Entretien avec l'économiste Najib Akesbi sur la reconduction de la LPL pour le Maroc. Finances News Hebdo : Quelle lecture faites-vous du 3ème rapport du FMI sur la reconduction de la LPL ? Najib Akesbi : La première chose que je tiens à clarifier est que nous ne sommes pas face à un rapport objectif, établi à partir de normes rigoureuses, scientifiques, mais plutôt face à un rapport «politique», ou ce que j'appellerai un rapport alibi, dont la principale fonction est de justifier une décision «politique» déjà prise et qui, en l'occurrence, concerne l'accord pour prolonger la durée de cette LPL en faveur du Maroc. La décision politique étant prise, il faut bien la justifier par un semblant d'argumentaire tendant à faire croire que la situation économique du Maroc s'améliore et va dans la bonne direction. Le FMI braque donc les projecteurs sur quelques aspects soigneusement choisis qui peuvent faire illusion et conforter son «plaidoyer» de circonstance. Les autres aspects de la situation, autrement plus inquiétants, sont en revanche passés sous silence. Ainsi par exemple, le FMI va souligner que le déficit budgétaire a baissé, mais bien que ses experts savent parfaitement que le chiffre obtenu au titre de 2013 n'est que le résultat de divers « maquillages » et de manipulations comptables et procédurales qui reviennent en fait à reculer pour mieux sauter, il ne faut tout de même pas oublier que même le taux ainsi affiché reste supérieur à 5%, ce qui, selon les références dogmatiques du même FMI, demeure un niveau de déficit budgétaire élevé, voire dangereux. Ce qui est curieux, c'est que selon les pays et les objectifs «politiques» arrêtés pour les uns et les autres, un même taux de déficit budgétaire –disons entre 5 et 5,5%- peut être apprécié avec indulgence ou au contraire sévèrement critiqué et dénoncé comme étant une dangereuse dérive ! En somme, les mêmes faits économiques et financiers peuvent être appréciés avec deux poids et deux mesures en fonction des mobiles politiques du moment. Disons que pour l'instant, ce gouvernement bénéficie encore de la bénédiction du FMI et c'est le seul sens tangible qu'il est possible de donner à ce rapport. F. N. H. : Ne faut-il pas y voir un encouragement pour le Maroc à lancer des réformes structurelles importantes ? N. A. : Peut-être, mais en tout cas pour l'instant, on se contente de focaliser l'attention sur l'arbre pour mieux cacher la forêt. Pour rester sur le terrain des finances publiques, on ne connaît que trop les vraies réformes de fond dont le pays a tant besoin pour sortir de la crise dans laquelle il se débat. Ces réformes ont pour noms fiscalité, Caisse de compensation, systèmes de retraites, statut de la fonction publique, et on pourrait encore prolonger cette liste... Or, à ce jour, qui peut prétendre que ce gouvernement a engagé le début du commencement d'une seule de ces réformes ? Le FMI le sait bien naturellement. Seulement, comme il a décidé de continuer de soutenir ce gouvernement (jusqu'à quand ?...), il va s'appliquer à mettre en valeur des mesurettes sans réelle portée, à grossir des décisions mineures dont on connaît parfaitement les limites. Par exemple, en ce qui concerne la Caisse de compensation, on s'accroche au système de l'indexation dont on sait parfaitement qu'il ne règle rien sur le fond. Du reste, il a déjà été quasiment abandonné, à peine 5 mois après son adoption. On va souligner la pseudo-fiscalisation de l'agriculture alors que chacun peut aisément constater que c'est une grossière tromperie puisque, en 2020 seulement, elle ne devrait guère toucher, selon les déclarations du Ministre des finances lui-même, plus de 2000 exploitations sur le million et demi d'exploitations que compte le pays ! Les rédacteurs du rapport du FMI ne se privent pas eux-mêmes de signaler qu'il ne faut guère s'attendre à un accroissement significatif des recettes fiscales à la suite de cette fiscalisation en trompe-l'œil. Le plus curieux est qu'ils ne semblent guère y voir la moindre contradiction avec leur «plaidoyer» pour l'action du gouvernement. Comment le FMI peut-il considérer que l'on va dans le bon sens alors que tout un chacun peut constater que rien de substantiel ni même de significatif n'est encore fait ? F. N. H. : Le FMI préconise des réformes pourtant, comme la LOLF, la baisse des subventions, etc... N. A. : Cela n'a rien de nouveau. Tout le monde appelle de ses vœux ces réformes depuis longtemps. La loi organique de la Loi de Finance est un vieux projet qui traîne depuis six ou sept ans. Il a fallu la dernière Constitution pour qu'il réapparaisse à la surface en tant que loi-cadre parmi toutes celles devant matérialiser la mise en œuvre de cette Constitution. C'est une loi importante mais qui n'a rien du caractère hyper-sensible et hyper-conflictuel de lois comme celles qui devraient réformer la Caisse de compensation ou les Caisses de retraite. Encore une fois, on surévalue des réformes «soft» et sans grands risques pour éviter de voir que derrière, il y a la «forêt» des réformes, pourtant incontournables, et néanmoins encore et toujours renvoyés aux calendes grecques ! En effet, si rien n'est fait dans l'année en cours, il y a fort à parier que tout sera renvoyé à l'après 2017, puisque 2015 et 2016 seront des années électorales, c'est-à-dire des années pendant lesquelles aucun gouvernement ne se hasardera à se risquer à des réformes pour le moins controversées... F. N. H. : Le FMI présente la LPL comme une assurance contre les risques extérieurs. Quelles conséquences pour le Maroc aurait un retrait de cette LPL ? N. A. : J'ai déjà eu dans ces mêmes colonnes l'occasion d'expliquer qu'avec cette loi dite «de précaution et de liquidité», on est réellement dans la supercherie. Car de quoi s'agit-il ? Premièrement, nous avons affaire à une ligne de crédit qui n'est pas réelle mais virtuelle, puisqu'elle est simplement «mise à disposition» et tant qu'elle n'est pas effectivement utilisée, elle reste une possibilité sans plus. Deuxièmement, même si elle est seulement potentielle, cette ligne n'est pas gratuite. Le Maroc supporte depuis deux ans le coût d'une «ligne de crédit» sur laquelle il n'a pas encore tiré un seul dollar. Troisièmement enfin, il faut savoir que le dispositif de «conditionnalité» est désormais à deux étages, car la «mise à disposition» de la LPL ne signifie nullement que le gouvernement peut l'utiliser quand il veut et comme il veut. Le jour où il aura besoin de l'utiliser, le FMI exigera évidemment une autre batterie de conditions pour autoriser le déblocage des fonds, et c'est cela le «deuxième étage». Ce qui est nouveau est que la seule «mise à disposition» de la LPL est déjà accompagnée d'une série de «conditions» qu'on peut donc considérer comme étant celles du «premier étage». Autrement dit, dans les années 80, le FMI imposait sa conditionnalité dans le cadre des tristement célèbres «programmes d'ajustement structurels» mais au moins c'était pour donner en contrepartie de «vrais» crédits. Aujourd'hui, il commence par imposer ses conditions et ses programmes juste pour vous annoncer que vous avez le privilège d'être éventuellement en mesure de bénéficier de ses crédits. Lorsque vous en arrivez à devoir solliciter effectivement ces crédits, il vous impose d'autres conditions. Il faut reconnaître qu'on a là un niveau de «raffinement» rarement atteint. Mais il faut bien comprendre la logique à l'œuvre pour en apprécier le cynisme. Car dès que le pays accepte la LPL et que le FMI déclare qu'il vous a fait l'honneur de vous l'accorder, le piège se referme automatiquement sur «l'heureux élu» ! Il faut savoir que dès qu'un pays est sensé avoir bénéficié d'une LPL, il entre dans une sorte de phase «euphorique» car il est alors gratifié du label de «bon élève» ayant obtenu la confiance du FMI. C'est la «phase ascendante», il jouit d'une certaine bienveillance des marchés financiers internationaux, des agences de notation, etc. Lorsqu'il va emprunter sur le marché international, il peut obtenir des conditions pas trop défavorables. Mais dans le même temps là est précisément le piège, car l'obsession des responsables du pays concerné est alors de ne surtout pas perdre cette «bonne image», ils sont donc disposés à tout faire pour la garder. Pour revenir à la LPL, vous imaginez la situation si le FMI agite simplement la menace de ne pas la renouveler (alors même qu'elle peut n'avoir jamais été utilisée). L'impact serait, estime-t-on, désastreux, et on glisserait vers la «pente descendante». Le signal lancé au marché international serait néfaste, parce que cela voudrait dire que le pays n'est plus un élève fréquentable, et le marché dans son ensemble commencerait à s'en méfier. Concrètement, les agences de notations se mettraient à dégrader la note du pays, ce qui conduirait automatiquement à renchérir le coût des emprunts à solliciter sur le marché international (ne serait-ce que parce que la «prime de risque» exigée serait plus élevée). Bref, un scénario que tout gouvernement redoute par dessus tout. Et l'obsession devient d'éviter à tout prix de se trouver dans une telle posture. Comment ? En ne ménageant aucun effort pour être encore plus «bon élève» que de nécessaire. C'est exactement la situation dans laquelle se trouve actuellement le gouvernement. Le mécanisme est donc extrêmement perfide. A la limite, le FMI n'a plus besoin de rien faire, juste bien choisir ses «cibles» et leur annoncer son intention de les gratifier de sa virtuelle LPL. Aujourd'hui, pour imposer ses diktats, le FMI n'a même plus besoin de donner un crédit, mais simplement de menacer de le retirer alors qu'il ne l'a jamais donné ! Cette menace suffit pour que le gouvernement se mette à ses ordres. Je l'avais dit en son temps : le gouvernement s'est mis dans le piège à partir du moment (en 2012) où il avait accepté cette formule absurde. F. N. H. : Pensez-vous qu'un retrait de cette ligne puisse se produire, avec les conséquences que vous avez évoquées ? N. A. : Bien sûr que cela peut se produire, notamment lorsque le FMI jugera utile de faire monter la «pression» sur le gouvernement pour lui faire prendre des mesures impopulaires. Le jour où il prendra une telle décision, vous pouvez alors être sûr que pour conforter celle-ci, il n'aura aucun mal à «redécouvrir» les mille et un problèmes réels de l'économie marocaine pour en faire un rapport «alarmiste». L'objet ne sera, pas plus que maintenant, d'analyser objectivement la situation de l'économie marocaine mais seulement de justifier une autre décision politique, préalablement prise.