi bien les femmes que les hommes et le mariage devient de moins en moins universel comme le montrent les proportions de célibataires à 50 ans, âge au-delà duquel les personnes non mariées sont considérées comme devant finir leur vie en tant que célibataires. En 2010, le célibat à 50 ans atteint 5,8% parmi les hommes et 6,7% parmi les femmes. Selon Mohammed Akaaboune, «Les développements précédents montrent que la population marocaine évolue conformément au modèle de la transition démographique. Nous pouvons affirmer qu'en 2013, le régime démographique correspond à la fin de la seconde phase de la transition avec la baisse de tous les indicateurs (mortalité, natalité, fécondité, croissance démographique, conjugalité). Cette population évolue donc vers la phase post-transition avec les caractéristiques de cette phase : baisse de la part des actifs, montée de la population dépendante de 3ème âge, allongement de l'espérance de vie ... et à terme déclin démographique». Il défend d'ailleurs l'idée selon laquelle, face à cette nouvelle réalité, il semble nécessaire de mettre en place une nouvelle politique de population adaptée au nouveau régime démographique. Car la politique actuelle demeure défavorable à la natalité, à la fécondité et à la conjugalité, ce qui est conforme à la phase I de la transition démographique qui se caractérisait par l'explosion démographique. «Certaines mesures relevant de pratiques antinatalistes correspondant à la situation antérieure demeurent toujours pratiquées. Nous pouvons souligner la faiblesse des allocations familiales (200 DH par mois limitées à 3 enfants à charge et seulement 36 DH pour les 3 suivants). De même les déductions pour charges de famille de l'IR ne sont que de 30 DH par mois et par personne à charge limitées à 6 déductions. Il en découle une différence entre un marié et un célibataire de 30 DH si le conjoint ne travaille pas», précise M. Akaaboune. I. Bouhrara Les différentes phases de la transition démographique En général, on peut distinguer 4 phases relatives à l'évolution de la population comme le montre le schéma suivant : Phase 1- Régime démographique traditionnel (pré-transition) : cette phase correspond à une situation d'équilibre naturel ayant dominé pendant les siècles passés. Elle se caractérise par un fort taux de natalité et un fort taux de mortalité et donc un faible taux de croissance de la population avec de nombreux pics de mortalité dus à des guerres, à des épidémies ou encore à des famines. La forte natalité compense la forte mortalité aussi bien des adultes que la mortalité infantile. Le taux de croissance démographique est faible au cours de cette phase, c'est la situation du Maroc jusqu'au début des années 1950. Phase 2- Première étape de transition : durant cette phase, et suite aux progrès sanitaires (vaccins...) à l'amélioration de l'alimentation et de l'hygiène ... on assiste à la chute du taux de mortalité tandis que la natalité qui dépend des mentalités, reste forte voire en augmentation. L'accroissement naturel est donc fort, il en découle une explosion démographique. Au Maroc, cette phase correspond à la période allant du début des années 1950 au début des années 1980. Phase 3- Seconde étape de transition au cours de laquelle le taux de mortalité continue de baisser et le taux de natalité commence à baisser par un changement des moeurs lié à la scolarisation, au travail des femmes, à la prise de conscience des besoins de l'enfant... Le maximum de l'accroissement naturel est atteint au début de cette deuxième phase. Puis la natalité baisse davantage, il en découle une décélération du rythme d'accroissement démographique. Au Maroc, c'est la période allant du début des années 1980 à nos jours. Phase 4- Régime démographique post-transition : cette phase est caractérisée par une natalité et une mortalité faibles. Le taux d'accroissement naturel peut même devenir négatif. On assiste à un vieillissement de la population et à un risque de crash démographique. On retrouve ce cas dans plusieurs pays occidentaux de nos jours où le taux de croissance démographique est nul ou même négatif.